Rencontre avec Monica Bellucci, muse éternelle et star de Beetlejuice Beetlejuice
Iconique, Monica Bellucci a mis son talent et sa beauté charnelle et fascinante au service des rôles féminins très diversifiés qu’elle a incarnés dans plus d’une soixantaine de films internationaux. Rencontre avec l’actrice italienne à l’occasion de la sortie, ce mercredi 11 septembre, du film Beetlejuice Beetlejuice de Tim Burton, et de la parution aux éditions Rizzoli du livre Monica par Dolce & Gabbana, qui revient sur sa collaboration de plus de trente ans avec l’illustre maison italienne, dont elle reste encore aujourd’hui la muse.
Les suites ne sont pas toujours indispensables, mais celle de Beetlejuice, le film de Tim Burton sorti en 1988, fait particulièrement envie. On y retrouve non seulement le casting original, mais aussi l’une des plus iconiques comédiennes contemporaines, qui illumine le cinéma français, européen et mondial depuis deux décennies : Monica Bellucci.
L’actrice à la carrière foisonnante, d’Irréversible à la saga Matrix, en passant par des collaborations avec Philippe Garrel et Claude Lelouch, se lance dans le registre de l’horreur, à la manière poétique et gothique du réalisateur d’Edward aux mains d’argent (1990). Avant la présentation événement de Beetlejuice Beetlejuice en ouverture de la Mostra de Venise, nous avons rencontré Monica Bellucci chez elle, à Paris, pour évoquer cette expérience hors norme.
L’occasion était d’autant plus belle que l’actrice est aussi au cœur d’une autre belle aventure. Depuis plus de trente ans, Domenico Dolce et Stefano Gabbana collaborent avec leur muse Monica Bellucci, qui incarne à leurs yeux l’emblème éternel de la beauté italienne. Le livre Monica par Dolce & Gabbana célèbre cette superbe histoire de travail et d’amitié.
L’interview de l’actrice Monica Bellucci, star de Beetlejuice Beetlejuice
Numéro : Que représente pour vous le livre Monica par Dolce & Gabbana, publié aux éditions Rizzoli et consacré à votre longue collaboration avec ces créateurs ?
Monica Bellucci : Je suis honorée que Domenico Dolce et Stefano Gabbana aient pensé à faire ce livre pour célébrer nos trente ans d’amitié. Car c’est vraiment l’amitié qui nous lie, une affection profonde se traduisant dans une relation de travail qui a donné naissance à toutes les images regroupées dans ce livre. Cet ouvrage est aussi le fruit du travail magnifique de Babeth Djian, qui a sélectionné, avec Domenico et Stefano, toutes les photos qui incarnaient le mieux notre collaboration. Babeth, qui maîtrise si bien l’art de mêler la sensualité et l’élégance, a vraiment su créer la magie de ce livre.
Dans les campagnes de Dolce & Gabbana comme dans leurs défilés des années 90, vous étiez déjà une actrice, plus qu’une mannequin : vous interprétiez des archétypes féminins italiens.
Tout à fait, le travail de Domenico et Stefano fonctionne comme ça. Je les ai découverts à travers les images de leur première campagne, quand j’étais encore une jeune mannequin. Cette campagne mettait en scène la mannequin Marpessa, elle était signée du photographe Ferdinando Scianna. Elle racontait vraiment la Sicile, la beauté du Sud. Ferdinando Scianna est un photographe sicilien qui connaît bien l’esprit de la Méditerranée [entré en 1989 à l’agence Magnum, il a documenté, à partir des années 60, le quotidien sicilien, puis, dans les années 80, a introduit dans ses images documentaires la mannequin Marpessa]. A l’époque, cette toute première campagne m’avait frappée, elle soufflait un vent nouveau. Elle abordait des thèmes ancestraux, la Sicile, la Méditerranée. Marpessa y débordait de sensualité. Elle portait du noir et une robe qui ne révélait pas particulièrement son corps, mais malgré cela, sa féminité était explosive. Dans cette première campagne magnifique, on sentait toute l’italianité de Domenico et Stefano. Depuis, leur marque a grandi et a évolué, mais ils sont restés absolument fidèles à ce caractère profondément italien.
“Avec Domenico Dolce et Stefano Gabbana, nous sommes connectés par un lien profond, un lien de cœur, qui nourrit une collaboration toujours renouvelée.”
Monica Bellucci
Votre travail avec Dolce & Gabbana a influé sur votre carrière d’actrice, puisque c’est en tournant l’une des campagnes de la marque que vous avez rencontré le réalisateur Giuseppe Tornatore, qui vous a ensuite appelée pour le film devenu culte Malèna.
