Les multiples vies de Nick Cave au cinéma: de Brad Pitt à Wim Wenders
Qualifié aujourd’hui comme une rock star légendaire, le musicien australien s’illustre aussi bien par ses bonds furieux sur scène que ses apparitions au cinéma. Écrivain à ses heures perdues, Nick Cave est aussi, entre ses tournées avec son groupe Nick Cave And The Bad Seeds, et ses enregistrements de bande-originales de films, acteur et scénariste. En ce moment sur MUBI, le documentaire “20 000 jours sur Terre”, de Iain Forsyth et Jane Pollard, le suit au cours de la création de l’un de ses albums.
Par Margaux Coratte.
“À la fin du 20e siècle, j’ai cessé d’être humain. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. C’est comme ça.” Tels sont les mots qui ouvrent le film de Iain Forsyth et Jane Pollard. Sorti en 2014, juste un an avant la mort accidentelle d’un de ses fils, 20 000 jours sur Terre suit à la trace le rockeur aux cheveux noirs, n’épargnant ni son lever du lit, ni ses séances de psy, sans oublier les visites aux amis – tableau masculin vieillissant, martelé par l’alcool et les drogues. Derrière la légende se dévoile finalement une routine presque banale. “Dans la vie, tout est question de contrepoint.” Répétant la phrase comme un mantra, Nick Cave raconte comment il s’est longtemps satisfait d’un équilibre absurde. Avant chaque dose d’héroïne, il se rendait à l’église. Comme si la bonne action allégeait la mauvaise. Dans la création, sa pondération se situe ailleurs. Artiste complet, l’homme touche à tout et sa musique s’efface parfois au profit de l’écriture ou du cinéma.
La musique comme porte d’entrée au cinéma
Année 1988. En même temps que sort son premier recueil de poèmes King Ink, Nick Cave signe le scénario et la bande-originale du film de son ami John Hillcoat, Ghosts… of the Civil Dead. Les deux hommes entament alors le début d’une longue relation artistique. Ensemble, ils réaliseront les clips des différents groupes du rockeur, mais aussi cinq long-métrages, dont le plus connu, Des Hommes sans loi (2012), suit le parcours véreux des frères Bondurant pendant la période de la prohibition aux États-Unis. Nick Cave approche alors le cinéma sous trois angles : la musique, l’écriture et le jeu d’acteur. Auteur de nombreuses bande-originales – pour Le Peuple migrateur (2001) de Jacques Perrin, L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) d’Andrew Dominik ou Mustang (2015) de Deniz Gamze Ergüven –, il collabore notamment avec les musiciens Mick Harvey, Blixa Bargeld ou Warren Ellis.
Avec son visage anguleux et ses cheveux plaqués en arrière, Nick Cave ne manque pas de charisme. Si ses apparitions devant la caméra ne sont pas aussi nombreuses que celles de Marilyn Manson ou de Mick Jagger, elles n’en restent pas moins marquantes. Dans Les ailes du désir (1987), Wim Wenders incarne à travers lui sa passion pour le rock. Au détour d’une rue, les anges du film passent devant des affiches de concert, jusqu’au moment de grâce où, Nick Cave and The Bad Seeds, groupe alors méconnu, surgit sur scène. Dans une salle à la pénombre brumeuse, le chanteur, sorte d’épouvantail mystérieux, réussit presque à voler la vedette à Bruno Ganz. Pendant quelques minutes, les spectateurs n’ont d’yeux que pour lui et sa musique envoutante. Nick Cave se forge dès lors une image de musicien poreux, navigant entre les médiums. Si Les ailes du désir marque sa première venue sur le grand écran, il ne lui procure pas encore le statut d’acteur, puisque l’artiste y joue son propre rôle.
À la frontière entre fiction et réalité
Le caméo est la marque de fabrique des musiciens au cinéma. Que ce soit Iggy Pop dans les films de Jim Jarmusch, David Bowie dans Moi, Christiane F, ou encore Keith Reichards dans Pirates des Caraïbes : Jusqu’au bout du monde, tous ont accepté de prêter leur image au septième art. Au lieu de s’inventer acteurs, les musiciens jouent surtout du culte que leur vouent les spectateurs : leur simple présence suffit à animer l’écran. En ce sens, Nick Cave ne déroge pas à la règle. S’il joue son propre rôle dans plusieurs films, il plante aussi des personnages de musiciens que l’on ne fait qu’entre apercevoir, au détour d’un plan. C’est notamment le cas dans Les Beaux Jours d’Aranjuez (2016) de Wim Wenders, où on le voit quelques minutes en pianiste-spectre éthéré.
En 1991 sort Johnny Suede, de Tom DiCillo. Brad Pitt y incarne Johnny, un hurluberlu à la coupe banane poussée à l’extrême. Si le film est de peu d’intérêt, il a le mérite de réunir la star américaine et Nick Cave, tout aussi chevelu, en blond cette fois-ci. Certes, le rôle offre au rockeur un vrai jeu d’acteur, mais il n’en reste pas moins celui d’un musicien. Pareil pour L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (2007) d’Andrew Dominik. Nick Cave au cinéma, c’est avant tout Nick Cave chanteur, pianiste, ou guitariste. Même à l’écran, la musique reste le cœur de son œuvre.
C’est donc en brouillant la frontière entre fiction et réalité que Nick Cave s’amuse dans les films. Grâce au documentaire, on découvre réellement qui se cache derrière les albums Tender Prey (1988) et The First born is dead (1985). 20 000 jours sur Terre fait d’ailleurs office de journal intime pour la star. En 2016, c’est avec un tout autre ton qu’est réalisé One More Time With Feeling, un documentaire d’Andrew Dominik. Le film revient sur la genèse de l’album Skeleton Tree, profondément marqué par la mort d’un enfant de l’artiste. Les images semblent alors faire office de thérapie pour l’homme et sa famille endeuillée. Si Nick Cave entretient une vie cinématographique, il en profite pour se construire une image de légende, aussi bien sur scène qu’à l’écran. En acceptant d’être ainsi filmé, couché, dans son studio, avec sa femme ou ses amis, l’artiste confère au septième art une place de premier plan dans son quotidien : Nick Cave au cinéma, c’est Nick Cave musicien.
20 000 jours sur Terre (2014), de Iain Forsyth et Jane Pollard. Disponible sur MUBI.