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Les confessions de Rebecca Marder, star du film L’Étranger
Après le succès de la comédie Mon crime de François Ozon, la brillante actrice, ex-pensionnaire de la Comédie-Française, retrouve le célèbre cinéaste pour l’adaptation de L’Étranger, d’Albert Camus, au cinéma le 29 octobre 2025. Elle est également au casting d’une série d’action Netflix intitulée Les Lionnes. Deux rôles qui offrent l’occasion à la ravissante comédienne d’explorer des registres dans lesquels on n’avait pas l’habitude de la voir, et qui révèlent toute l’étendue de son talent.
par Olivier Joyard,
portraits par Natasha Kot ,
réalisation par Joana Dacheville .

Rebecca Marder, star du film L’Étranger de François Ozon
Au printemps 2025, à Tanger où elle devait tourner l’adaptation de L’Étranger, le roman d’Albert Camus, Rebecca Marder a retrouvé le réalisateur François Ozon pour aller déjeuner en ville. “Nous devions traverser un rond-point sans feux, dans une nuée de voitures. François m’attrape alors le bras et me dit : ‘Cours ! Il faut avancer, sinon tu meurs.’ Cette phrase est devenue mon mantra pendant le tournage. Foncer pour ne pas mourir ! C’est tout François, qui vit les émotions de façon décuplée à travers ses films.”
C’est tout Rebecca Marder aussi, qui, depuis ses 20 ans, embrasse son métier d’actrice, le seul qu’elle ait envisagé, avec une intensité totale. On l’a vue au cinéma, notamment chez Cédric Klapisch, Noémie Lvovsky, Sandrine Kiberlain, Michel Leclerc, Arnaud Desplechin. Elle a été embauchée à la Comédie-Française à l’âge de 20 ans, devenant la plus jeune pensionnaire depuis Isabelle Adjani. Une institution mythique qu’elle a quittée en 2022 pour se consacrer au grand écran.
Rebecca Marder nous confie qu’avant de travailler sur une série Netflix, Les Lionnes (qui devrait être diffusée début 2026), puis d’enchaîner avec le nouveau film d’Ozon, elle a passé un an et demi sans tourner. Une première. “Après avoir démissionné de la Comédie-Française, j’ai sorti sept films en huit mois et connu la joie de la mise en lumière, mais aussi la promo et les festivals. C’est un autre métier. Durant cette année, j’ai eu un peu l’impression de me vider de ma propre substance. Au théâtre, j’avais l’habitude d’être protégée par les murs du ‘cloître’, au cœur de ce que j’aime faire, jouer, de 9 heures du matin à la fin de soirée. Mais je n’éprouve aucun regret et j’ai apprivoisé cette autre dimension, qui me plaît aujourd’hui.”

“Quand François m’a proposé le rôle, j’ai relu le livre pour la première fois depuis mon adolescence.” Rebecca Marder
Au Français, elle jouait tous les soirs, et jusqu’à six fois par week-end, quatre pièces à la fois. “En août, profitant de la fermeture, je tournais des films.” Cette jeunesse pressurisée est désormais derrière elle. Rebecca Marder emploie cette jolie formule : “Je voulais comprendre qui était Rebecca sans la particule de grand honneur ‘de la Comédie- Française’, et j’ai découvert la liberté, d’autres rencontres, la joie de se renouveler.”
Aujourd’hui, Rebecca Marder prend le temps d’investir ses personnages, alors que le cinéma français lui fait les yeux doux. Elle retrouve François Ozon pour la deuxième fois après la comédie judiciaire Mon crime (2023). L’occasion d’aborder un mythe de la littérature française avec le livre d’Albert Camus. Elle y interprète Marie Cardona, celle dont le héros taciturne Meursault (Benjamin Voisin) s’entiche, et qui le suivra jusqu’au bout.
“Quand François m’a proposé le rôle, j’ai relu le livre pour la première fois depuis mon adolescence. À l’époque, je l’avais moins compris, me restaient ses aspects sensoriels, la chaleur, les corps. Cette fois, j’ai été percutée. L’étranger, c’est vous, c’est moi, on est tous étrangers à nous-mêmes. Ce qui nous attire nous dégoûte, comme dans beaucoup de chefs-d’œuvre, certaines choses nous échappent.” De l’approche choisie par François Ozon, Rebecca Marder se délecte. “Je savais qu’il allait donner à Marie une autre dimension. Il aime tellement les actrices et ne laisse aucun personnage au hasard.”