En effet, Giuseppe Tornatore m’a filmée pour des campagnes Dolce & Gabbana. J’avais un immense respect pour lui parce que j’avais vu son film Cinema Paradiso (1989), un chef-d’œuvre qui, je pense, restera dans l’histoire du cinéma. À la fin du tournage, il m’a dit qu’il avait une idée de scénario en tête qu’il aimerait me voir incarner, et que s’il venait un jour à pouvoir la réaliser, il m’appellerait. Et des années plus tard, alors que je tournais Suspicion à Porto Rico avec Morgan Freeman et Gene Hackman, il m’a proposé le rôle de Malèna. Le film a eu un grand retentissement, il a été sélectionné pour les Golden Globes et m’a ouvert des portes à l’international. Il résonne encore très fort, parce qu’il touche des sujets intemporels : qu’éveille la beauté quand on la croise ? Elle éveille la curiosité, mais aussi la violence, l’obsession. Malèna est aussi un film sur la différence : dans le film, c’est sa beauté qui rend Malèna si différente, mais cela pourrait aussi être autre chose. Dans ce film, Giuseppe Tornatore s’est donc emparé d’un sujet ancestral, en quelque sorte. Et il m’a choisie pour le raconter. L’une des scènes est devenue absolument culte – j’ai vu des comédiennes et des chanteuses la rejouer en photo ou en vidéo sur Instagram: Malèna, devenue pauvre pendant la guerre, est contrainte de se prostituer, c’est tout ce qui lui reste pour survivre. Avec ses cheveux coupés, teints en rouge, elle s’asseoit dans un bar, porte une cigarette à ses lèvres, et tous les hommes se pressent pour l’allumer. Giuseppe Tornatore, en s’intéressant à ce que la beauté a de primordial, a lui-même créé un archétype.
Commencée dans les années 90, votre collaboration avec Dolce & Gabbana perdure jusqu’à aujourd’hui, un fait très rare dans l’univers de la mode.
Domenico et Stefano ont bien sûr beaucoup de muses, et moi-même je collabore avec d’autres créateurs, mais nous sommes toujours connectés par un lien profond, un lien de cœur, qui nourrit une collaboration toujours renouvelée.
“Chaque jour, je passais trois heures au maquillage, mais cela ne m’a posé aucun problème.”
Monica Bellucci
Beetlejuice Beetlejuice arrive. Grande nouvelle, vous êtes dedans ! Comment est-ce arrivé ?
Monica Bellucci : Tim m’a simplement dit qu’il pensait à moi pour un rôle-clé dans son film. Je suis heureuse et honorée de faire partie d’un casting aussi brillant, avec les acteurs et actrices du film original, Winona Ryder, Catherine O’Hara et Michael Keaton, mais aussi Jenna Ortega. Trois générations de femmes sont représentées. Je joue le rôle de l’épouse de Beetlejuice, Delores. Notre séparation va survenir d’une manière très particulière que je ne peux pas vous raconter. [Rires.] Ce qui lie ces deux personnages, c’est leur noirceur. Je suis une suceuse d’âme dangereuse, une vraie méchante, qui agit après la vie… Je m’occupe des gens morts, mais pas dans le bon sens du terme !
Vous apparaissez transformée…
Oui, je joue une femme pleine de cicatrices. Chaque jour, je passais trois heures au maquillage, mais cela ne m’a posé aucun problème. Artistiquement, de la création du personnage aux costumes magnifiques de Colleen Atwood, Beetlejuice Beetlejuice a été une expérience incroyable. Dans un film de Tim Burton, sur le plateau, tout est impressionnant, notamment les décors. Comme il n’utilise pas beaucoup d’effets spéciaux numériques, il crée l’illusion autrement. Tu as de vrais monstres devant toi. Cela aide à réagir avec sincérité. Sur les tournages en fond vert, à l’inverse, tu dois imaginer des objets et des êtres qui ne sont pas là, et c’est plus compliqué.
Comment définiriez-vous l’univers de Tim Burton ?
Choquant, drôle, poétique… Ses films touchent toutes les générations, des enfants aux personnes âgées, car Tim arrive à créer des situations imprévisibles. C’est pour cela qu’il est unique. Il fait beaucoup de dessins, ce qui rend le travail avec lui encore plus fascinant. Pour lui, les méchants comme les gentils ont un côté pur et naïf, mais aussi très onirique. C’est le cas de mon personnage, auquel on s’identifie facilement. Dans la vie, nous avons tous des cicatrices, chacun fait comme il peut pour y survivre.
“Tim Burton met en lumière les êtres qui n’entrent pas dans les cases. Pour lui, c’est une philosophie.”
Monica Bellucci
Ce qui différencie Tim Burton des autres, c’est sa capacité à faire entrer du réalisme dans un monde très onirique.
Une vérité surgit dans un univers très construit, et même parfois maniéré. Souvent, une exagération nous est demandée dans le jeu, mais Tim parvient à donner de l’humanité à tout. Ses films paraissent loin de la vie, mais les sentiments y sont vrais : je me souviens par exemple de la beauté d’Edward aux mains d’argent. C’est comme si Tim arrivait à révéler les « monstres » en nous, pas forcément dans le sens horrifique mais plutôt au sens du terme latin « monstrum », qui signifie littéralement « ce qui est différent ». Tim Burton met en lumière les êtres qui n’entrent pas dans les cases. Pour lui, c’est une philosophie.
L’idée d’être différente est ancrée en vous ?
