21 mar 2024

Beth Ditto (Gossip) : « J’ai plus en commun avec les gens de la mode qu’avec les gens de la musique »

Ce vendredi 22 mars 2024 marque le grand retour du célèbre groupe de rock indépendant et dance-punk des années 2000 Gossip avec un nouvel album intitulé Real Power. Pour l’occasion, Beth Ditto, chanteuse charismatique de la formation américaine, s’est confiée à Numéro sur ce nouveau projet excitant, son rapport à la mode et sur la nouvelle scène musicale queer. 

propos recueillis par Erwann Chevalier.

Le retour de Gossip avec l’album Real Power 

 

Le rendez-vous est donné le vendredi 2 février 2024 à 19 h par visio-conférence. Sans prétention, Beth Ditto décide de ne pas activer sa caméra car sa voix, à la fois tendre et rugissante, est suffisante selon elle. Leadeuse charismatique du groupe de rock indépendant, de soul (dans la voix) et de dance-punk culte Gossip (composé du guitariste Nathan Howdeshell et d’Hannah Billie à la batterie), Beth Ditto est une véritable figure de la scène musicale des années 2000.

 

La chanteuse originaire du sud des États-Unis (aujourd’hui basée à Portland) a été influencée très tôt par Siouxsie and the Banshees, Nirvana et Madonna. Si elle vient de l’underground, elle a été catapultée dans le paysage de la pop mainstream grâce au tube Standing in the Way of Control (2006) et Heavy Cross (2009), issu de l’album Music for Men (2009). 

 

Mais elle s’est aussi imposée, hors du monde de la musique, grâce à ses convictions. Féministe engagée, lesbienne et artiste en guerre contre les injustices, l’auteure-compositrice et interprète âgée de 43 ans s’est toujours révélée sans fards guidée par un franc-parler incisif. Et c’est une pionnière des luttes LGBT. Son aura a notamment séduit la mode, si bien qu’elle défile pour Jean Paul Gaultier en 2010.

 

Après une longue absence et la séparation du groupe en 2016, Gossip est de retour sur le devant de la scène. En effet, la formation s’est recomposée – pour notre plus grand bonheur – et elle dévoile ce vendredi 22 mars 2024 Real Power, un nouvel et sixième album rutilant et toujours politique (évoquant notamment les manifestations Black Lives Matter survenues à Portland). On y retrouve le fameux mélange de sonorités rock et disco et des sujets comme l’amour et les traumatismes. Pour Numéro, Beth Ditto s’est confiée sur ce nouveau projet, ses inspirations, son rapport à la mode et la nouvelle scène queer. 

L’interview de Beth Ditto, chanteuse charismatique du groupe Gossip et icône queer 

 

Numéro : À quel moment est née l’idée de réaliser ce nouvel album ? 

Beth Ditto : J’ai commencé à réfléchir à ce disque en 2019. Il me semble déjà très ancien. J’ai l’impression que c’étail il y a 100 ans… Mais nous avons débuté au moment du Covid. Le monde s’est arrêté mais nous avons commencé en quelque sorte. Je me souviens être avec un ami, qui est ingénieur du son, et lui dire ‘Tout le monde va s’en sortir’ ! J’avais tort. Au début, on essayait seulement d’écrire des chansons, mais il y a eu le confinement, et on a dû repousser l’enregistrement durant un bon moment. Je voulais faire un disque rapidement, donc les compositions musicales sont venues très facilement et c’est ce que je préfère. J’ai juste l’impression que quand les choses prennent trop de temps, ça commence à ressembler à du travail, et je n’aime pas ça en musique. Le guitariste de Gossip, Nathan Howdeshell, m’a rejointe et nous avons écrit toutes ces nouvelles chansons. 

 

« En France, vous protestez aussi tout le temps. C’est l’une des choses que je préfère ici. » Beth Ditto

 

Votre album est baptisé Real Power, comme votre morceau du même nom qui évoque le mouvement Black Lives Matter…

Avec le recul, je pense que le morceau Real Power parle surtout de Portland, de ce qui s’y passait et de la réputation de la ville. Les personnes qui n’y vivent pas ne savent pas comment est cette ville. Et la différence entre le nord et le sud de l’Amérique est vraiment important. Ici, il y a la musique country, les camions, les fermes, les partisans de Trump… Mon entourage pensait littéralement que Portland était sur la sellette à cause de toutes les manifestations qui s’y déroulaient. Ils s’inquiétaient pour moi car les médias avaient commencé à raconter que Portland était devenu un vrai chaos. Les manifestations étaient réelles et sérieuses. Mais vous vivez en France, vous protestez aussi tout le temps. C’est l’une des choses que je préfère en France…

 

Pourquoi avez-vous décidé de retravailler avec le légendaire Rick Rubin (producteur de l’album Music for Men) ? 

