Artiste

Eva Jospin

Née en 1975, Eva Jospin explore l’imaginaire par le biais de la matière brute. Sculptant le carton comme d’autres taillent le marbre, elle érige un monde de forêts denses, d’architectures fantasmées et de textures brodées, où l’art dialogue subtilement avec le patrimoine, le mythe et le rêve. Sa « Chambre de soie », présentée à l’Orangerie du château de Versailles en 2024, en est l’apogée.

Publié le 6 juin 2025. Modifié le 11 juin 2025.

Le carton comme forêt, le geste comme exploration

À première vue, le carton semble anodin. Pourtant, sous les mains d’Eva Jospin, il devient matière première d’un art raffiné. Elle le découpe, le superpose, le sculpte jusqu’à en faire surgir des forêts labyrinthiques, des paysages où l’œil se perd et s’émerveille. En cela, son geste s’apparente à celui d’un architecte du rêve.D’ailleurs, ses œuvres rappellent les gravures de Piranèse autant que les bois sacrés de la Renaissance. Chaque entaille évoque une topographie mentale, chaque strate suggère une mémoire. Ainsi, elle érige des espaces oniriques dans lesquels coexistent illusion, profondeur et solitude. Conséquemment, cette esthétique baroque fascine. L’art de Jospin ne raconte pas seulement la nature : il la réinvente, la domestique sans jamais l’aseptiser. Ses forêts sculptées sont des vestiges imaginaires, des chambres d’échos où l’enfance, les contes et la contemplation se rejoignent.

Versailles 2024 : la Chambre de soie, une immersion brodée

À la suite de ses œuvres sculptées, Eva Jospin entame un dialogue avec le textile. En 2024, elle dévoile à l’Orangerie du château de Versailles une pièce monumentale : Chambre de soie. Cette installation immersive convoque l’esprit des cabinets de curiosités, des tentures de cour et des chambres princières.Le carton, pourtant si rugueux, s’y mêle à la soie et aux fils dorés. Chaque surface devient récit, chaque mur, une tapisserie habitée. Par conséquent, la matière s’élève, devient langage. Le spectateur ne regarde plus : il pénètre un univers. Ce théâtre figé, en écho au faste de Versailles, ne reproduit pas l’histoire : il la réinvente, la brode à l’aiguille du rêve. En définitive, cette chambre n’est ni décorative ni conceptuelle. Elle est un lieu d’écoute, un espace à ressentir. Eva Jospin transforme ici l’apparat royal en méditation silencieuse. Elle ne pastiche pas : elle réinterprète avec subtilité, entre clair-obscur et éblouissement.

D’un atelier parisien à la scène internationale

Diplômée des Beaux-Arts de Paris, Eva Jospin s’impose d’abord dans le paysage français par sa minutie et sa constance. En 2016, elle est pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Ce séjour, d’une importance cruciale, lui permet de mêler sa pratique artistique à une réflexion sur l’architecture, la ruine, la nature recomposée.Dès lors, ses installations prennent une ampleur nouvelle. Elle expose à la Galleria Continua, dans des lieux patrimoniaux comme le domaine de Chaumont-sur-Loire, mais aussi dans l’univers de la mode, en collaborant notamment avec Dior. À chaque fois, elle s’adapte à l’espace, en respecte l’histoire tout en le métamorphosant.Ainsi donc, sa renommée ne repose pas uniquement sur une signature visuelle forte, mais sur une pensée du lieu. Elle ne s’impose pas aux lieux : elle les écoute, les sculpte, les amplifie.

Un art total, entre forêt mentale et broderie monumentale

Le travail d’Eva Jospin dépasse les catégories. Sculpture, installation, couture, architecture : elle fusionne les disciplines, sans hiérarchie. En cela, elle s’inscrit dans une tradition d’art total, où l’œuvre devient expérience.À ce propos, on pense aux décors de théâtre, aux ateliers de brodeurs, aux forêts initiatiques. Elle façonne un monde immersif, lent et organique. Là où d’autres parlent de technologie, elle répond par le geste, la matière, la lenteur.Finalement, ce qu’elle nous offre, c’est un refuge. Une échappée mentale. Un silence sculpté. Dans un monde saturé d’images, son œuvre creuse des interstices. Elle réconcilie l’imaginaire et le tangible. Elle donne forme à l’invisible.