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Numéro
01 Qui est Kuki De Salvertes, l'homme qui a découvert Raf Simons ?

Qui est Kuki De Salvertes, l'homme qui a découvert Raf Simons ?

MODE
De la découverte de Raf Simons à sa collaboration avec Vivienne Westwood, l'histoire de Kuki De Salvertes est parsemée de rencontres mythiques. Le célèbre directeur du bureau de presse Totem s'est confié à Numéro à l'occasion d'une exposition-hommage.

Kuki De Salvertes, nom mythique pour tous les passionnés de mode, a fait ses armes en tant qu'attaché de presse chez Moschino dès l'âge de 24 ans. Son amour pour ce milieu et cette envie de dénicher les plus grands designers, comme Raf Simons et Jeremy Scott, le pousse à monter son propre bureau de presse "Totem Fashion" en 1991, une petite structure dévoilant la crème de la crème des créateurs. Il devient alors le porte-parole de Walter Van Beirendonck, Veronique Branquinho et d'autres talents de l'école belge de même que consultant pour le renommé Jean-Charles de Castelbajac. Une carrière riche et atypique dévoilée à travers cette exposition-hommage intitulée "La vie dans la mode" à la Joyce Gallery à Paris. À cette occasion, Numéro a demandé à ce dénicheur de talents de revenir sur les 5 plus grandes anecdotes mode de sa carrière.

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Walter Van Bereindonck automne-hiver 2006-2007 © Totem Fashion Walter Van Bereindonck automne-hiver 2006-2007 © Totem Fashion
Walter Van Bereindonck automne-hiver 2006-2007 © Totem Fashion

“Le premier défilé Walter Van Beirendonck, un chaos total de 25 minutes qui a précédé une ovation incroyable.”

 

Ma première rencontre avec Walter se passe en 1988, je suis alors attaché de presse pour Moschino basé entre Milan et Paris. J’ai 24 ans et je suis très curieux, je recherche en permanence ce qui se fait de nouveau dans le milieu. Et je vois une collection sur la scène italienne très étonnante, une collection sportswear avec des sweatshirts dans des couleurs fluorescentes, avec des imprimés jacquard et animalier amusants. La marque s’appelle « Rhinosaurus Rex», je me renseigne et j’apprends qu’il y a en sous-marin un jeune styliste belge qui s’appelle Walter Van Beirendonck. Je demande à le rencontrer, mais je suis en contrat exclusif avec Moschino donc je ne peux pas faire grand chose pour le promouvoir. Il faudra attendre 1991 lorsque je lance mon bureau de presse Totem, une petite structure représentant une dizaine de designers, toujours dans cette volonté de dévoiler les meilleurs designers pour les meilleurs magazines de mode. C'est d'ailleurs le moment idéal pour travailler ensemble puisqu'il vient tout juste de lancer sa propre marque. « W< », une ligne destinée à la jeune génération férue de techno, aux codes visuels incroyables : des couleurs vives, du néoprène, du latex, des vêtements empruntés au monde du sport comme des tshirts de cycliste. En un mot, révolutionnaire ! Son premier défilé au Lido fut un triomphe, des hordes de 40 mannequins ont défilé sur une musique techno hurlante, alors même que tous les journalistes -Suzy Menkes, Hamish Bowles- n’étaient pas encore installés. Un chaos total de 25 minutes qui a précédé une ovation incroyable. La carrière de Walter était lancée.

Raf Simons © Totem Fashion Raf Simons © Totem Fashion
Raf Simons © Totem Fashion

“Raf Simons, un joli garçon à la peau diaphane, grand, longiligne au style fou.”

 

Voilà ce que j’ai pensé de Raf Simons la première fois que je l’ai vu au showroom de Walter. Il portait un pantalon pattes d’éléphant vintage des années 70, des baskets blanches, un pull noir très moulant à la coupe architecturée. Il était alors stagiaire et s’occupait du design du showroom.  Il avait crée pour l’occasion des meubles sous la direction de Walter et étudiait à cette époque à l’Académie d’Anvers au sein de la section architecture. Avec son sens du style et son attrait pour la mode, je lui propose de faire une collection capsule avec quelques pièces, 4 sweatshirts, 2 chemises et un pantalon.  Une collection que l’on a présenté aux acheteurs et journalistes et qui a connu un succès immédiat. L'imagerie forte autour du vêtement a tout de suite séduit : elle dévoilait un adolescent rebelle, un garçon des mauvais quartiers à l’allure nonchalante alors même que les vêtements étaient très bien coupés et très bien pensés. Fort de ce succès, il a enchainé son premier défilé et a suivi la carrière que l'on lui connaît ! Je suis d’ailleurs ravi qu’il soit arrivé chez Calvin Klein, je pense qu’il sera très épanoui là-bas. Il pourra dévoiler sa fibre architecturale, son sens de la scénographie et surtout cet ascétisme du vêtement qui le caractérise.

