27 mai 2022

En direct de Cannes 2022 : Claire Denis et Kelly Reichardt, deux réalisatrices majeures au plus près de leurs actrices, Margaret Qualley et Michelle Williams

L’explosion MeToo promettait une nouvelle place pour les réalisatrices au sein d’une industrie historiquement sexiste. Pourtant, la Palme d’Or décernée l’an dernier à Julia Ducournau (Titane) n’a rien changé : peu de femmes reçoivent les honneurs de la compétition cannoise. 

Michelle Williams dans « Showing Up” de Kelly Reichardt

Sur ce sujet brûlant, la fin du Festival de Cannes 2022 provoque un léger effet trompe-l’œil. Après la belle exploration de sa jeunesse par Valeria Bruni Tedeschi dans Les Amandiers, la française Léonor Seraille boucle la sélection avec Un Petit frère. Entre les deux, Claire Denis et Kelly Reichardt ont posé leur marque sur cette édition avec Stars At Noon et Showing Up, deux œuvres de pure mise en scène qui ne cherchent pas à se placer en surplomb du monde pour le commenter (c’est le cas de nombreux films cannois dit sérieux, exemplairement le très lourd Sans filtre de l’ex-palmé Rüben Ostlund) mais restent à hauteur de leur héroïne pour épouser leur point de vue. Le Nicaragua d’un côté, l’Est des Etats-Unis de l’autre : les géographies explorées n’ont rien à voir, mais un écho se crée, comme si à deux coins du monde, deux femmes communiquaient leur urgence à représenter ce qui est souvent négligé ailleurs. 

 

La réalisatrice française de Beau Travail suit une jeune journaliste et prostituée américaine (Margaret Qualley) coincée au Nicaragua en pleine pandémie, entre hôtels et bars. Trish rencontre un anglais séduisant avec lequel elle va tromper l’ennui, faire l’amour, boire beaucoup, danser au son des Tindersticks, fuir si c’est possible. Le tout dans une atmosphère d’espionnage moite, que Claire Denis rend immédiatement palpable. Stars At Noon ne fait pas partie des plus grands films de la cinéaste, mais sa petite musique sensuelle et décidée, à l’image de son héroïne, s’ancre en nous longtemps après la projection. Comme elle, le film colle littéralement à la peau. L’accueil tiède réservé par les festivaliers probablement en manque de sommeil – certains criant même au navet – pose question. Pourquoi un tel besoin de scénario ? Les films de chambre sont parfois les plus émouvants.

Margaret Qualley dans “Stars At Noon” de Claire Denis

Avec des moyens de cinéma encore plus minimalistes (des plans à l’élégance feutrée plutôt qu’une caméra chaloupée), Showing Up de Kelly Reichardt produit un effet de persistance similaire. On y pense longtemps après l’avoir vu. Et pourtant, le film de la grande cinéaste américaine a parfois l’air de rien. Une artiste (Michelle Williams, d’une sobriété exemplaire) y passe des journées rythmées par diverses obligations, sans exprimer beaucoup d’émotions. Elle n’a pas de mec et une famille plutôt boulet. Pour une expo à venir, Lizzy travaille des pièces inspirées de corps féminins, d’apparence fragile. Un jour, elle récupère un pigeon que son chat a blessé et quelque chose dévisse, dans le bon sens du terme. Cette héroïne sans qualités retisse peu à peu la toile de sa liberté – à moins que ce ne soit notre perception qui change. Showing Up, comme les œuvres de Lizzie, se révèle plus solide et pertinent qu’il n’avait pu le laisser croire.


La septuagénaire Claire Denis et la quinqua Kelly Reichardt travaillent une exigence de cinéma qui vient du même lieu : l’idée toute simple qu’un film documente l’histoire d’un rapport entre une personne qui regarde et une autre qui est regardée. Il nous appartient ensuite de faire fructifier ce lien, d’en toucher les bords fantasmatiques. Avec cette logique, les réalisatrices forment logiquement des duos imparables avec leurs comédiennes. Dans Stars At Noon, Margaret Qualley, fille d’Andy McDowell vue dans Once Upon A Time in Hollywood de Quentin Tarantino et la série The Leftovers, affirme sa totale liberté avec un personnage souvent insaisissable, agaçant et fantasque. Michelle Williams tourne quant à elle pour la quatrième fois avec Kelly Reichardt après Wendy et Lucy (2008), La Dernière piste (2011) et le chef d’œuvre Certaines femmes (2016). Les carcans de la séduction, au sens classique et masculin du terme, lui paraissent ici totalement étrangers. La star joue d’un certain effacement en symbiose avec son personnage. C’est captivant et paradoxalement, brûlant de vitalité. 

 

Stars at Noon de Claire Denis et Showing Up de Kelly Reichardt. En compétition. Prochainement en salles.