8 fév 2021

Roland-Garros : la nouvelle affiche de l’artiste Jean Claracq divise

Chaque année depuis 1980, la Fédération française de tennis fait appel à un artiste pour concevoir l’affiche de son célèbre tournoi international, Roland-Garros. Pour 2021, le jeune peintre Jean Claracq a posé sur l’événement un regard inédit et clivant, habité par la mélancolie, la solitude et l’inertie qui a caractérisé cette dernière année. 

Un court de tennis est éclairé par un ciel étoilé et les lumières blanches de deux projecteurs surplombants. Un jeune homme y apparaît torse nu, assis sur la terre battue contre des gradins, tout comme le stade, vides. L’action se passe ailleurs : sur l’écran en haut, qui diffuse un match, sur une affiche à gauche qui réunit un groupe de jeunes ou encore dans l’intimité discrète d’appartements en arrière-plan, où un jeune homme allongé en sous-vêtements regarde nonchalamment son téléphone. Entre l’attente, l’oisiveté et le désœuvrement, ces personnages dégagent une mélancolie moderne reflétées par les teintes froides du béton et du métal. Seules la lueur crépusculaire au loin et les vives couleurs qui animent les écrans réveillent ce tableau silencieux. Voilà comment l’artiste Jean Claracq se représente Roland-Garros : il y a quelques jours, le jeune peintre français dévoilait l’affiche officielle de l’édition 2021 du tournoi international de tennis parmi les plus attendus dans le monde entier.

 

Car, si l’événement est depuis 1925 un rendez-vous incontournable du monde sportif, il a su également démontrer, depuis quatre décennies, son soutien de la création artistique. En 1980, la Fédération française de tennis – organisatrice du tournoi – décide de confier la réalisation de son affiche à un artiste contemporain. C’est le peintre italien Valerio Adami qui ouvre le bal avec le dessin simple et coloré d’une balle sur une raquette, avant que chaque année, de nouveaux artistes aussi éminents que Antoni Tàpies, Nalini Malani, Arman, Sean Scully, Fabienne Verdier ou encore Pierre Seinturier en 2020 ne se prêtent à l’exercice. Si certains penchent volontiers vers la figuration, imprégnés par l’ambiance des matchs, d’autres préfèrent des approches plastiques plus abstraites, en mariant des formes et des couleurs reflétant le monde du tennis. Jean Claracq choisira plutôt la première option. Connu pour ses peintures sur bois en format très réduit d’une extrême minutie, le Français d’à peine trente ans s’est affirmé comme l’un des émissaires d’un renouveau de la figuration picturale dans l’Hexagone. Il y a quelques mois encore, la Fondation Louis Vuitton lui donnait d’ailleurs carte blanche pour une exposition personnelle dans l’une de ses salles.

Jean Claracq presente l’Affiche Roland-Garros 2021, Photo : Christophe Guibbaud / FFT

À peine plus grande qu’un écran 13 pouces, l’œuvre réalisée sur un panneau de bois pour le tournoi regroupe toutes les thématiques chères à Jean Claracq : la solitude de jeunes hommes entre l’adolescence et l’âge adulte dans des environnements ultra-urbanisés, des bâtiments orthogonaux et un quotidien encerclé par les écrans. En effet, plutôt que l’énergie des matchs de tennis, le soleil d’un été approchant et la foule en liesse, l’artiste français a opté pour la mélancolie, la distanciation physique et l’isolement. Celui d’un stade vide déserté par ceux qui l’animaient habituellement, celui de joueurs livrés à eux-mêmes dans ces combats à un contre un, mais aussi plus récemment celui des individus confinés chez eux par la crise sanitaire, contraints d’accéder aux concerts, matchs, spectacles et autres événements publics depuis l’écran de leur smartphone, de leur ordinateur ou de leur télévision. Une approche qui, si elle semble éminemment contemporaine, a suscité des réactions divisées des internautes. Si certains ont salué la qualité de plastique de l’œuvre et même noté une référence certaine aux toiles d’Edward Hopper, d’autres ont déploré une illustration trop froide et peu optimiste du tournoi.

 

“L’affiche du tournoi 2021 donne à voir le stade dans la ville, son urbanité et sa modernité mais aussi sa tradition, tranche Bernard Giudicelli, président de la Fédération Française de Tennis. Elle souligne la modernisation du stade en illustrant ses lumières nocturnes et par ses détails, elle révèle les différentes émotions et scènes de la vie du tournoi.” Afin d’opérer ce pas de côté, l’artiste a d’ailleurs choisi une perspective assez inhabituelle du Fond des Princes – l’un des courts parisiens exploités par Roland-Garros – qu’il a représenté de nuit, moment où les corps s’endorment, les écrans s’allument et la solitude triomphe. Malgré son caractère pour l’instant clivant, l’œuvre baptisée “Fenêtres sur court” en référence au fameux film d’Alfred Hitchcock entrera sans doute dans l’histoire du tournoi comme l’une de ses affiches les plus significatives de son époque, témoin vibrant mais réaliste d’un quotidien chamboulé.