23 sept 2024

Emmanuelle, Babygirl, Queer… Le retour du sexe à l’écran

Saltburn, Babygirl, Queer, Challengers, Emmanuelle… On assiste depuis quelques mois au grand retour du sexe à l’écran. Après des années chastes, les films érotiques ont la cote. Une tendance loin d’être anodine, liée en partie au contexte de l’après #MeToo.

Zendaya, Mike Faist et Josh O'Connor dans le film Challengers (2024) © Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. All Rights Reserved.
Zendaya, Mike Faist et Josh O’Connor dans le film Challengers (2024) © Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. All Rights Reserved.

Du provocant Basic Instinct (1992) de Paul Verhoeven au Bound (1996) de Lilly Wachowski et Lana Wachowski en passant par Sex Crimes (1998), les années 90 ont marqué l’âge d’or des films érotiques. Mais en mars 2024, le producteur de films Stephen Follows publiait dans The Economist une étude révélant que le contenu sexuel au cinéma avait chuté de près de 40 % depuis les années 2000.

Un résultat qui semble lié à d’autres études datant de 2024 et issues de plusieurs instituts de sondages (dont l’Ifop), alertant sur le désintérêt croissant des jeunes pour le sexe.

Sauf que depuis quelques mois, la tendance s’inverse sensiblement. Les réalisateurs – et surtout les réalisatrices – semblent en effet (enfin) se réapproprier un genre cinématographique longtemps délaissé… Les films comportant de nombreuses scènes classées X.

Challengers, Saltburn, Love Lies Bleeding… Le retour en grâce du sexe à l’écran ?

En 2023 et en 2024, la température a en effet grimpé sur le grand et le petit écran. L’excellent film Challengers (2024) de Luca Guadagnino a basé sa communication sur une scène de triolisme entre l’actrice Zendaya et les acteurs Josh O’Connor et Mike Faist. Et si, au final, la scène s’avère plutôt chaste, le film a été interdit aux moins de 17 ans aux États-Unis.

Autres moments hot de ces derniers mois ? Des séquences (s)explicites vues dans Pauvres Créatures (Poor Things) de Yórgos Lánthimos avec Emma Stone, Saltburn (la fameuse scène de la baignoire) ou encore Love Lies Bleeding dans lequel Kristen Stewart et Katy O’Brian vivent une passion lesbienne torride. 

Nicole Kidman et Harris Dickinson dans Babygirl (2024) © A24.
Nicole Kidman et Harris Dickinson dans le film Babygirl (2024) © A24.

À la Mostra de Venise 2024, la température monte d’un cran

À l’occasion de la Mostra de Venise qui s’est déroulée du 28 août au 7 septembre 2024, les choses se sont encore intensifiées. Cette fois-ci, le réalisateur et producteur italien Luca Guadagnino fait le pari de mettre en scène l’ex-James Bond et sex-symbol Daniel Craig au cœur d’une romance gay complexe et sulfureuse dans son nouveau film intitulé Queer (2024). Et les scènes osées ne manquent pas.

De son côté, le très attendu Babygirl d’Halina Reijn s’ouvre sur une scène d’orgasme explicite tandis que l’actrice Nicole Kidman (héroïne de ce drame érotique) s’adonne à des séquences BDSM.

Largement ovationné lors de son avant-première Vénitienne, le long-métrage présente une Nicole Kidman surprenante et très sensuelle, à tel point que l’actrice a affirmé qu’elle n’oserait pas se voir à l’écran.

Noémie Merlant dans Emmanuelle (2024) ©2024 CHANTELOUVE – RECTANGLE PRODUCTIONS – GOODFELLAS – PATHÉ FILMS ® & © Emmanuelle Estate Inc.
Noémie Merlant dans Emmanuelle (2024) © 2024 CHANTELOUVE – RECTANGLE PRODUCTIONS – GOODFELLAS – PATHÉ FILMS ® & © Emmanuelle Estate Inc.

Le comeback d’Emmanuelle et des films érotiques

Enfin, le genre même du “film érotique” – longtemps délaissé par les cinéastes – pourrait être en passe de redevenir à la mode. Ce mercredi 25 septembre, le très attendu Emmanuelle (2024) d’Audrey Diwan fera (enfin) son arrivée dans les salles obscures, avec une Noémie Merlant plus sulfureuse que jamais.

Après le succès du film Emmanuelle avec Sylvia Kristel en 1974, cette nouvelle adaptation du roman érotique d’Emmanuelle Arsan fait partie des longs-métrages les plus attendus de la rentrée…

Enfin, jusqu’au 1er décembre 2024, le Forum des Images, à Paris, nous propose un marathon de comédies romantiques sous ce nom de rétrospective, explicite, Refaire l’amour

Mais une question demeure : Pourquoi y-a-t-il autant de films comportant des scènes de sexe, récemment ? Si le contexte de l’après Covid invite à un retour aux corps à corps, la première raison semble être l’apparition du métier de coordinateurs d’intimité.

