Faites corps avec la nouvelle exposition de la Gaîté Lyrique

C’est l’hésitation, qui, avant tout, marque les premiers pas des visiteurs dans l'exposition Faire corps à la Gaîté Lyrique. Hésitation à retirer ses chaussures, hésitation à fouler ces lumières qui rendent vivant le sol tapissé de moquette, hésitation à effleurer, toucher, plonger dans les oeuvres d’Adrien M & Claire B. Le silence et la pénombre deviennent rois, dans cet espace où le claquement des talons sur le sol ont disparu, où seuls persistent les chuchotements et les rires discrets des visiteurs. Un contexte qui favorise l’immersion avec les faisceaux de lumières narquois.

Face à certaines oeuvres exposées à la Gaîté Lyrique, impossible de nier que le duo formé par l’informaticien Adrien Mondot et la plasticienne Claire Bardainne depuis 2010 puise directement son inspiration dans les scènes de la vie sauvage. Anamorphose spatiale trace par exemple les ondulations d’une calme rivière au sol, dont les lignes s’agitent au contact des pas de visiteurs et donnent ainsi l’impression de fouler la surface de l’eau. Dans une autre veine, Nuées mouvantes transforme les corps en de véritables essaims d’abeilles, à l’aide d’une caméra Kinect – permettant de contrôler une interface sans utiliser de manette – et d’un vidéoprojecteur. Le visiteur s’amuse dès lors à se mouvoir, timidement d’abord, avec plus d’assurance ensuite, face à cette version allégée de son propre corps qui lui laisse une délicieuse sensation de délicatesse. Au fil de l'exposition, Adrien M & Claire B montrent leur manière singulière de réinventer les lois physiques sur écran numérique, comme l’illustrent leurs Organismes typographiques – trois aquariums renfermant une faune et une flore animés par le souffle des visiteurs.

C’est dans une salle plongée dans le noir que l’exposition atteint son point d’acmé. Core, créée pour la Gaîté Lyrique, est une pièce à la fois contemplative et poétique, où les visiteurs peuvent s’allonger sur la moquette, en espérant ne plus jamais la quitter. Sur les quatre murs immenses, des lignes blanches projetées dessinent des vagues, des formes abstraites et sembleraient presque flotter dans leur danse hypnotisante. L’oeuvre est sublimée par la composition sonore planante d’Olivier Mellano, déjà remarqué à la bande originale du long-métrage d’animation La Jeune Fille sans Mains de Sébastien Laudenbach (2016). Un chant de femme, semblable à celui d’une sirène, suffit à rompre une bonne fois pour tout lien unissant le visiteur au monde réel. L’envoûtement est total.

Une manière singulière de réinventer les lois physiques sur écran numérique.

Présentes partout dans l'exposition, les formes géométriques et abstraites, qu'elles soient grandes ou petites, sont une constante du travail de la compagnie lyonnaise d'Adrien M & Claire B. Déjà en 2013, leur performance Hakanaï (du japonais “fragile”, “évanescent” ou “transitoire”) mettait en scène une danseuse enfermée dans un cube dont les parois étaient bousculées par des images en mouvement : un véritable enchevêtrement entre le corps et la technologie, teinté de mysticisme. “Chaque installation est comme un petit théâtre pour un spectateur qui permet de ressentir quelque chose de l’ordre d’un animisme numérique” déclarait déjà en 2019 Claire Bardainne à propos de l’exposition Mirages & Miracles à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence. Faire corps, l'un des projets les plus ambitieux du duo à ce jour, ne déroge pas à la règle. Car si cette nouvelle exposition cherche à provoquer une expérience aux mille et unes sensations, ses artistes n’en cachent nullement les artifices pour autant. À ce titre, le vendredi 28 février, Claire Bardainne et Adrien Mondot seront présents à la Gaîté Lyrique afin de dévoiler les coulisses de l’exposition et, surtout, de sa création. 

Adrien M & Claire B, Faire corps, jusqu'au 3 mai à la Gaîté Lyrique, Paris 3e.