8
8
Interview with Poppy, a chameleon queen
À 26 ans, cette auteure-compositrice-interprète est la première femme à être nommée dans la catégorie “Meilleure prestation metal” aux Grammy Awards. Une belle reconnaissance pour cette star des réseaux sociaux, qui sera encore cette année l’objet de tous les regards en raison de son mariage attendu avec le rappeur Ghostemane.
Portraits Sofia Sanchez & Mauro Mongiello.
Propos recueillis par Alexis Thibault.
De sa beauté de poupée au minois parfait et distingué, Poppy a su faire une matière artistique. Apparue sur les écrans en 2014 avec d’énigmatiques vidéos performatives, où la jeune Américaine jouait – à merveille – le rôle d’une étrange créature virtuelle désincarnée, Poppy s’est ensuite révélée musicienne. Mieux, elle a peu à peu transformé son style et son univers. En 2017, sur l’album Poppy.Computer, le phénomène poussait dans ses derniers retranchements l’hédonisme artificiel du monde digital (avec des sonorités qui n’étaient pas sans rappeler celles de la chanteuse canadienne Grimes, avec qui elle collaborera plus tard). En 2020, c’en était fini des allures de poupée pop acidulée : l’opus I Disagree la couronnait reine du metal, conservant de ses précédentes aventures une sophistication visuelle et sonore aux antipodes des maquillages ratés et des jetés de cheveux longs indomptables qu’affectionnent en général les représentants de ce genre musical. Dans le clip du titre éponyme, la majestueuse princesse sombre règne, tout en vinyle et collier à clous, sur une tripotée de cadres tristes d’une maison de disques. Naturellement iconique dans les tenues les plus spectaculaires, la belle a rencontré, en les personnes de Viktor Horsting et Rolf Snoeren, des alter ego. Pour annoncer son mariage, en 2021, avec le rappeur Ghostemane, les couturiers ont mis en scène la princesse dark dans des spots où elle se meut, tout à son aise, entre des flacons géants de leur parfum Flowerbomb. Toujours défricheuse et avant-gardiste, Poppy posait cette année le pied là où aucune femme, avant elle, n’avait pu le faire : dans la catégorie “metal” des nominations aux Grammy Awards. Entretien avec une artiste qui n’a pas fini de faire parler d’elle.
Numéro : J’ai entendu toutes sortes de choses à votre sujet. Que vous étiez une Illuminati, que votre fan-club était devenu une véritable secte… Ces théories farfelues sont-elles pertinentes ?
Poppy : Je crois surtout que les gens adorent me projeter dans une sorte de réalité parallèle qui n’a pas grand-chose à voir avec celle dans laquelle je vis la plupart du temps. Mais je leur laisse avec plaisir le droit de penser cela. Mes fans m’ont souvent considérée, et me considèrent encore, comme une “leader”, et j’accepte ce rôle que je prends très à cœur. Il n’est pas si difficile à assumer, au contraire, c’est plutôt amusant.
En tant que star des réseaux sociaux, que conseilleriez-vous à un adolescent qui n’a qu’un seul rêve : devenir influenceur ?
Déjà, je lui dirais que ce n’est pas une très bonne idée. C’est une voie dangereuse qui demande beaucoup d’efforts pour beaucoup de déceptions. Je lui conseillerais d’emprunter un autre chemin qui se définirait par davantage de technique et de savoir-faire que le simple fait de vouloir “influencer” quelqu’un d’autre : devenir réalisateur, monteur ou ingénieur du son, par exemple. Évidemment, je sais que cela peut sembler un peu idiot venant de ma part… Influencer les gens peut être un job de rêve lorsqu’on fait de la politique, que l’on est avocat ou artiste performeur.
Les plateformes digitales et les médias vous ont-ils déjà meurtrie ?
Auparavant, oui. Je me suis sentie blessée par certaines opinions diffusées sur les réseaux sociaux. À l’époque, je ne les utilisais pas encore pour promouvoir ma musique. Beaucoup de gens sont persuadés que le simple fait d’avoir une opinion suffit en soi à pouvoir aussitôt la livrer et la partager avec le plus grand nombre. Vous conviendrez qu’il est assez effrayant d’observer les conséquences qu’un simple Tweet peut avoir. Je ne sais pas vraiment si je dois faire confiance à ma génération. Quant aux industries culturelles, je ne sais pas si nous pouvons parler de confiance. Voyons le bon côté des choses, nous nous dirigeons aujourd’hui vers davantage d’acceptation de l’autre. Autrefois, les gens étaient rapidement enfermés dans des cases.
