Histoire d’un duo légendaire de l’art : Niele Toroni et Marian Goodman
Figure tutélaire de l’art minimal, célèbre pour ses empreintes de pinceau n°50 se multipliant sur ses toiles, Niele Toroni développe dès 1989 une amitié avec la grande galeriste new-yorkaise. Il est d'ailleurs jusqu'au 25 juillet à l'affiche d'une exposition dans son espace parisien, au sein de laquelle il présente des toiles récentes. Récit d'une rencontre et d'un duo professionnel et amical.
Par Anaël Pigeat.
Parmi les artistes avec lesquels Marian Goodman a developpé une amitié forte, figure évidemment Niele Toroni, Suisse installé à Paris depuis 1959, l’un des fondateurs du groupe BMPT (Buren-Mosset-Parmentier-Toroni), souvent associé à l’art minimal et parfois même (à tort) à l’art conceptuel. Ce monstre sacré, qui dit faire de la peinture contemporaine avec des outils traditionnels, se présente comme peintre plutôt qu’artiste. Depuis 1967, il pose sur différents supports ses empreintes de pinceau n°50, un pinceau plat et large de 5 cm. Disposées à intervalles réguliers de 30 cm, elles déploient d’infinies variations par leur couleur, l’épaisseur de la peinture et la nature du support : tissu, toile cirée ou simple mur. Cet univers de fantaisie paradoxale a pour effet, selon ses propres termes, de “marquer le lieu, le remarquer et ainsi le révéler”.
Dès l’inauguration de sa galerie à New York en 1977 (elle en ouvrira une autre à Paris en 1999), Marian Goodman travaille à faire connaître en Amérique un ensemble d’artistes réputés en Europe : Giovanni Anselmo, Christian Boltanski, Marcel Broodthaers… Un peu plus tard, elle élargit ses choix à des jeunes gens encore inconnus, comme Steve McQueen et Anri Sala. Concernant Niele Toroni, la première exposition chez Marian Goodman à New York a lieu en 1989. “Elle avait dû voir mon boulot il y a longtemps, et elle s’est intéressée à moi. Je travaillais à ce moment-là à New York. J’avais déjà fait une exposition à la galerie John Gibson en 1974”, raconte-t-il. À cette époque, Marian Goodman découvre dans les travaux du peintre des enjeux majeurs. Comme elle le confiait à la conservatrice Lynne Cook, en 2007 : “Il est certain que Niele Toroni et Giovanni Anselmo ont leur place parmi les artistes fondateurs qui ont commencé à travailler dans les années 60. Comme beaucoup d’entre eux, ils ont contribué à un changement radical dans la notion d’avant-garde. Identifié au tournant des années 60-70, ce changement s’est manifesté par un questionnement des traditions et des valeurs établies dans tous les aspects de la vie – personnel, social, philosophique, éthique, politique, éco- nomique, culturel, esthétique. Cette réévaluation a donné lieu à la période de changement la plus profonde du xxe siècle – monde de l’art inclus. De nombreuses générations ont depuis bénéficié de ces nouvelles approches de l’art. C’est une immense réussite – et ils font toujours des œuvres importantes aujourd’hui.”
La confiance s’installe rapidement entre l’artiste et la galeriste, et se double d’une profonde amitié : “Marian est une femme agréable et intelligente. J’ai toujours été content d’exposer chez elle à New York parce qu’elle m’a toujours permis de faire ce que je voulais, comme je voulais, quand je voulais !” Plusieurs expositions se succèdent, en 1991 (Andata e Ritorno), en 1997, puis en 2003. “Marian nous invitait, ma femme et moi, on allait passer quelques jours chez elle, l’été”, dit encore Niele Toroni. En 2015, ils sont dans le bureau de la galerie new-yorkaise, au moment de l’exposition du peintre au Swiss Institute : “Celui qui rit vraiment, c’est ce gentleman. Il me chuchote toujours des choses à l’oreille”, écrit Marian Goodman malicieusement sur le compte Instagram de la galerie.
Un nouveau chapitre dans leur histoire artistique commune s’ouvre en 2016 : “À Paris, j’ai travaillé toute ma vie avec Yvon Lambert. Quand il a fermé sa galerie, il était évident que je rejoindrais celle de Marian”, explique l’artiste suisse. En passant, sa première exposition rue du Temple, a lieu en 2016. Nicolas Nahab, l’un des directeurs, raconte que l’année suivante, apprenant qu’un déjeuner était organisé avec l’équipe pour le 80e anniversaire de Niele, Marian a sauté dans un avion et traversé l’Europe pour y être présente. D’anniversaire en anniversaire… En 2017 toujours, Niele Toroni, qui n’avait pu se rendre à New York pour la fête des 40 ans de la galerie, a demandé s’il pouvait s’emparer de l’espace d’exposition qui jouxte la librairie parisienne. Et il a déposé sur les murs “40 Empreintes de pinceau n°50” pour rendre à Marian Goodman le plus amical des hommages.