Oui. Il m’est arrivé de jouer des rôles de femmes qui vivent dans un monde dominé par les hommes et qui doivent survivre à cela. Je pense à Malèna (2000), La Passion du Christ (2004), Irréversible (2002)… J’ai aussi traversé des univers influencés par la bande dessinée, dans Dobermann (1997), Le Pacte des loups (2001), Shoot ’em Up (2007), Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002), Les Frères Grimm (2005) et même James Bond, qui avait ce côté-là. J’ai souvent joué des personnages larger than life. Mais le gothique, c’est la première fois.
Appréciez-vous particulièrement l’univers de la bande dessinée ?
J’ai appris à lire avec la bande dessinée, j’aime les histoires fortes et métaphoriques qu’elle propose, comme si l’exagération racontait mieux la réalité. J’ai peut-être été sollicitée par des cinéastes qui aiment ce style à cause de mon apparence physique, lorsque j’étais jeune. Mon corps ouvrait l’espace à ce genre de choses. Maintenant, avec le corps d’une femme plus adulte, je peux donner vie à des personnages différents.
“Malgré les cicatrices, Delores (personnage de Beetlejuice Beetlejuice) conserve une forme de beauté.”
Monica Bellucci
L’histoire du cinéma a souvent vu des cinéastes filmer la femme avec laquelle ils partagent leur vie. Dans ce sens, Beetlejuice Beetlejuice est un projet particulier pour vous.
En fait, le rôle de Delores n’était pas écrit pour moi. Le scénario existait déjà quand j’ai rencontré Tim, en novembre 2022. Au départ, il n’était même pas sûr de pouvoir tourner ce film, mais finalement cela s’est débloqué et il était heureux, car il l’avait en tête depuis longtemps. Je suis arrivée dans ce contexte. Je dirais qu’il m’a choisie, mais aussi que nous nous sommes choisis pour tourner ensemble. Cela a donné ce personnage, qui n’est pas un monstre classique, mais une créature. Malgré les cicatrices, Delores conserve une forme de beauté.
Vous aimez ce mot, créature ?
Une créature sort de l’ordinaire, alors oui ! Surtout qu’on peut y mettre tous les imaginaires : on peut y associer de la beauté, mais c’est aussi le monstre de Frankenstein. [Rires.]
Avez-vous regardé beaucoup de films pour préparer le tournage de Beetlejuice Beetlejuice?
Tim m’a montré des films de Mario Bava [maître du cinéma d’horreur italien des années 60 et 70] dont il adore les décors et les images. Il m’a aussi conseillé de vieux films mexicains et espagnols des années 50 et 60. J’ai découvert la première version de Docteur Jekyll et M. Hyde, réalisée par Rouben Mamoulian en 1931, qui a valu à Fredric March l’Oscar du meilleur acteur. Absolument magnifique. Je suis entrée dans un genre de cinéma inconnu pour moi, alors que j’ai vu pas mal de films dans ma vie. Jeune, je pouvais en regarder trois par jour. Je pense que je possède une belle palette. J’apprécie beaucoup le cinéma classique, de la fin des années 30 aux années 60. Mon œil a toujours eu besoin d’images et de photographies.
“La magie du cinéma, c’est d’entrer dans une salle et de partager une émotion.”
Monica Bellucci
On n’imagine pas toujours les acteurs et les actrices de cette manière.
On voit surtout les tapis rouges, les robes. Ça me va : je viens de la mode et j’ai du respect pour le travail derrière une robe. Mais le tapis rouge, c’est la cerise sur le gâteau de l’expérience du cinéma.
La mode participe de plus en plus à la vie du cinéma.
Les grandes maisons sont très présentes aujourd’hui dans l’art en général, comme Cartier, avec qui je travaille. Le cinéma a besoin de toutes ces forces. On a eu peur collectivement à la sortie du Covid que les gens s’en éloignent et se tournent vers les séries disponibles à la télévision. Il y a des séries magnifiques, je viens d’ailleurs de tourner Ça, c’est Paris avec Marc Fitoussi, dans laquelle je joue une meneuse de revue. Mais la magie du cinéma, c’est d’entrer dans une salle et de partager une émotion. Certains soirs, il m’arrive même d’y aller seule, au milieu des autres spectateurs, c’est un moment très profond pour moi.
Pourquoi faut-il aller voir Beetlejuice Beetlejuice ?
Dans Beetlejuice Beetlejuice, on sent le côté enfant rebelle de Tim Burton. Il est encore une fois fidèle à lui-même et parvient à réaliser un film qui peut être à la fois grand public et marqué par sa patte d’auteur… Cela me plaît beaucoup.
La rébellion, cela vous parle ?
Je suis une rebelle silencieuse. [Rires.] Les femmes se rebellent beaucoup en ce moment par rapport au passé. Dans le film de Tim, on le ressent. Les personnages féminins ont beau parfois se faire la guerre, on sent de l’amour entre elles et une grande complicité. Dans un moment comme celui-là, où les femmes ont un vrai impact social, cela prend tout son sens.
Beetlejuice Beetlejuice (2024) de Tim Burton, avec Monica Bellucci, actuellement au cinéma.