“J’ai eu le privilège d’incarner des femmes qui prennent leur destin en main.” Rebecca Marder
Évanescente dans le roman de Camus, Marie Cardona devient chez Ozon une figure sensuelle, sublimée par le noir et blanc du réalisateur de Huit Femmes. L’occasion pour Rebecca Marder d’explorer de nouveaux territoires de jeu. “Pour moi, Marie est une femme en avance sur son temps. Le film parle aussi de son désir à elle. Elle se donne, mais elle prend. […] C’est la première fois qu’on m’offrait un rôle avec des scènes charnelles. Ou plutôt, on m’en avait offert, mais je ne les avais pas acceptés. Souvent, j’ai été pudique avec les scènes d’amour. Celles-ci ont du sens.”
La clé réside peut-être dans le regard de François Ozon, qui place Meursault et Marie Cardona à égalité devant sa caméra, évitant l’objectivation exclusive du corps féminin dont le cinéma – notamment français – a longtemps abusé. “Jusqu’à maintenant, on m’avait projetée dans des rôles d’intellectuelle. J’ai tourné quatre films où mon personnage sort de Sciences Po. Quand je ne suis pas en train de me battre pour le droit des femmes, je suis avocate féministe… J’ai eu le privilège d’incarner des femmes qui prennent leur destin en main, mais c’est comme si avant ça, on ne m’avait pas offert un corps. Je me suis dit : ‘François m’offre ça pour mes 30 ans, que j’ai eus sur le tournage.’ J’étais si heureuse de connaître cela.”

“Je me retrouve souvent dans des productions historiques. Je dois avoir un ancêtre français qui a envie que je parle de lui.” Rebecca Marder
Rebecca Marder fait partie de cette génération d’actrices qui émergent à une époque de questionnements, de difficultés aussi, tant la situation du cinéma d’auteur paraît aujourd’hui fragile. Elle se fraie un chemin avec persévérance et se réjouit de ce qui devient possible. De manière subtile, elle s’échappe de l’image qui a pu lui être associée. Celle qui a joué dans de nombreux films historiques (Simone, le voyage du siècle ; La Rafle ; Une jeune fille qui va bien ; Mon crime) s’est imposée en figure classique, intemporelle, sans forcément incarner ce qu’on imagine d’une jeune femme contemporaine.
“C’est vrai que je me retrouve souvent dans des productions historiques. Je dois avoir un ancêtre français qui a envie que je parle de lui. [Rires.] J’ai l’impression pourtant de vivre avec mon temps, mais parfois, on peut être confiné dans des emplois particuliers. C’est pour cela que j’ai été reconnaissante envers François Ozon ou envers Olivier Rosemberg, le réalisateur de la série Les Lionnes, une comédie de braquage, de m’avoir vue autrement. En même temps, j’aime le côté intemporel !”.

“Quand je marche dans la rue, j’oublie que je suis actrice.” Rebecca Marder
L’an prochain, Rebecca Marder devrait tourner plusieurs longs-métrages, dont la nouvelle réalisation du très singulier Thomas Salvador (La Montagne, Vincent n’a pas d’écailles). En attendant, elle voit le plus de films possible (elle a craqué pour le Grand Prix cannois, Valeur sentimentale de Joachim Trier) et savoure sa trentaine qui débute. “Trente ans, c’est un autre âge pour les femmes, pour les rôles, pour tout”, explique-t-elle.
Le moment, peut-être, de mieux se comprendre, à défaut de devenir une autre. “Quand je marche dans la rue, j’oublie que je suis actrice. Si quelqu’un m’appelle par mon prénom, je peux mettre un certain temps à comprendre qu’on s’adresse à moi, car je ne me vis pas en fonction de ce que je renvoie. Même si je comprends un peu mieux aujourd’hui ce qui peut se dégager malgré soi. J’arrive à cerner ce qui me rendait trop pudique, ou ce qui, dans le jeu, ne me permettait pas certaines choses du point de vue émotionnel. J’aspirais à une sorte de normalité, car j’avais été habituée au contraire. Maintenant, je vais pouvoir jouer avec cette idée de lâcher-prise et avancer. Est-ce une forme de maturité ?”.
L’Étranger (2025) de François Ozon, au cinéma le 29 octobre 2025. Les Lionnes, créée par Olivier Rosemberg et Carine Prevot, prochainement sur Netflix.