“Les artistes metal sont très ouverts d’esprit et adorables. Ils m’ont donné énormément de conseils et beaucoup d’amour. Mais les fans de metal, eux, défendent jalousement leur temple. Ils ne sont clairement pas aussi conciliants que ceux qu’ils adulent !”
Êtes-vous effrayée à l’idée de vieillir ?
J’en ai longtemps eu peur, oui. Mais je pense que ces craintes étaient liées à une angoisse : celle de ne pas réussir à être plus que moi- même. Cela s’est un peu estompé avec le temps, notamment lorsque j’ai pris conscience que je travaillais assez dur, tous les jours, pour devenir ce que je voulais vraiment être.
Pensez-vous avoir commis des erreurs depuis les débuts de votre carrière musicale ?
Évidemment ! Tout le monde fait des erreurs. En ce qui me concerne, j’ai parfois collaboré avec des personnes qui n’étaient pas en mesure de m’aiguiller convenablement, surtout lorsque j’avais tort et que je n’étais pas à même de le reconnaître. Mais le terme “erreur” est bien trop fort, surtout dans mon métier, car il comporte
trop d’aspects négatifs sans prendre en compte la notion d’expérience. Paradoxalement, les mauvaises fréquentations provoquent parfois un déclic et vous permettent de vous émanciper. Aujourd’hui, je ne prends plus mes décisions comme je le faisais par le passé.
Quelle est la situation la plus improbable dans laquelle vous vous soyez retrouvée ?
Être nommée aux Grammy Awards dans la catégorie “metal”, je trouve que c’est pas mal dans le genre ! J’étais au volant lorsque mon manager m’a appris la nouvelle. J’ai mis quelques minutes avant de digérer l’information, cette nomination est vraiment l’une des choses les plus importantes de ma vie. Et je n’ai pas
pleuré si c’est ce que vous voulez savoir. [Rires.]
Les médias vous classent souvent dans la catégorie “nu metal”, mais je crois que vous n’êtes pas d’accord avec ce choix…
En effet, le nu metal n’est pas un genre auquel je souhaite être assimilée. [Rires.] D’ailleurs, je n’ai jamais considéré que ma musique pouvait être assignée à un genre ou à un autre. La musique contemporaine s’affranchit des genres. Parlons donc plutôt de “metal contemporain”.
D’après la rumeur, les fans de metal sont les plus sympathiques et les plus ouverts d’esprit. Pourtant, il a fallu attendre 2021 pour qu’une femme puisse être nommée dans cette catégorie aux Grammy Awards…
Les fans de metal, ouverts d’esprit ? Non, je ne dirais pas ça. [Rires.] En termes de musique metal, je crois que ceux qui la pratiquent sont, eux, très ouverts d’esprits, adorables et particulièrement inspirants. Ils m’ont d’ailleurs prodigué de nombreux conseils et donné beaucoup d’amour. Mais les fans de metal sont les gardiens de ce temple créatif. Et ils le défendent jalousement, avec parfois une forme de conservatisme. Ils ne sont clairement pas aussi conciliants que ceux qu’ils adulent ! De nombreuses femmes gravitent autour du metal. Il est donc évidemment merveilleux que je sois nommée dans cette catégorie.
À ce propos, pourquoi aviez-vous intitulé votre troisième album de 2018, Am I a Girl ?
Dans cet album, je souhaitais questionner beaucoup de choses, telles que la popularité soudaine, par exemple… Ai-je eu des réponses à mes questions ? Oui : je sais que suis une femme. [Rires.] Puis, entre-temps, il y a eu I Disagree, l’année dernière, et mon prochain album qui sortira d’ici peu. Il est déjà mixé, il est actuellement en phase de mastering. L’approche est radicalement différente de celle de mes autres projets. Il propose un nouveau son, une nouvelle énergie.
Pourquoi avez-vous accepté d’être la nouvelle ambassadrice de Viktor & Rolf Flowerbomb Mariage Limited Edition ?
Je les admire depuis longtemps. J’adore leurs défilés, et la collaboration s’est imposée naturellement. Je suis ravie d’intégrer leur campagne. J’aime la façon dont ils se poussent l’un et l’autre, et le fait que leurs pièces puissent être à la fois sauvages, sobres ou totalement déstructurées. En cela, nos univers collent bien, vous ne trouvez pas ?