B.B. Jacques : confidences d’un rappeur qui n’aimait pas les rimes
Révélé au grand public par la première saison de l’émission Nouvelle École, diffusée sur Netflix, B.B Jacques est devenu, en à peine quatre ans, l’archétype de l’artiste indépendant. Il défend aujourd’hui BlackBird, son quatrième album studio dans lequel on retrouve son rap ultra spontané où les punchlines surgissent comme les jump scares d’un film d’épouvante. Rencontre.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
Que nous réserve BlackBird, le quatrième album du rappeur B.B Jacques
B.B Jacques prévient d’emblée : il n’a pas vraiment l’intention de s’épancher sur sa vie privée durant cet entretien. Le rappeur promet toutefois que, si la discussion l’amuse, il se détendra peut-être, pour mieux se raconter. On sait bien que les artistes n’ont d’autre exutoire que leur propre musique… C’est un quatrième album que le natif de Courbevoie défend aujourd’hui. Disponible le 4 octobre, Blackbird est une œuvre aussi sincère que spontanée qui évoque d’ailleurs son propre pseudonyme : “B.B.” fait référence au poème Blue Bird (1990) de l’écrivain américain d’origine allemande Charles Bukowski.
De sa direction artistique à ses productions, B.B Jacques est devenu, en à peine quatre ans de carrière, l’archétype de l’artiste indépendant. Révélé au grand public par la première saison de l’émission Nouvelle École, diffusée sur Netflix, une compétition qui voit s’affronter des rappeurs face à un jury de stars, il a, depuis, fondé son propre label NBOW (New Blues, Old Wine). Sa seule obsession : prouver qu’il n’existe aucun plafond de verre dans sa discipline.
Avec ce disque, le rappeur déploie, en quatorze titres, un vaste champ lexical tout en écumant tous les registres du langage. Rien n’a changé. B.B Jacques est toujours aussi cru, toujours aussi sombre, toujours aussi clivant. Ce qui déroute d’abord, ce sont les placements de ses rimes, assez rares. Des poèmes contemporains dont le rythme désoriente les néophytes comme les puristes amateurs de boom bap. Un rap quasi prose, éclatant, puis subitement morose, dont les punchlines surgissent comme les jump scares d’un film d’épouvante.
Ses compositions chirurgicales font semblant de se déployer de façon aléatoire. Finalement, sa musique rappelle le portrait de Dorian Gray, œuvre fictive du roman homonyme d’Oscar Wilde. Elle évolue et transforme peu à peu le regard que l’on porte sur elle, évoquant tour à tour la jeunesse, la beauté, la morale et l’hédonisme parfois sinistre d’une société névrosée. Rencontre.
Interview : B.B Jacques se confie pour la sortie de son quatrième album
Numéro : Quand vous étiez petit, qu’aperceviez-vous par la fenêtre de votre chambre ?
BB Jacques : Un petit square dans lequel j’avais l’habitude de jouer au football avec mes amis. C’était aux Damiers, à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine. Je me suis toujours juré d’y revenir un jour pour y tourner des images. Il a été vidé depuis, comme nous en vieillissant, c’est presque devenu un quartier fantôme… J’ai récemment perdu un ami de cette époque, Lucas, j’ai appris son décès il n’y a pas longtemps. [Il reste silencieux un moment.] C’était un ami avec lequel j’ai passé beaucoup de temps. On avance ensemble dans la vie, sans penser à la suite, et puis finalement nos chemins se séparent sans vraiment qu’on sache pourquoi…
Certains journalistes disent de votre rap qu’il est “faussement déstructuré”. Votre approche est-elle toujours spontanée ?
Totalement spontanée même. Lorsque je relis mes textes, il m’arrive parfois de rayer un ou deux mots pour les fluidifier, mais tout reste assez naturel. Je reconnais que ma diction est assez particulière et, avec le temps, j’aurais pu exagérer mon flow encore davantage. Pour autant, j’ai plutôt cherché à l’affiner pour qu’il atteigne son paroxysme. C’était même assez drôle à travailler. C’est tout de même mieux d’être différent, vous ne trouvez pas ?
Votre proposition musicale demeure très clivante. Comprenez-vous que l’on puisse rester totalement hermétique à votre univers ?
Oui, je comprends. Et je m’en fous totalement.
C’est ce que vous dîtes mais je suis persuadé que vous ne le pensez pas vraiment…
Disons que j’ai un raisonnement artistique. C’est toujours ceux que l’on déteste qui finissent par devenir nos meilleurs amis. Je ne suis pas non plus un kamikaze. Cliver n’était pas mon intention première ! [Rires.] En tout cas, je n’ai jamais cherché à faire de la polémique et du débat mon fond de commerce. Finalement, j’en sors gagnant puisque mes détracteurs ont attisé une certaine curiosité…
Avez-vous été blessé par certaines critiques ?
