21 déc 2025

À Séoul, l’hôtel Paradise City abat les frontières de l’art contemporain

À quelques minutes de l’aéroport de Séoul, le luxueux hôtel Paradise City regorge de nombreux chefs-d’œuvre, signés Damien Hirst, Yayoi Kusama ou Jeff Koons. Vice-présidente du Paradise Group, la collectionneuse Elizabeth Chun entend faire de ce lieu une destination phare pour la culture et l’émerveillement.

  • Par Matthieu Jacquet.

  • Paradise City : un hôtel devenu incontournable pendant Frieze

    Depuis le lancement de la foire Frieze Seoul en 2022, la semaine de l’art à Séoul ne commence pas au cœur de la capitale coréenne, mais à seulement quelques minutes de son aéroport international. C’est là, sur l’île d’Incheon, que la fine fleur du monde de l’art et de la culture se retrouve chaque début du mois de septembre, en avant-première, pour assister à la Paradise Art Night. Au programme : le vernissage d’une exposition d’art contemporain, un dîner concocté par un chef étoilé et des performances. Le tout organisé par la collectionneuse Elizabeth Chun dans les espaces du Paradise City, immense resort de luxe du groupe Paradise – dont elle est la vice-présidente.

    Tenue le 1er septembre dernier, comme de coutume deux jours avant l’ouverture de la foire, la dernière édition avait de quoi séduire ses invités : sur une scène circulaire, le danseur étoile Hugo Marchand de l’Opéra de Paris livrait sa propre interprétation du Clair de lune de Debussy, avant d’être rejoint par sa consœur Hannah O’Neill, pour un duo émouvant sur une chorégraphie d’Angelin Preljocaj, présageant une soirée sous le signe de la poésie.

    Une fois encore, l’événement a réussi à attirer de nombreux autres acteurs du monde de l’art, mais aussi des sommités de la péninsule est-asiatique, comme les membres des plus célèbres groupes de K-pop – BTS et Blackpink – ou encore les acteurs Park Seo-joon et Lee Min-ho, tous invités à parcourir l’hôtel et ses chefs-d’œuvre. Flamboyante vitrine du groupe Paradise depuis son inauguration en 2017, Paradise City l’est en effet aussi sur l’art contemporain.

    De Damien Hirst à Yayoi Kusama, des artistes stars du marché

    Dès l’entrée dans le lobby, l’image est on ne peut plus claire : un cheval ailé, au corps à moitié rouge écarlate et à moitié or, trône sur un socle, baigné par la lumière qui traverse la coupole au-dessus de lui. Réalisée par nul autre que Damien Hirst, cette sculpture d’un Pégase triomphant – seule version en or qu’il a réalisée – témoigne de l’amitié de longue date que la star de l’art britannique entretient avec Elizabeth Chun.

    À quelques pas, une citrouille jaune à points noirs géante de Yayoi Kusama se tient au carrefour des différentes ailes de l’établissement, notamment de la façade écarlate de son casino. Icône de la célèbre “dame à pois” japonaise, l’œuvre incarne tout à fait, aux yeux de la collectionneuse, l’ambition de Paradise City : “Voir des familles prendre des photos devant et partager leur joie devant elle sur les réseaux sociaux confirme que nous abaissons les barrières de l’art contemporain. Désormais, les enfants nous surnomment même le ‘Pumpkin Hotel’.” À ses côtés, on pourra entendre dans la journée jouer une harpiste et même voir défiler une parade, faisant de l’hôtel un véritable lieu de vie.

    Au fil de notre promenade dans l’immense domaine – qui contient notamment des restaurants, un spa, un parc à thème, un centre commercial et un espace d’exposition de plusieurs étages –, on croisera, entre autres, un Hercule à la boule bleue de Jeff Koons, deux mascottes de Kaws hautes de 6 mètres enlacées, un large miroir concave d’Anish Kapoor, et même un arc-en-ciel d’Ugo Rondinone au fond d’une boutique. Toutes issues de la collection d’Elizabeth et de son mari Phillip Chun, ces œuvres témoignent d’un goût certain pour l’art occidental et les coqueluches de son marché.

