Les confessions de Nadia Tereszkiewicz, actrice audacieuse à l’affiche d’un western italien
Dans Pile ou face ?, western italien présenté au Festival de Cannes 2025, Nadia Tereszkiewicz prête ses traits à Rosa, une jeune femme en quête de liberté dans l’Italie du début du XXe siècle, tiraillée entre son désir d’émancipation et le poids des traditions. Rencontre avec une actrice magnétique, qui n’a pas peur des métamorphoses et qui, film après film, impose sa présence d’une intensité singulière.
propos receuillis par Nathan Merchadier.

Révélée dans le thriller Seules les bêtes (2019) de Dominik Moll, puis sacrée Meilleur espoir féminin aux César pour Les Amandiers en 2023, Nadia Tereszkiewicz se présente, film après film, comme l’un des visages les plus attachants du cinéma français. À la fois instinctive et déterminée, l’actrice franco-finlandaise se distingue par son goût pour les rôles exigeants, incarnant des femmes insoumises, écorchées ou en quête d’émancipation. Qu’elle évolue dans des drames d’époque ou des récits contemporains, la comédienne âgée de 29 ans s’impose à l’écran avec une intensité rare.
Une actrice audacieuse
Dans Pile ou face ? (Testa O Croce?), un western italien ambitieux présenté au Festival de Cannes 2025 dans la section Un certain regard, l’actrice partage l’affiche avec John C. Reilly (Gangs of New York , The Aviator) et Alessandro Borghi (Mauvaise Graine). Situé au tournant du XXe siècle, alors que le “Wild West Show”, spectacle itinérant de Buffalo Bill (la figure mythique de la conquête de l’Ouest), débarque en Italie pour vendre le rêve américain, le film suit Rosa, une jeune femme piégée dans un mariage oppressant, qui saisit sa chance de fuir avec un cavalier rebelle. À cette occasion, Numéro s’est entretenu avec une actrice qui cultive l’audace et la liberté.

L’interview de Nadia Tereszkiewicz au Festival de Cannes 2025
Numéro : Vous jouez dans le film Pile ou face ?, présenté au Festival de Cannes 2025. Pourquoi avoir eu envie de tourner dans un western italien ?
Nadia Tereszkiewicz : J’avais vu La Légende du roi crabe, le précédent film des réalisateurs Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis. J’aime profondément leur façon d’aborder les récits populaires, les légendes, les mythes et surtout la manière dont ils interrogent la transmission. Dans Pile ou face ?, on retrouve cette même fascination, mais cette fois-ci à travers le prisme de l’écrit. Au début du film, on pense découvrir un western presque classique, avec l’arrivée de Buffalo Bill et la mise en scène de son “Wild West Show”.
Qu’avez-vous aimé dans ce projet ?
Que le film assume une forme de surréalisme. Il accorde une place immense à l’imaginaire. Rosa, mon personnage, préfère la fiction à la réalité, et c’est, je trouve, une manière bouleversante de représenter le processus du deuil. Ce refus d’accepter la perte devient une force d’imagination, un acte de foi. Et j’aime les personnages qui croient. Je trouve que ça demande du courage. Enfin, j’ai été séduite par le ton du film, qui joue avec les codes du western : parfois drôle, parfois tragique et parfois complètement baroque. Il convoque à la fois le western spaghetti, le western horrifique, le western romantique… pour mieux le déconstruire et créer une forme nouvelle, audacieuse et presque hybride.
Comment décririez-vous votre personnage ?
Ce qui me touche chez elle, c’est son courage. Elle ne tergiverse pas, elle prend des décisions rapidement, presque instinctivement. C’est une femme qui avance, qui accepte ce qui lui arrive sans jamais se figer. C’est aussi une grande amoureuse, une rêveuse. Elle est habitée par une forme de foi, de certitude intérieure. Elle traverse un vrai parcours initiatique : elle apprend la vie, l’amour et la douleur. C’est une jeune femme qui tombe, qui se relève, qui s’abîme et se reconstruit. Elle n’a pas peur de se salir, au sens propre comme au figuré. Elle monte à cheval, prend des risques et vit intensément. Ce n’est pas un personnage apprêté ou figé. Elle est libre, mouvante, incandescente. Tout cela, c’est très fort à incarner en tant qu’actrice.

