Le film sur l’oppression des femmes brésiliennes primé à Cannes
Grand vainqueur du prix Un certain regard au 72e Festival de Cannes, “La vie invisible d'Eurídice Gusmão”, dernier long-métrage du cinéaste brésilien Karim Aïnouz retentit comme une ode à la féminité dans un pays qui, encore aujourd'hui, n'est pas un exemple en matière de droit des femmes. À découvrir en salles dès demain.
Par Chloé Sarraméa.
Dans les mélodrames lambda, des jeunes femmes sont promises à des hommes. Mais ceux-ci les dégoûtent, elles leur en préfèrent un autre qui, lui, ne convient pas à leurs parents. Les amoureuses se rebellent alors contre l’autorité, quittent tout pour épouser celui qu’elles ont choisi, s’enfuient avec lui, vivent heureuse et enfantent une flopée de bambins. Réalisé par le brésilien Karim Ainouz, La vie invisible d’Eurídice Gusmão s'éloigne en tous points de ce schéma ennuyeux. Dans ce film, vainqueur du Prix un certain regard à Cannes cette année, l’amour fraternel est perturbé par l’autorité parentale, les femmes sont mues par leurs passions et la sororité passe avant les histoires d’amour.
Inspiré du roman du même nom de Martah Batalha – paru en 2015 – La vie invisible d’Eurídice Gusmão met en scène deux soeurs dont la complicité n'a d'égal que la distance qui les sépare : élevées dans le Rio des années 50, Eurídice et Guida se perdent de vue alors qu'elles n'ont que 18 et 20 ans, sans jamais réussir à se retrouver. Car les deux jeunes femmes n'aspirent pas à la même vie : l'une (Eurídice) rêve d'une grande carrière de pianiste et travaille d'arrache-pied pour être admise au Conservatoire de Vienne, tandis que l'autre (Guida) tombe folle amoureuse de Yorgos, un marin grec, et s'enfuit vivre sa romance outre-Atlantique.
À son retour au Brésil, Guida est sur le point d'accoucher de son premier enfant, a quitté l'homme avec qui elle pensait faire sa vie et revient toquer à la porte de ses parents. Ces derniers la rejettent, la condamnant à élever son nouveau-né dans la rue et à composer une nouvelle famille avec les femmes qu'elle croise sur sa route. Sa petite soeur, elle, est mariée à l'homme auquel elle a été promise. Petit, gros, brutal, Antenor dégoûte Eurídice. Privilégiant sa carrière de pianiste à sa vie familiale, la jeune prodige use alors de tous les stratagèmes pour éviter une grossesse : l'ancestrale technique du rapport sexuel sans éjaculation ne fonctionne qu'un temps et Eurídice tombe enceinte dans les mois qui suivent son mariage.
Rio de Janeiro, de 1950 à aujourd'hui
Sous la forme d'un mélodrame poignant sans jamais être larmoyant, le septième long-métrage de Karim Aïnouz – qu a co-réalisé le documentaire Cathedrals of Culture avec Wim Wenders en 2014 – est avant tout une fable féministe dénoncant le machisme, le poids des traditions et la difficulté pour les femmes brésiliennes de s'émanciper. Des rapports sexuels sans plaisir, aux travails alimentaires, en passant par les relations familiales tourmentées et les pères mutiques, La vie invisible d’Eurídice Gusmão dénonce toutes les formes de domination. En situant son histoire à la fin des années 50, le cinéaste brésilien en dit long sur l'état actuel des rapports hommes-femmes dans son pays. Comme un effet miroir, le spectateur est confronté au Brésil de l'ère Bolsonaro : à l'orée des années 2020, alors que la modernité semble à son paroxysme, les traditions sont au pouvoir, le patriarcat n'a jamais été aussi puissant et les féminicides sont en recrudescence.
La vie invisible d'Eurídice Gusmão (2019), actuellement en salles.