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5 expositions d’art à découvrir dans des librairies parisiennes
Si les musées, FRAC et centres d’art français n’ont pas pu rouvrir leurs portes depuis octobre dernier, les galeries avaient jusqu’alors été épargnées par les restrictions, restant ainsi les seuls espaces ouverts où le public pouvait encore voir de l’art en France. Mais le couperet n’a pas tardé à tomber : suite aux nouvelles mesures instaurées récemment dans 19 départements, elles rejoignent désormais la catégorie des commerces non-essentiels, condamnés à la fermeture provisoire. Certaines, toutefois, parviennent à présenter des œuvres au public grâce à leur précieux statut de librairie. Focus sur cinq adresses parisiennes à découvrir et visiter, en ces temps où les expositions ne cessent de se faire plus rares.
Par Matthieu Jacquet.
1. Tom de Pekin à la galerie Arts Factory : des scènes homoérotiques en pleine nature
Depuis plusieurs mois, des dizaines de peintures encadrées habillent les murs d’Arts Factory : d’abord attiré par leurs couleurs puissantes – violets, jaunes, bleus électriques, rouges et vert émeraude – dont l’aspect hallucinatoire n’est que mis en relief par leurs lignes et leurs formes sinueuses, le visiteur passant à cette adresse s’étonne en s’approchant d’y découvrir toute leur charge homoérotique. Partout, des hommes dénudés y apparaissent, entre les rochers, les lacs et vallées, dénudés ou en maillot de bain, esseulés ou en groupe, se prêtant à des actes sexuels plus ou moins explicites ou simplement au repos, en proie à la contemplation. À travers sa sélection d’œuvres, l’artiste français Tom de Pekin revisite vingt années de carrière sur les quatre étages de cette galerie-librairie consacrée à l’illustration, offrant à quelques pas de Bastille un espace idéal pour présenter ses nouvelles sorties en même temps qu’accueillir des expositions aux formats variés. Connu notamment pour avoir signé l’affiche du film L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie (2013), illustration qui lors de la sortie du film avait provoqué la polémique en plein débat sur le mariage pour tous, le dessinateur exposé jusqu’au 3 avril à Arts Factory défend avec ferveur, à travers sa pratique comme ses propos, son engagement envers la communauté LGBTQ+. Un parti pris que démontre également au sous-sol de la galerie son film Haldernablou Quadriflore, inspiré par une pièce de jeunesse d’Alfred Jarry abordant de front la sexualité homosexuelle.
Tom de Pekin, “Où vont les fleurs du temps qui passe ?”, jusqu’au 3 avril à la galerie Arts Factory, Paris 11.
2. Romain Laprade à la librairie Yvon Lambert : des clichés chaleureux au goût d’été
On ne présente plus Yvon Lambert. Le galeriste et collectionneur, qui avait ouvert son premier espace d’exposition dans le sixième arrondissement de Paris à la fin des années 60, a en 2014 fermé sa galerie pour se consacrer pleinement à l’exposition de sa collection en Avignon dans l’hôtel de Caumont, qu’il occupe parallèlement depuis plus de vingt ans. Mais son nom n’a pas pour autant déserté la capitale française : non loin de la place de la République, Yvon Lambert possède depuis sept ans sa propre librairie consacrée à l’art, où l’on trouve de nombreux beaux livres, monographies et catalogues d’exposition ainsi que les publications de sa propre maison d’édition. Mais cet espace de 200 m2 se prête aussi à l’accrochage d’œuvres d’art : pour preuve, il inaugure ce jeudi 1er avril une exposition des tirages du jeune photographe français Romain Laprade. Baignés d’un filtre chaud, reliques d’une atmosphère estivale, ces clichés fragmentent et isolent des architectures méridionales typiques, des vitrines de boutiques, éléments de décors urbains et autres stations balnéaires capturés sous un soleil brûlant – tous mis en vente par la librairie en plusieurs formats, outre les Polaroïds produits en exemplaire unique. Enrichie par quatre monographies de Romain Laprade publiées par Yvon Lambert, l’exposition replonge dans la sérénité indolente et la plénitude offerte par les étés passés autour de la Méditerranée, dont se languiront sans nul doute les visiteurs impatients de lendemains plus apaisés.
Romain Laprade, “Polaroïds”, du 1er avril au 16 mai à la librairie Yvon Lambert, Paris 3e.