“Je n’avais jamais approché un cheval de ma vie. Pour ce film, j’ai appris à galoper (…) en pleine nature.” Nadia Tereszkiewicz
Comment s’est déroulée votre rencontre avec l’acteur italien Alessandro Borghi et avec John C. Reilly ?
Alessandro Borghi est un acteur incroyable. Il m’a vraiment ramenée dans le présent, dans l’instant du jeu. C’est quelqu’un qui improvise beaucoup et qui utilise tout ce qu’il y a autour de lui. Avec John C. Reilly, c’était autre chose. D’abord, j’étais impressionnée, et ce léger vertige fonctionnait parfaitement avec le film, puisqu’il incarne Buffalo Bill. Ce décalage entre admiration et intimidation nourrissait directement notre relation à l’écran. Et puis, au-delà de son aura, John est incroyablement généreux et drôle. Il arrivait le matin avec des idées, toujours plein d’enthousiasme. Il inventait des choses complètement folles, comme cette scène de cauchemar qu’on a tournée, totalement surréaliste. Grâce à lui, j’ai réussi à lâcher prise. On créait ensemble un ton un peu fou et risqué. Je me disais parfois : “Si ça ne marche pas, c’est peut-être la fin de ma carrière” [rires].
Quels étaient d’ailleurs les principaux défis de ce tournage ?
Tourner en italien et improviser dans une langue qui n’est pas la mienne, c’était un vrai challenge. Puis les conditions (la boue, les poulies, les chevaux…), c’était physique ! On tournait en Italie avec des comédiens très aguerris comme Peter Lanzani, un immense acteur argentin, et en même temps avec des non-professionnels, des villageois qui n’avaient jamais vu une caméra de leur vie. Il fallait parfois ne faire qu’une prise, capter l’instant. C’était déstabilisant mais très vivant. Ce mélange d’énergie et de liberté, c’était vraiment beau à vivre.
Et vous avez aussi dû apprendre à monter à cheval…
Cela a constitué un vrai défi. Je n’avais jamais approché un cheval de ma vie. J’ai appris à galoper, mais pas dans un cadre protégé : en pleine nature. Ce n’était pas des chevaux de cinéma dressés, mais de vrais chevaux, avec leur sensibilité. J’ai eu des moments de peur, comme quand on galopait à deux et que je n’étais même plus sur la selle… Mais ça a nourri le personnage aussi. Rosa a ses propres peurs, ses hésitations, et je pouvais m’en inspirer.

“Quand j’ai lu le scénario de Rosalie, je me suis tout de suite dit que c’était un grand film.” Nadia Tereszkiewicz
Comment avez-vous vécu le fait de jouer dans des costumes d’époque (le récit se déroule à l’aube du 20e siècle) ?
C’était très physique. Mais justement, je trouvais ça très fort symboliquement. Au fur et à mesure du film, Rosa se débarrasse de ses couches et se libère. Les cheveux deviennent sauvages, les vêtements tombent… Il y a cette idée d’émancipation qui passe aussi par le corps, par le concret. Ça rendait l’expérience à la fois intense et profondément signifiante.
Qu’est-ce qui vous attire dans ces rôles de femmes d’époque, souvent en décalage avec les normes de leur temps et animées par une grande quête de liberté ?
On me propose aussi des rôles contemporains, mais je crois que j’ai une attirance particulière pour les rôles d’époque. Il y a quelque chose de fascinant dans le fait de voyager dans le temps et de se demander ce que cela signifiait d’être une femme en Italie dans les années 1890 par exemple…. Cela ouvre l’imaginaire et nous oblige à réfléchir à notre propre société avec un certain recul.
À ce sujet, quels souvenirs gardez-vous du tournage du film Rosalie, dans lequel vous donnez la réplique à Benoît Magimel ?
Quand j’ai lu le scénario de Rosalie, je me suis tout de suite dit que c’était un grand film. Il y avait quelque chose d’épique, de symbolique même. J’aime les récits initiatiques, les histoires qui portent un souffle romanesque. Ce sont des rôles qui me touchent profondément et me font rêver. Je trouve que les récits d’époque permettent souvent de parler de notre monde actuel. Le film Rosalie questionne aussi la gloire, l’ego, la manière dont certaines personnes s’approprient des combats ou des exploits qui ne sont pas les leurs pour briller, jusqu’à ce que ça leur retombe dessus. C’est très actuel, finalement.
Pile ou face ? (2025) d’Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, avec Nadia Tereszkiewicz, prochainement en salles.