Comment l’artiste Laia Abril explore l’histoire du viol
Après “On Abortion“, le premier chapitre de son œuvre sur l’histoire de la misogynie, l’artiste Laia Abril présente “On Rape“, un corpus de photographies et de témoignages poignants retraçant l'histoire du viol à la galerie Les Filles du Calvaire. À voir jusqu’au 22 février.
Le drame du viol
Espagne, 2018. Cinq hommes violent une femme de 18 ans et sont remis en liberté par le tribunal espagnol. Illustration d’une violence banalisée, cet événement inspire une jeune artiste espagnole, Laia Abril : baptisé On Rape, son travail mêlant recherches, témoignages et photographies est actuellement présenté à la galerie Les Filles du Calvaire.
Dès le rez-de-chaussée de cette galerie parisienne, le visiteur est invité à découvrir une installation aux airs de mausolée : de nombreux vêtements, photographiés individuellement, habillent les murs à travers de grands tirages en noir et blanc. Souvenirs tragiques, ces robes, chemises et pantalons appartenaient en réalité à des femmes violées et se joignent à plusieurs témoignages douloureux écrits par ces victimes elles-mêmes. L'essence du projet de cette artiste de 34 ans, diplômée en journalisme, est là : créer par une démarche à la frontière de l'anthropologique et de l'artistique une œuvre en plusieurs volets sur l'histoire de la misogynie.
“Ce projet montre à quel point la société blâme encore aujourd’hui les victimes d’agression sexuelle, tout en normalisant la violence sexuelle”
Après un travail sur les troubles alimentaires étendu sur cinq années, Laia Abril a développé un premier chapitre de ce projet sur la misogynie, On Abortion (“Sur l'avortement”), qui a déjà été montré dans 10 pays et est présenté depuis le 7 février dernier au Musée du Sexe de New York : s'y retrouvent des photographies d’instruments utilisés lors des avortements, de nombreux témoignages de femmes et quelques résultats de recherches scientifiques. À la galerie Les Filles du Calvaire, l’exposition “On Rape“ (“Sur le viol”) creuse plus loin encore dans les mécanismes d'oppression et de réification du corps des femmes pour former la deuxième étape de ce projet. Au centre du premier espace, on retrouve pour preuve un tirage d'une robe d'un blanc immaculé, la robe de mariée d'une jeune femme du Kirghizistan du nom d'Alina. Cette étudiante de 21 ans fut enlevée et mariée contre sa volonté à un homme rencontré pour la première fois le jour de son mariage – une tradition qui, malheureusement, existe toujours dans plusieurs pays de l’Asie centrale.
“Avez-vous déjà eu des relations sexuelles sans consentement ?”
“Have you ever had sex without consent ?”. Écrite sur le mur, cette question qui apparaît immédiatement au deuxième étage de l’exposition “On Rape“ invite le visiteur à se replonger dans son propre passé sexuel. Plus loin, le regard s’arrête sur des citations d'hommes politiques, de juges et même d’un président bien connu, Donald Trump : “Grab ‘em by the pussy. You can do anything” (“Attrapez-les par la chatte. Vous pouvez tout faire”). Indéniablement choquantes, ces phrases reflètent-elles notre monde actuel? C’est peut-être ce que Laia Abril cherche à nous dire : au-dessous des citations, les témoignages et les photographies des objets qu'elle a rassemblés racontent une histoire du viol à travers les différentes cultures et époques.
Ici, une photographie de la ceinture de chasteté produite à la fin du XVIIIe siècle qui empêchait aussi bien l’adultère, la masturbation que le viol. Là, l'image d’un crâne avec deux longues cornes utilisées au sein d'une recette pour resserrer leur vagin afin de prouver leur virginité. “Il y a trois cent ans, les hommes croyaient leurs épouses vierges si elles avaient une ouverture étroite de leurs parties intimes, un ventre lisse et une poitrine gonflée”, écrivait le sexologue espagnol A. Martin de Lucenay. Contraintes de se conformer à ces traditions et normes corporelles, les femmes ont pendant des siècles mis en danger leur anatomie pour ces opérations. Si ce passé peut sembler derrière nous, l’hyménoplastie – opération visant à reconstuire l'hymen – est pourtant aujourd'hui répandue parmi les jeunes musulmanes en Europe et déjà une pratique courante dans les pays du Golfe.
Aux côtés de cet inventaire, l'exposition présente un panneau-trombinoscope rassemblant 3000 portraits des prêtres catholiques accusés et condamnés pour abus sexuels, ainsi qu’une petite copie du monument aux “femmes de réconfort“ – 200 000 personnes devenues esclaves sexuelles de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Une manière concrète d'illustrer les traumatismes enfouis.
À la fois terrifiante, informative et révoltante, l'exposition “On Rape“ nous montre aujourd'hui, dans une société post-#MeToo, par quels mécanismes, codes et traditions la culture du viol peut encore être institutionnalisée.
Laia Abril : On Rape, jusqu'au 22 février à la galerie Les Filles du Calvaire, Paris 3e.