Artiste

Eva Jospin

Née en 1975, Eva Jospin explore l’imaginaire par le biais de la matière brute. Sculptant le carton comme d’autres taillent le marbre, elle érige un monde de forêts denses, d’architectures fantasmées et de textures brodées, où l’art dialogue subtilement avec le patrimoine, le mythe et le rêve. Sa « Chambre de soie », présentée à l’Orangerie du château de Versailles en 2024, en est l’apogée.

Publié le 6 juin 2025. Modifié le 22 juillet 2025.

Le carton comme forêt, le geste comme exploration

À première vue, le carton semble anodin. Pourtant, sous les doigts d’Eva Jospin, il devient une matière noble, presque sacrée. Elle ne le recouvre pas. Elle le découpe, le superpose, le creuse, l’évide. Peu à peu, une forêt naît. Dense, complexe, mystérieuse. Elle surgit d’un matériau pauvre, mais offre une expérience visuelle d’une richesse inattendue. À travers chaque strate, elle bâtit des paysages mentaux. Ses œuvres rappellent les gravures de Piranèse autant que les forêts sacrées de la Renaissance. Rien n’est laissé au hasard. Chaque entaille raconte une mémoire. Chaque épaisseur suggère un passage, un seuil, un vertige. Son geste s’apparente à celui d’un architecte du rêve. Elle sculpte l’illusion sans la figer. Elle donne corps à un monde dans lequel l’œil se perd et s’émerveille. Par conséquent, ses forêts ne sont pas de simples décors. Ce sont des territoires à explorer, des chambres d’échos où se mêlent silence, solitude et enchantement.

Ainsi, elle recrée une nature imaginaire, sublimée, transformée. Elle ne cherche pas à copier le réel. Elle le réinvente, le charge de mémoire, de symboles et de récit. À travers ses sculptures, l’art devient abri. Un refuge tactile, fragile et monumental.

Versailles 2024 : la Chambre de soie, une immersion brodée

À la suite de ses œuvres sculptées, Eva Jospin entame un dialogue avec le textile. En 2024, elle dévoile à l’Orangerie du château de Versailles une pièce monumentale : Chambre de soie. Cette installation immersive convoque l’esprit des cabinets de curiosités, des tentures de cour et des chambres princières.Le carton, pourtant si rugueux, s’y mêle à la soie et aux fils dorés. Chaque surface devient récit, chaque mur, une tapisserie habitée. Par conséquent, la matière s’élève, devient langage. Le spectateur ne regarde plus : il pénètre un univers. Ce théâtre figé, en écho au faste de Versailles, ne reproduit pas l’histoire : il la réinvente, la brode à l’aiguille du rêve. En définitive, cette chambre n’est ni décorative ni conceptuelle. Elle est un lieu d’écoute, un espace à ressentir. Eva Jospin transforme ici l’apparat royal en méditation silencieuse. Elle ne pastiche pas : elle réinterprète avec subtilité, entre clair-obscur et éblouissement.

D’un atelier parisien à la scène internationale

Diplômée des Beaux-Arts de Paris, Eva Jospin s’impose d’abord dans le paysage français par sa minutie et sa constance. En 2016, elle est pensionnaire de la Villa Médicis à Rome. Ce séjour, d’une importance cruciale, lui permet de mêler sa pratique artistique à une réflexion sur l’architecture, la ruine, la nature recomposée. Dans la Ville éternelle, elle réfléchit à l’architecture, à la ruine, au paysage comme mémoire. Elle marche dans les jardins italiens, observe les fresques, les plafonds, les marbres brisés. Dès lors, ses œuvres changent d’échelle. Elles deviennent plus immersives. Elles racontent davantage.

Dès lors, ses installations prennent une ampleur nouvelle. Elle expose à la Galleria Continua, dans des lieux patrimoniaux comme le domaine de Chaumont-sur-Loire, mais aussi dans l’univers de la mode, en collaborant notamment avec Dior. À chaque fois, elle s’adapte à l’espace, en respecte l’histoire tout en le métamorphosant.Ainsi donc, sa renommée ne repose pas uniquement sur une signature visuelle forte, mais sur une pensée du lieu. Elle ne s’impose pas aux lieux : elle les écoute, les sculpte, les amplifie.

Une œuvre hybride, entre sculpture et broderie

Le travail d’Eva Jospin échappe aux définitions classiques. Sculpture ? Installation ? Architecture ? Textile ? Tout cela à la fois. L’artiste brouille les frontières entre les disciplines et construit des mondes où le regard circule librement, sans hiérarchie. Chaque œuvre devient une expérience.

Eva Jospin s’inscrit dans une tradition d’art total. Comme au théâtre ou dans certains arts décoratifs, tout concourt à une immersion complète. La matière, la lumière, la perspective : chaque élément participe à la création d’un espace mental.

D’ailleurs, on pense aux forêts initiatiques, aux grottes sacrées, aux scènes d’opéra. Son art crée des seuils. Il invite ainsi à franchir, à errer, à se perdre. Mais surtout, il oblige aussi à ralentir. À l’époque de la vitesse et des écrans, elle répond par la lenteur. Par le geste. Par la main.

Sa démarche valorise ainsi ce que l’on ne voit plus : la texture, le temps, la concentration. L’artiste ne cherche pas l’innovation technique. La plasticienne préfère explorer les ressources d’un matériau humble. Elle transforme le carton en dentelle, la soie en mur, le fil en phrase. Elle donne forme à l’invisible.

Eva Jospin : Une poétique du silence

Finalement, l’œuvre d’Eva Jospin invente une nature mentale. Une forêt d’idées, de souvenirs, de sensations enfouies. Ses forêts sont peuplées d’ombres. Celles de l’enfance, des contes et des mondes disparus. Son art n’est ni froid ni démonstratif. Il touche, car il vient de loin. Il prend racine dans un rapport organique au monde. Dans un besoin de creuser, de relier, d’habiter le vide. Dans un désir de créer des refuges.