3. Loeve&Co : quand la rue des Beaux-arts devient “rue des beaux livres”
Si les galeries d’art françaises étaient jusqu’alors passées entre les mailles du filet des mesures sanitaires, les nouvelles restrictions ne les ont cette fois-ci pas épargnées. Qu’à cela ne tienne, les co-directeurs de la galerie Loeve&Co Stéphane Corréard et Hervé Loevenbruck ont choisi de la transformer… en librairie. Dans leurs deux espaces du sixième arrondissement parisien, non loin de la Seine, ceux-ci proposent “une sélection évolutive de livres de nos amis, des livres d’art, des livres sur l’art, des livres d’artistes, des éditions courantes comme des spécimens rarissimes, de ou à propos des artistes que nous aimons et défendons, ou publiés par des éditeurs qui nous sont proches et que nous brûlons de vous faire connaître”, dixit Stéphane Corréard. Un vaste programme auquel se joint également une exposition du peintre tchécoslovaque Milan Kunc et du plasticien français Philippe Mayaux, réunis par leur œuvre étrange croisant les influences du surréalisme pictural et du pop art, qui se visite désormais sur rendez-vous. Mais l’ambition des deux directeurs ne s’arrête pas là : afin de rendre hommage à l’ancrage artistique de la rue des Beaux-arts, animée par les galeries désormais mises en suspens – et rebaptisée “rue des beaux livres” avec humour par Stéphane Corréard –, Loeve&Co invite ses confrères fermés à exposer dans leurs vitrines des œuvres reliées par la thématique du visage, et fait même appel au créateur Jean-Charles de Castelbajac pour décorer quelques murs de la rue de ses dessins facétieux.
“Milan Kunc & Philippe Mayaux: Pop & Surréalistes”, jusqu’au 30 avril sur rendez-vous à la galerie-librairie Loeve&Co, Paris 6e.
“A visage découvert”, du 1er au 20 avril dans les vitrines et sur les murs de la rue des Beaux-arts, Paris 6e.
4. Multiples Inc. à la librairie Marian Goodman : éditions rares de monstres sacrés de l’art
Le 20 mars dernier, la galerie Marian Goodman devait dévoiler entre ses murs parisiens le dernier projet de Hiroshi Sugimoto, une série de tirages abstraits du photographe japonais explorant pour la première fois la couleur dans son essence la plus pure. Bien que la date d’ouverture de cette exposition au public reste désormais incertaine, la galerie dispose d’un avantage non négligeable devant les récentes mesures gouvernementales : une librairie avec pignon sur rue à deux pas de son espace principal. Outre sa sélection pointue de publications artistiques et son riche répertoire de beaux livres consacrés à ses artistes, la librairie Marian Goodman utilise régulièrement la surface au fond de son espace pour présenter des expositions reliées ou non à sa programmation parisienne. Ainsi, après les natures mortes étonnantes de Luciano Perna, on y découvre actuellement une sélection d’œuvres replongeant dans les archives de la galerie jusqu’à l’année 1965, date à laquelle Marian Goodman elle-même fonde avec quatre autres personnes la maison d’édition Multiples Inc. Son but : proposer aux artistes de la scène américaine des éditions multiples de leurs œuvres, jusqu’à produire pour eux des livres, brochures et autres impressions tenant dans une boîte. À travers plusieurs extraits du contenu de ces boîtes dites “Artists & Photographs”, où se croisent par exemple tirages, impressions offset et estampes d’artistes tels que Robert Rauschenberg, Andy Warhol ou encore Sol LeWitt, la librairie révèle un aperçu de ce projet exceptionnel, aujourd’hui très convoité par les collectionneurs et passionnés.
“Multiples, Inc.: Artists & Photographs”, jusqu’au 22 mai à la librairie Marian Goodman, Paris 3e.
5. Bernard Villers à la librairie Florence Loewy : quand la peinture se dévoile au fil des pages
La triple casquette d’éditeur, libraire et galeriste, Florence Loewy a su l’assumer avec panache. Depuis la fondation de sa librairie en 1989, consacrée à la vente et l’édition de livres d’artistes, puis l’ouverture en 2001 de son espace au cœur du Marais, cette Française mène de front ses diverses activités en proposant une double programmation : celle d’événements liés à ses nouvelles publications d’une part, comme des soirées de lancement, projets éditoriaux, rencontres et autres sélections d’ouvrages thématisées, et d’autre part celle d’expositions dans sa partie galerie, présentant et mettant en vente les œuvres des artistes avec lesquels elle travaille, dont elle édite parfois aussi des multiples. Si son exposition de l’artiste français Valentin Guillon est pour l’instant fermée au public, accessible sur rendez-vous professionnel uniquement, les visiteurs de la galerie peuvent librement profiter de celle de Bernard Villers dans sa partie librairie. Dans ce “bookshow”, tel que Florence Loewy le présente, on découvre toute une partie du travail de l’artiste belge aujourd’hui âgé de 82 ans, dont la pratique graphique et picturale s’est principalement – et massivement – transmise par l’édition : de sa main, on dénombre ainsi au total plus de cent cinquante livres, brochures, dépliants ou revues où se déploie son langage minimaliste et conceptuel, porté par des formes simples et géométriques, des couleurs unies, quelques lettres, mots et des jeux sur les vides et les pleins. Un œuvre qui se découvre avant tout en se feuilletant, et dont la galerie présente actuellement une sélection percutante.
Bernard Villers, “LE REMORQUEUR 75-21”, jusqu’au 15 Mai à la galerie Florence Loewy, Paris 3e.