David Hockney : que réserve sa grande rétrospective à la Fondation Louis Vuitton ?
Peintre parmi les plus célèbres et les plus chers du monde, David Hockeny inaugurait la semaine dernière une rétrospective majeure à la Fondation Louis Vuitton. Plus de 400 œuvres sont réparties dans les onze galeries du musée, parmi lesquelles des chefs-d’œuvre historiques et de nombreuses toiles récentes, montrant l’évolution de sa peinture de portrait et de paysage.
Par Éric Troncy.

David Hockney à la Fondation Vuitton : un hommage au printemps
En lisant Do Remember They Can’t Cancel the Spring, le sous-titre de l’exposition “David Hockney 25” à la Fondation Louis Vuitton, je me suis demandé ce qu’il pouvait signifier. Et tandis que je tentais d’appréhender sa généalogie, s’est imposé un dessin sur iPad de 2020 (en plein Covid, comme on dit), intitulé Do Remember They Can’t Cancel the Spring. Il fut envoyé par David Hockney à un ami – comme nombre de dessins sur iPad réalisés par lui à cette période. L’année suivante fut publié Spring Cannot Be Canceled – David Hockney in Normandy, l’épatant livre réalisé avec Martin Gayford – un ouvrage contenant des conversations, des correspondances et des œuvres inédites.
J’en suis venu à la conclusion que, certes, le printemps est la vedette de la phrase qui tient lieu de sous-titre à l’exposition à la Fondation Louis Vuitton, mais qu’aussi le terme “cancel” avait son importance. Il renvoie sans doute possible à la cancel culture dont David Hockney ne semble pas vraiment friand – pas plus que tout ce qui pourrait entraver la vertu cardinale sous laquelle il place sa vie : la liberté. Au moins, ils n’auront pas la possibilité de “canceler” le printemps.

En 2009, l’artiste confiait au magazine Paradis avoir trois “intérêts marqués : la photographie, la perspective et le tabac”. Il a décidé de s’établir en France parce que, à l’époque tout au moins, le pays faisait preuve d’une grande tolérance envers les fumeurs. “Je suis toujours fumeur, et la France est beaucoup plus accueillante avec les gens qui fument !” disait-il en 2020 à Paris-Match. Il fume en effet : “Je fume depuis soixante-dix ans. J’ai commencé à 16 ans, j’en ai maintenant 86 et je vais plutôt bien, merci. J’adore le tabac et je continuerai à fumer jusqu’à ce que je tombe. Comme les arbres, nous sommes tous différents, et je suis absolument certain que je vais mourir. En fait, je suis sûr à 100 % que je vais mourir d’une maladie, liée au tabac ou non”, confiait-il au Times l’an passé.
Le revers fut brutal lorsque le métro parisien frappa d’interdiction l’affiche prévue pour l’exposition à la Fondation Louis Vuitton, au motif que, dans l’œuvre utilisée (un portrait photographique mettant une peinture en abyme intitulée Play Within a Play Within a Play and Me with a Cigarette), on voyait une… cigarette ! La sentence frappa, il me semble, une cigarette photographiée et non la cigarette peinte – toutes deux contenues dans l’image de l’affiche. “L’autoritarisme de ceux qui gouvernent nos vies est sans limites. Entendre un avocat du métro interdire une image est déjà assez odieux, mais qu’il évoque une différence entre une photographie et une peinture me paraît une pure folie”, expliquait alors Hockney au quotidien britannique The Independent.

Une exposition d’ampleur riche de plus de 400 œuvres
“La folie règne. Une telle censure sur une affiche faisant la promotion de l’une des plus grandes expositions d’un artiste vivant depuis une génération est incompréhensible. Paris est une ville de liberté et de révolution profondément ancrée dans son histoire ; cela va à l’encontre de cette réalité”, commenta le commissaire de l’exposition parisienne : rien de moins que l’historien Norman Rosenthal, conservateur à l’Institute of Contemporary Arts (ICA) de Londres, puis à la Royal Academy of Arts (RA), qui fut le curateur d’expositions devenues historiques : A New Spirit in Painting (1981), Sensation (1997)…
En tandem avec Suzanne Pagé – et même en trio avec l’artiste lui-même – ils ont fabriqué une exposition sans beaucoup de limites, déployée dans les onze salles de la Fondation Louis Vuitton, qui semble rendre hommage à la conviction de l’artiste selon laquelle “faire des images est un meilleur plaisir que le sexe et la drogue”. Elle rassemble plus de 400 œuvres réalisées au cours de la carrière d’Hockney, et la première chose qui frappe est la joie qu’inspire le display, y compris les murs colorés sur lesquels trônent des chefs-d’œuvre.
“Je déteste les murs blancs derrière les peintures, ils vous font trop voir les bords. Quand je me suis occupé, avec d’autres, de l’accrochage de l’exposition d’été à la Royal Academy, la première chose que j’ai dite, c’est : ‘Ne peignez pas les murs en blanc !” C’était en effet un problème conséquent dans “la plus complète rétrospective consacrée à l’œuvre de David Hockney”, c’est-à-dire celle qui fut la plus grosse avant celle à venir qui sera désormais la plus grosse : l’escale au Centre Pompidou de l’exposition itinérante David Hockney, en 2017, qui célébrait les 80 ans de l’artiste. Autant sa version à la Tate était colorée, s’étirant le long de murs pastel qui évoquaient les couleurs de la Californie, autant la version pompidolienne, avec ses murs tout blancs, était austère et inutilement conventionnelle.