Je pense que oui… Avec le temps, j’ai pris davantage de distance avec l’avis du public. Beaucoup d’amateurs de rap ne comprennent pas pourquoi mes rimes ne tombent pas là où elles devraient tomber… Ça les frustre. Et moi, ça m’amuse. J’envisage ma musique comme un long-métrage : si vous pouvez déjà prédire ce qu’il va se passer dans une scène, alors elle perd tout son interêt. Certaines critiques m’intéressent, d’autres me font même rire ! L’industrie musicale vous pousse vers un format ou une recette. Il ne faut jamais tourner le dos à la création et aux risques…
Vous qui êtes passionné d’écriture, pourquoi avoir choisi de vous exprimer à travers le rap plutôt que d’écrire un bouquin ?
Je pense que c’est surtout une question d’humilité. Un livre, c’était peut-être trop grand pour moi. Ou trop… tranquille. La musique vous décomplexe. Il est plus facile de s’autoriser des obscénités. [Rires.] C’est un exercice de style différent. J’aime mettre des mots en musique. Il a aussi fallu que j’apprenne à structurer mon projet et à déléguer certaines tâches. Désormais, j’ai une société de production et une société d’édition. J’ai longtemps été un grand control freak, mais, pour réussir dans l’industrie musicale, il faut apprendre à faire confiance aux bonnes personnes.
À ce propos, quelle relation entretenez-vous avec l’obscénité ?
Au début, je n’en avais strictement rien à faire. Maintenant, c’est différent. L’autre jour, j’étais avec des amis pour un anniversaire et un gosse a lancé “Oh, tu es B.B Jacques ! Celui qui insulte tout le temps !” Ça m’a fait réfléchir… Bon, malheureusement l’album était déjà bouclé ! [Rires.] J’aime la notion de radicalité mais il est important d’avoir conscience que nos textes sont écoutés par n’importe qui. Il est assez intéressant d’étudier les registres de langage des rappeurs. Est-ce qu’ils s’expriment comme cela parce qu’il l’on décidé ou parce qu’ils ne savent pas s’exprimer autrement ? Céline et Bukowski étaient bien pires que nous. Finalement, nous ne faisons que défendre notre liberté d’expression.
En quoi la pochette de ce nouvel album représente-t-elle votre musique ?
Si vous retracez l’évolution des pochettes de mes disques, vous découvrirez qu’au fur et à mesure, je me montre toujours un peu plus. Jusqu’à présent, je ne m’étais jamais encore présenté de face. Comme si j’avais peur de montrer ma gueule. Aujourd’hui, j’ai enlevé mes lunettes, je n’ai même pas taillé ma barbe et j’assume mes responsabilités. C’est simple, épuré, minimaliste.
Comment expliquez-vous votre évolution depuis le titre Et palpite encore (2021) par exemple ?
C’est un morceau que j’ai enregistré dans une chambre. À l’époque ce n’était qu’une esquisse de ce qui allait arriver après. Je pense que c’est un titre qui jouissait d’une certaine fraîcheur. Vous savez, il est très difficile d’écrire lorsque tout va bien ou, en tout cas, d’écrire des titres qui véhiculent une certaine forme d’optimisme. Et palpite encore a fait beaucoup de bien à mon premier projet qui était très ambitieux. Personne ne vous connaît ou, en tout cas, pas grand monde, et vous débarquez avec 89 morceaux comme si vous n’en aviez rien à foutre ! Il a fallu les disséminer dans différents EP. Plus tard, un titre comme Rainbow [New Blues, Old Wine, 2022], dévoilait l’ensemble de ma palette artistique. J’avais conscience d’évoluer mais il ne fallait pas que cela devienne n’importe quoi. Désormais, je m’efforce à ce que chacun de mes albums soient cohérents. Avec le temps, je suis devenu un peu prétentieux : lorsque je rate un morceau, j’accepte de libérer le texte.
Que voulez-vous dire par là ?
Pour être artiste, je pense qu’il faut avoir aussi beaucoup d’ego et être capable d’assumer pleinement ce que l’on fait pour le proposer au public. Tout est une question d’équilibre. Il arrive qu’un texte soit moins bon que les autres ou qu’une production m’emmerde, tout simplement. Vous écrivez, vous écrivez mais, rien à faire, ça ne marche pas ! Il faut donc prendre sur vous et accepter de laisser votre création sur le côté…
Blackbird de B.B Jacques, disponible le 4 octobre.