Je ne m’en souviens pas… Le truc avec moi, c’est que je me souviendrai de tout ce qui vous concerne, de notre rencontre, de vos parents, de votre anniversaire, mais je ne me souviendrai pas des détails. Mais je dirais que c’est parce que c’est très facile de travailler avec Rick. Il aborde la musique d’une manière qui nous correspond. 

“J’ai toujours pensé que je serais coiffeuse.” Beth Ditto

 

Quelles sont les inspirations de ce nouvel opus ? 

Nathan (le guitariste du groupe, ndr), lui, écoute toujours des groupes cool moi je préfère acheter du fil pour faire du crochet. C’est tout ce que je veux faire… C’est une question difficile car nous n’avons jamais eu d’album concept. Je ne sais jamais de quoi parle un album tant qu’il n’est pas terminé. Dès qu’il sort et que je parle à des journalistes qui me disent ce qu’ils ont pensé du disque, la plupart du temps, je leur réponds : « Oh, mon Dieu, vous avez tout compris. » Avant même de le saisir moi-même…

 

Que représente cet album dans votre carrière ? 

Je n’y pense pas tant que ça. Ce qui m’angoisse, c’est que d’autres personnes y pensent. En tant qu’artiste, si vous commencez à y réfléchir, cela gâche votre plaisir. Je fais de mon mieux, que ce soit bien ou mal, pour ne pas penser à la ‘carrière’. C’est surtout important de se dire : ‘Oh, mon Dieu, nous sommes toujours là !’ Je connais Nathan depuis 30 ans et Hannah (la batteuse de Gossip) depuis que j’ai 18 ans. À ce moment-là, nous ne savions pas ce que nous allions faire de notre vie. Nous ne sommes pas allés à l’université. Je parle pour moi, mais je n’avais aucune compétence… Et j’ai toujours pensé que je serais coiffeuse. Mais aujourd’hui, je suis assise dans la maison que j’ai achetée avec l’argent que j’ai gagné en chantant avec Gossip. Je me demande comment vont-être les 20 prochaines années…

 

Est-que ce Real Power est un retour aux racines de Gossip ?

Je pense surtout que nous voulions faire un disque simple à trois car nous avons toujours été ce que nous sommes actuellement. Cet album nous ressemble. Nous aimons juste faire de la musique ensemble. 

“J’ai plus en commun avec les gens de la mode qu’avec les gens de la musique.” Beth Ditto

 

Vous avez déjà défilé pour Jean Paul Gaultier en 2010. Quel est votre rapport à la mode ?

J’adore Jean Paul Gaultier. Vous savez, ce qu’il y a de bien avec lui, c’est qu’il est gentil. Le monde de la musique et de la mode sont tellement différents. La plupart des gens se disent : ‘Oh, mon Dieu ! La mode est prétentieuse ou coincée’, mais en réalité, c’est plus amusant et plus bizarre que la musique. Il y a bien plus d’excentricité dans la mode, de femmes et de personnes queer qui sont étonnantes et amusantes. J’ai plus en commun avec les gens de la mode qu’avec les gens de la musique. La mode est juste plus gaie mais aussi plus expressive. Plus on est bizarre, mieux c’est, d’une certaine manière. 

 

Il y a beaucoup plus d’artiste queer aujourd’hui (Lil Nas X ou Kim Petras). Quel regard portez-vous sur vos débuts dans la musique en tant que femme queer ?

Quand nous étions jeunes et que Gossip faisait partie de la scène queer, les gens nous traitait comme si nous étions bizarres ou des parias. Je suis fière d’avoir pu faire partie de la culture pop d’il y a 20 ans et d’être toujours là aujourd’hui. Le changement ne s’est pas fait du jour au lendemain mais c’est tellement beau…


Real Power (2024) de Gossip, disponible.