L’obsession du paysage, de la Californie à la Normandie
C’est qu’il y a, en effet, une exposition Hockney en France presque tous les ans : Normandism au musée des Beaux-Arts de Rouen l’an dernier, A Year in Normandy, en 2021, au musée de l’Orangerie à Paris, ou encore l’exposition David Hockney, qui avait fait une halte au musée Granet d’Aix‑en‑Provence en 2023. Assurément, celle que propose aujourd’hui la Fondation Louis Vuitton est singulière dans cet ensemble qui s’intéresse aux œuvres des 25 dernières années : au 21e siècle, en somme. C’est durant cette période que David Hockney (qui commença à peindre en 1962) laissa s’exprimer son insatiable curiosité pour la peinture elle-même en s’appuyant sur l’observation des paysages du Yorkshire, où il revint s’installer en 2005, puis de la Normandie, où il séjourne depuis 2019, ayant un peu quitté la Californie.
Sa peinture de paysage, renseignée par Les Quatre Arbres (1891) de Claude Monet, fait des troncs et des branches des outils de construction de l’espace pictural, à la recherche, toujours, du moyen le plus efficace d’exprimer la perspective, tandis que fleurs et bourgeons offrent à la composition rythme et touches colorées. Allées, chemins, tunnels… tout semble hautement construit dans les paysages que regarde David Hockney, et, comme l’écrit Suzanne Pagé dans sa préface au catalogue de l’exposition : “Hockney a un formidable talent pour transcrire ce qu’il voit et inventer la solution plastique adéquate.”
Des solutions qui demandent parfois d’oublier le format rectangulaire, tandis que ses peintures deviennent un temps hexagonales – faisant du rocambolesque une arme de combat esthétique ! – et s’aventurent avec bonheur vers des formats sophistiqués, tel l’éblouissant Tall Dutch Trees After Hobbema (Useful Knowledge) 2017 : grande composition en six parties inspirée par un tableau du paysagiste néerlandais Meindert Hobbema (1638-1709), dans lequel la perspective semble aux prises avec quelque chose de plus grand qu’elle.

Photo : Jonathan Wilkinson.
Des toiles impressionnantes et de nombreux chefs-d’œuvre
“Pendant vingt-cinq ans, je n’ai pas vu de printemps et d’été en Californie : c’était toujours le même temps”, dit David Hockney, à qui les déménagements en Angleterre puis en France ont donné la possibilité de rattraper le temps perdu. Les quatre peintures toutes titrées Bigger Trees Nearer Warter (2008), respectivement Summer, Spring, Winter et Fall, en donnent la mesure, tandis que le peintre, au même endroit du paysage pour les quatre tableaux, traduit un même panorama en quatre états différents. L’ensemble, comme d’ailleurs chaque paysage de David Hockney, se regarde pareillement sous les auspices de l’abstraction ou de la figuration, que sa peinture semble prête à affronter simultanément.
Il faut de l’aplomb pour se tenir debout face à l’incroyable bosquet d’arbres de Bigger Trees Near Warter Or/Ou peinture sur le motif pour le nouvel âge post-photographique (2007), une œuvre de plus de 12 m de longueur et de 4,6 m de largeur, composée de cinquante toiles aux perspectives différentes, et qui fabrique un paysage dans lequel le corps semble tout entier aspiré. Dans l’exposition, ces paysages européens sont confrontés aux paysages américains de David Hockney, et l’on comprend instantanément les variations de sa palette : pas de période bleue ni rose, mais la marque insistante de l’intensité du soleil et de ses effets sur la nature.
Dans les premières salles de l’exposition, les chefs-d’œuvre des années 1962 à 1980, éclairant avec profit les œuvres ultérieures, sont quasiment tous là : A Bigger Splash (1967), Portrait of An Artist (Pool with Two Figures) [1972]… et le portrait de son père, le premier portrait peint par l’artiste, en 1955. C’est en tout point une exposition hors norme, perfusée de liberté et de générosité – on voit mal laquelle, parmi les 400 œuvres, n’était pas utile ou profitable –, qui semble célébrer une façon superbe d’être au monde. David Hockney le rappelle : “La mort vous attend tous, même si vous ne fumez pas.”
“David Hockney 25”, exposition jusqu’au 31 août 2025 à la Fondation Louis Vuitton, Paris 16e.