    Elizabeth Chun : une esthète au goût très international

    Une affinité que l’on pourrait sans doute rattacher à l’enfance très internationale de la Coréenne. Née aux États-Unis, la collectionneuse grandit entre le Japon et le Canada, avant de s’installer en Corée du Sud. Auprès de son beau-père, fondateur des casinos Paradise puis du premier hôtel Paradise à Pusan en 1981, elle commence à s’intéresser au rôle joué par l’art dans l’expérience des visiteurs.

    Dans les années 2000, elle devient conseillère pour le plus grand projet du groupe Paradise : la construction de Paradise City sur un terrain de plusieurs milliers de mètres carrés à côté de l’aéroport. Dès le départ, l’idée d’“art-tainment” est au cœur de ce lieu destiné à accueillir une clientèle haut de gamme très internationale, mais aussi des familles coréennes de passage pour la journée.

    Une collection riche de nombreux chefs-d’œuvre

    La spaciosité du bâtiment permet aux artistes de proposer leurs pièces les plus monumentales, mais elles doivent rester ludiques et accessibles. C’est ainsi que l’on y croise la plus large spot painting de Damien Hirst – 9 m de large –, tandis que le célèbre fauteuil Proust du designer Alessandro Mendini a été réinterprété pour l’occasion en version XXL (4,5 m de haut), avec un motif inspiré par l’art traditionnel coréen.

    Mais tous les trésors d’Elizabeth Chun ne s’offrent pas à la vue des visiteurs. Dans les espaces plus privés de Paradise City, la collectionneuse garde aussi un remarquable Philip Guston, deux toiles de Botero ou encore un grand portrait réunissant les artistes Rashid Johnson et Sanford Biggers par Kehinde Wiley – Johnson était d’ailleurs ravi de voir l’œuvre ici, nous confie-t-elle. Car, si son dîner annuel et ses expositions temporaires permettent à l’hôtel d’attirer des invités de marque et des artistes de renom, son succès est aussi révélateur d’une transformation récente de la capitale sud-coréenne en une destination majeure pour l’art contemporain.

    Séoul, nouvelle capitale de l’art contemporain ?

    Aujourd’hui, Séoul accueille des antennes des plus puissantes galeries internationales, de Pace à White Cube en passant par Ropac. Cette année, la semaine de Frieze était rythmée par de nouvelles expositions de grande envergure, comme la rétrospective de l’icône de l’art coréen Lee Bul au Leeum Museum of Art et un projet d’ampleur du sculpteur argentin Adrián Villar Rojas au centre d’art Sonje.

    Forte de cette ouverture vers l’Occident, la Corée du Sud ne risquerait-elle pas, toutefois, d’en oublier son ADN – alors que l’art contemporain coréen reste, rappelle la collectionneuse, encore “sous-évalué” ? Passionnée par l’éducation et inquiète – comme beaucoup de ses concitoyens – du très faible taux de natalité de son pays, Elizabeth Chun s’implique beaucoup auprès des trois écoles d’art créées, dès 1980, par la Fondation culturelle Paradise, qu’elle préside.

    Comme le lycée d’arts Kaywon, dont les élèves ont eu la chance de rencontrer Jeff Koons et Nam June Paik, mais aussi de voir répéter Hugo Marchand et Hannah O’Neill lors de leur venue. Des opportunités facilitées par la collectionneuse, qui tient à ce que la nouvelle génération de Sud-Coréens s’ouvre au monde, tout en se cultivant sur son histoire afin de créer sa propre identité.

    “Le secteur artistique se dote aujourd’hui de piliers solides dans notre pays : la force d’expérimentation d’espaces alternatifs, la qualité de l’éducation, la stratégie des musées publics. (…) Maintenant dans sa quatrième édition, Frieze Seoul n’est plus un événement éphémère mais fait partie intégrante de notre écosystème culturel. J’espère que cela marque le début d’un nouveau chapitre : celui où l’art contemporain coréen passe du rêve à la réalité.”

    Paradise City, Incheon, Corée du Sud.