Avec le mouvement #MeToo, de plus en plus de comédiennes ont eu peur de tourner des scènes sexuellement explicites. En effet, de nombreux débordements ont eu lieu sur des plateaux de tournage, à l’instar de celui du Dernier Tango à Paris (1972) de Bernardo Bertolucci avec Marlon Brando. L’actrice Maria Schneider n’avait pas été mise au courant d’une scène sexuelle surnommée celle « de la sodomie au beurre. » Certes, la séquence était simulée. Mais elle ne figurait pas au scénario…

Anamaria Vartolomei dans Maria (2024) © Haut et Court.
Anamaria Vartolomei dans Maria (2024) © Haut et Court.

Une tendance qui suit le mouvement #MeToo

Dans la lignée de cet événement traumatique, Sharon Stone a confié dans plusieurs interviews ne pas avoir été mise au courant que le réalisateur Paul Verhoeven avait pour intention de filmer son entrejambe, sans culotte, dans Basic Instinct (1992).

La star a déclaré que le cinéaste et le directeur de la photographie lui ont demandé de retirer sa culotte blanche car on la voyait trop à la caméra. Le réalisateur lui aurait alors juré qu’on ne verrait rien de son anatomie au montage. Ce n’est que plus tard que, choquée, Sharon Stone découvrira la séquence qui fera tant parler d’elle.

En France, l’actrice Caroline Ducey vient de sortir un livre (La prédation (nom féminin)) qui fait écho à l’expérience de Sharon Stone et à celle de Maria Schneider, récemment au cœur du film Maria (2024) de Jessica Palud. Elle y accuse la réalisatrice Catherine Breillat d’avoir mis en scène un acte sexuel non consenti durant le tournage du film Romance (1999).

Ana Girardot dans La Maison (2022) © Nicolas Berteyac © 2021 Radar Films – Umedia – Rezo Films – Carl Hirschmann – Stella Maris Pictures.
Ana Girardot dans La Maison (2022) © Nicolas Berteyac © 2021 Radar Films – Umedia – Rezo Films – Carl Hirschmann – Stella Maris Pictures.

Coordinateur d’intimité : un nouveau métier de plus en plus prisé

Depuis 2017 (d’abord dans le monde du théâtre), les coordinateurs d’intimité s’assurent que ce genre de drames ne se reproduisent plus. Et que les acteurs (et surtout les actrices) ne se sentent pas gênés ou trahis. Leur rôle consiste en effet à assurer le bien-être et le respect des comédiens lors des scènes de sexe.

Les acteurs peuvent ainsi faire part de leurs doutes et de leurs limites dans des séquences de plus en plus chorégraphiées au millimètre près. Ce terrain bienveillant permet à de nombreux artistes d’accepter, en toute confiance, plus de scènes de nudité ou d’intimité à l’écran. Il faut ajouter à cela le nombre grandissant de films réalisés par des femmes et/ou mettant en scène le plaisir féminin.

La présence d’une femme derrière la caméra conduit à l’élaboration de personnages féminins plus complexes, dont la sexualité est beaucoup moins cliché et hétéronormée. Grâce au female gaze, de nombreuses stars ne sont plus effrayées par le sexe à l’écran. Ana Girardot nous expliquait il y a peu, avoir été rassurée par le fait que La Maison (2022), dans lequel elle joue une écrivaine qui se prostitue, était réalisé par une femme, Anissa Bonnefont.

Le female gaze : un nouveau regard sur la sexualité

L’actrice explique : “C’est Anissa (Bonnefont, ndlr) qui jouait le rôle de la coordinatrice d’intimité. Je pense que la présence d’un coordinateur, c’est important quand le réalisateur ne sait pas exactement ce qu’il veut demander à ces acteurs ou que les acteurs souhaitent sa présence pour se sentir rassurés. Je trouve ça très bien que ce métier existe. Mais là, Anissa avait tout en tête, que ce soit le mouvement de la caméra, la lumière, les actions.

La comédienne ajoute : “Elle nous mimait tout et expliquait les scènes dans leurs moindres détails, en les justifiant. Elle assumait tout, donc il n’y avait pas de gène. On ne se sentait pas trahis. Par le passé, j’ai eu affaire à des réalisateurs qui m’ont dit, pendant une scène de sexe, des choses comme : “Vas-y, respire fort, comme ça le drap va tomber et on verra ton téton.” Là, j’aurais eu besoin d’un coordinateur d’intimité, car ça ne sonnait pas authentique.

Emmanuelle (2024) d’Audrey Diwan, avec Noémie Merlant, Will Sharpe et Naomi Watts, au cinéma le 25 septembre 2024.