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Expo : le peintre Josh Smith voit la vie en rouge à la galerie David Zwirner
Présent sur la scène artistique depuis vingt ans mais peu montré en France, le peintre américain Josh Smith est à l’affiche d’une exposition personnelle à la galerie David Zwirner, à Paris. Puissante et radicale, celle-ci réunit jusqu’au 7 octobre une vingtaine de peintures inédites guidées par sa dernière obsession : le rouge.
Par Matthieu Jacquet.
Josh Smith à la galerie David Zwirner : le rouge en majesté
Le résultat est violent. Radical. On y ressent à la fois la force de la destruction, l’embrasement, le déversement d’un bain de sang. Tout cela grâce à l’utilisation d’une unique couleur : le rouge. À travers les vingt-sept toiles écarlates actuellement accrochées à la galerie David Zwirner, Josh Smith interpelle directement ceux qui espèreraient une promenade paisible dans le white cube immaculé. Passé le choc visuel de ces monochromes, dont l’intensité visuelle capte immanquablement toute l’attention, des formes commencent à se dessiner sur leur surface ardente. La silhouette d’une étoile furieuse sur la cimaise droite, le profil d’un cheval harnaché sur la gauche. En face, un pont suspendu de Queensboro Bridge au-dessus d’un ensemble d’immeubles forme une anti-carte postale, où le rouge transforme un panorama urbain en brasier infernal. La couleur du feu, de la colère, de la passion, et de la sexualité démontre sa capacité à absorber toutes les autres. Mais chez l’artiste new-yorkais, elle devient aussi couleur de la mélancolie, comme un pied de nez à l’utilisation séculaire et éculée du noir et du gris dans l’histoire picturale. Sur l’arrière-plan pourpre de l’une de ses toiles, on peut d’ailleurs lire “Living with depression” (“vivre avec la dépression”), phrase simple et concise qui pourrait tout aussi bien intituler un livre de développement personnel qu’un court-métrage introspectif, et donne ici son titre à l’exposition. Josh Smith fait ici montre d’un véritable exercice de style, fort et osé. Et dévoile une nouvelle facette d’une œuvre guidée depuis vingt ans par de multiples obsessions.
Le rouge, une couleur puissante et abrasive
“Le rouge est la plus affirmée de toutes les couleurs, à la fois puissante et abrasive”, justifie Josh Smith. Nullement surprenant que cette couleur paradoxale, réunissant à elle seule les pulsions d’éros et de thanatos, ait inspiré tant de monochromes, de ceux de Mark Rothko à Rashid Johnson en passant par Cy Twombly, Louise Bourgeois et Philip Guston. Josh Smith, lui, se distingue en dramatisant – voire pervertissant – des sujets aussi triviaux qu’une boîte aux lettres ou un panier en osier, dont l’apparence familière, lisse et statique se pare soudainement d’une énergie inédite. Pour trouver ses sujets, Josh Smith n’a pas besoin d’aller bien loin : l’artiste parcourt les recoins de son studio, regarde depuis sa fenêtre, se replonge dans ses passions telles que les échelles, qu’il a dépeintes inlassablement durant ses études, ou encore les dinosaures, comme on le constate dans le portrait d’un étrange ptérodactyle. Alors que ce dernier devient, sous l’effet du rouge, une créature démoniaque, l’artiste poursuit la métaphore satanique dans une autre toile en peignant un pentagramme couplé au A de l’anarchie. Au New-Yorkais, qui ne joue que sur les nuances du rouge sans jamais utiliser le blanc ni le noir, la couleur a aussi offert l’occasion de “saboter” son propre travail. Derrière leur dernière couche, les œuvres de Smith masquent en effet trois ou quatre peintures, à l’instar d’un paysage de nuages que l’on devine désormais à peine derrière les marches d’un escalier. La superposition se fait d’autant plus percutante lorsqu’elle vient recouvrir une toile originellement peinte en bleu, dont on aperçoit quelques discrets stigmates aux extrémités. Si le procédé provoque aux yeux des spectateurs un effet de profondeur, il traduit aussi l’attitude d’un artiste insatisfait qui, un jour, a “vu rouge” dans son atelier et badigeonné ses œuvres de peinture à l’huile et acrylique jusqu’à en annihiler l’origine.
Josh Smith, un artiste en quête d’inconfort et de malaise
Prompt à l’autocritique, Josh Smith ne peut se contenter d’une œuvre si celle-ci ne crée pas l’inconfort. “Je veux rendre les choses les plus difficiles possibles pour moi, ne rien prendre pour acquis. Même si cela veut dire échouer, je veux que ce soit dur”, insiste celui qui refuse de laisser son travail l’enfermer dans une case, ou pire, le rendre prévisible. Ces peintures rouges inédites semblent d’ailleurs se confronter aux œuvres qui ont fait sa notoriété jadis : au décor édénique de ses paysages exotiques et colorés jalonnés de palmiers s’opposent désormais des scènes plus cauchemardesques, “moins pop et plus expressives”, dans lesquelles peu souhaiteraient se projeter. Là où le nom de l’artiste peint en lettres capitales représentait un temps l’une de ses thématiques phares, celui-ci n’apparaît dans aucune de ces nouvelles œuvres, sauf discrètement sur la bride du cheval grimaçant. Cette recherche d’inconfort et de malaise s’étend jusqu’au titre de l’exposition : “J’ai demandé à ma famille et mes amis ce qu’ils en pensaient. Ils m’ont tous dit de ne pas choisir ce titre. Donc je l’ai choisi.” Mais gare à ceux qui verraient Living with depression comme le signal d’une œuvre démonstrative qui traduirait l’expérience de la maladie : le titre provient en réalité d’une phrase qui trottait dans l’esprit de l’artiste pendant des semaines. Ainsi, au-delà des frontières qui séparent figuration et abstraction, au-delà des tendances qui dominent la peinture contemporaine, Josh Smith apporte dans ce nouveau corpus une radicalité bienvenue, une œuvre qui provoque, dérange, interroge au risque de diviser. Et triomphe dans l’utilisation exclusive de cette couleur primitive et puissante qui avec la séduction amène la menace. Comme le résumait l’historien Michel Pastoureau dans son ouvrage dédié au rouge : “méfiez-vous de lui : cette couleur-là cache sa duplicité. Elle est fascinante, et brûlante comme les flammes de Satan.”
Josh Smith, “Living with Depression”, jusqu’au 7 octobre 2023 à la galerie David Zwirner, Paris 3e.