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Pourquoi Letterboxd, le réseau social des cinéphiles, passionne les stars
Créé en 2011 en Nouvelle-Zélande, Letterboxd est devenu le réseau social incontournable des cinéphiles. Ce véritable carnet de bord qui permet à tout le monde de noter des filmsséduit aujourd’hui aussi bien les critiques que les stars comme Charli xcx…
par Alexis Thibault.

Letterboxd, une plateforme devenue un phénomène mondial
Cela ne devait être qu’un jouet : un carnet de bord numérique, pensé comme un refuge pour cinéphiles obsessionnels. C’est du moins ce qu’imaginent les Néo-Zélandais Matthew Buchanan et Karl von Randow lorsqu’ils lancent Letterboxd en octobre 2011. Présenté à New York, lors de la conférence Brooklyn Beta, rendez-vous emblématique des créateurs du web, le site s’ouvre au public en 2012 puis devient accessible à tous en février 2013.
Comme souvent avec les idées qui durent, le concept est d’une simplicité désarmante : offrir aux amateurs du septième art la possibilité de cartographier leurs visionnages, d’archiver leurs films comme on conserve des images dans un album photo. Ici, on note les films — de 0,5 à 5 étoiles —, on commente, on rédige des critiques désinvoltes, on compose des listes thématiques (films de clowns, cinéma dans le désert, héroïnes badass…). Sur Letterboxd, chacun bâtit son propre panthéon et contribue à ce vaste fanzine collectif.
Très vite, la plateforme devient une référence implicite pour toutes les autres. Journalistes, critiques, acteurs, réalisateurs ou simples spectateurs : tous succombent à la vitalité démocratique du dispositif. Aucune modération éditoriale pesante. Ici, la ferveur d’un amateur peut croiser l’analyse d’un professionnel. Dans une époque où les opinions se dissolvent dans la viralité, cette horizontalité assumée agit comme un manifeste. Le spectateur reprend la parole.

L’évolution fulgurante de Letterboxd
Le triomphe de Letterboxd repose sur une idée subtile : la reconnaissance mutuelle du regard. Dans un monde saturé d’algorithmes, la plateforme se présente comme un salon virtuel où chacun revendique sa propre grammaire du goût. Comme l’observe Le Monde, l’application fonctionne à la fois comme un réseau d’affinités et comme une “carte de visite cinématographique” : un autoportrait en films, minutieusement composé à coups d’étoiles, de listes et de commentaires plus ou moins inspirés.
En septembre 2025, la plateforme revendique plus de vingt millions d’utilisateurs inscrits. Certains films atteignent des scores presque liturgiques : Barbie (2023) devient le premier à franchir le cap des cinq millions de “logs”, autant d’actes de visionnage revendiqués. Dans le panthéon des œuvres les mieux notées trônent Le Parrain (1972), Parasite (2019), Everything Everywhere All at Once (2022), Requiem pour un massacre (1985), Spider-Man: Across the Spider-Verse (2023) et Harakiri (1962).
Ce geste d’archivage devient aussi un acte social. On s’y suit, on s’y “like”, on s’y interpelle par fragments, dans un continuum d’opinions qui tient autant du café du commerce que du colloque universitaire. Mais derrière cet idéal communautaire s’insinue une dimension ludique, presque compétitive : il faut voir plus pour exister plus. Chaque film ajouté se mue en insigne symbolique, chaque liste en affirmation d’identité. Une question demeure : regarde-t-on des longs-métrages encore pour ressentir, ou désormais pour comptabiliser ?

Charli xcx, Martin Scorsese… Les stars succombent à Letterboxd
Reste que Letterboxd s’est imposé comme un baromètre critique. Festivals, distributeurs, cinémas, podcasts — tous y tiennent aujourd’hui leurs comptes publiant sélections et recommandations comme autant de gestes de connivence avec le public. Et désormais, même les stars s’y invitent…
La séduction de Letterboxd a fini par contaminer ceux qui, d’ordinaire, incarnent l’objet du culte plutôt que sa pratique. Désormais, les artistes eux-mêmes s’y livrent à un exercice d’admiration publique, comme pour réaffirmer leur appartenance à la tribu cinéphile.
Parmi les exemples les plus commentés : Charli xcx. En décembre 2024, une “fuite” de son compte (@itscharlibb) révèle son activité assidue sur la plateforme. On y découvre une Charli critique, presque curatrice, distribuant des cinq étoiles au film Au hasard Balthazar (1966) de Robert Bresson ou à The Bling Ring (2013) de Sofia Coppola. Piquée au vif, l’artiste efface ses notes inférieures à la perfection, laissant dans sa bio un mot d’esprit lapidaire : “My account got leaked i guess.” Cela lui permet en tout cas de devenir crédible pour lancer sa carrière d’actrice.
Les artistes ne se contentent plus d’être filmés mais revendiquent désormais un regard. Et ce jeu de miroirs s’étend bien au-delà de la pop expérimentale. Les actrices Ayo Edebiri et Margot Robbie ont aussi eu des comptes. Sur Letterboxd, les figures tutélaires du septième art — Martin Scorsese, Francis Ford Coppola ou Ari Aster — cultivent également leur présence. Leurs listes et recommandations circulent comme des textes sacrés, disséqués… et surtout commentés. Et Paul Thomas Anderson a un compte secret.