Jean-Charles de Castelbajac et Kuki De Salvertes © Totem Fashion Jean-Charles de Castelbajac et Kuki De Salvertes © Totem Fashion
Jean-Charles de Castelbajac et Kuki De Salvertes © Totem Fashion

“Jean Charles de Castelbajac, un passionné, un designer cultivé emplis de références littéraires et artistiques.”

 

Nous sommes en 1989 et Jean-Charles vient me voir parce qu’il est dans le creux de la vague. Pour lui et d’autres créateurs comme Thierry Mugler et Claude Montana, la hype des années 80 s’est quelque peu évaporée. J’ai été touché par ce fou de mode, je l’ai adoré dès notre premier rendez-vous. Un passionné, un designer cultivé emplis de références littéraires et artistiques. Il fallait simplement rajeunir ses codes « vieille France » afin que la scène mode plus jeune redécouvre son travail. Voilà pourquoi on a opté pour le monogramme J.C.V.D combiné à un casting plus percutant et c’était reparti !

Vivienne Westwood © Uscha Pohl Vivienne Westwood © Uscha Pohl
Vivienne Westwood © Uscha Pohl

“Vivienne Westwood et moi c’est un raté.”

 

À l’époque, je voyais Vivienne Westwood comme la « Comme D » anglaise, une designer surcréative et surlookée. Lorsqu’elle a lancé sa propre marque sans un sou en poche, elle m’a demandé de faire partie de l'aventure. Je ne pouvais que dire oui, j’étais mille fois séduit par son style punk baroque, inspiré par les peintures du XVIIe siècle avec ces robes pompadour à la sauce trash anglaise. Ce fut un projet très excitant et stimulant mais qui arriva à un moment où j’étais complètement à plat financièrement. Vivienne avait beau me répéter que l’argent allait arriver, je n’avais même plus de quoi payer mon loyer à Londres et la situation devenait extrêmement compliquée.  Donc j’ai dû mettre fin à cette collaboration courte mais intense, un beau projet avorté un peu trop tôt malheureusement !

Isabella Blow © Shoji Fujii Isabella Blow © Shoji Fujii
Isabella Blow © Shoji Fujii

“Une amitié amoureuse avec Isabella Blow.”

 

Pour un attaché de presse, le cœur du métier est composé des rédactrices de mode, qui deviennent lorsqu’elles ont du talent, des sources d’inspiration et de motivation. Et souvent elles deviennent surtout nos meilleures amies, on noue avec elles des amitiés amoureuses. C’est exactement ce qu’il s’est passé avec Isabelle Blow. Je l’ai rencontré à Londres, en allant assister au 3ème défilé Alexander McQueen. Isabella était au premier rang, en total look Alexander Mcqueen, incarnant son personnage fantasque et amusant, vivant à 1000% pour la mode. Elle était adulée de tous et médiatisée à outrance mais elle adorait cela. Elle avait besoin d’être rassurée en captant tous les regards, elle était fascinante. Elle s’est tout de suite intéressée à mon travail et notamment à un petit jeune que je représentais alors, un américain complètement fauché à l’univers et l’énergie incroyables qui proposait quelque chose de radicalement différent, ce petit jeune c’était Jeremy Scott. Isabella est véritablement devenue son porte parole, avec Babeth Djian et Carine Roitfeld. Ces trois femmes ont été un vrai soutien pour Jeremy, elles se sont enthousiasmées pour son travail et elles ont bravé les règles des annonceurs pour imposer ce jeune créateur dans leurs séries modes. Cette clique se retrouvait à chaque défilé, animée d’une vraie curiosité envers les créateurs.

 

"Kuki De Salvertes, La Vie dans la Mode" à la Joyce Gallery, 168 Galerie de Valois, Ier Paris. Jusqu'au 31 janvier 2017. Le catalogue de l'exposition est disponible ici