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Pourquoi la céramique est-elle à la mode ? Réponse avec l’artiste Natsuko Uchino
À travers son art de la céramique, Natsuko Uchino, sensible à la nature et à l’écologie, célèbre le retour à la terre. Attirant notre regard sur ce matériau fondamental à la vie, elle interroge notre rapport à la planète.
Propos recueillis par Nicolas Trembley.
Il y a une dizaine d’années, l’artiste Natsuko Uchino, élevée à Paris dans une famille japonaise, répond à l’invitation de l’artiste Peter Nadin et de sa femme Anne Kennedy, une des fondatrices de la puissante agence Art + Commerce, et se lance dans un projet de ferme dans les monts Catskill. Cette entreprise pluridisciplinaire qui visait à réinventer ou à retourner à l’expérience pastorale marquera fortement l’artiste. Elle a pu y expérimenter et croiser des notions comme l’artisanat, l’écologie, l’art et l’agriculture. Mais c’est surtout la céramique que Natsuko Uchino développe et expose aujourd’hui, sans jamais négliger le contexte de production et d’exposition. Ces céramiques ne sont pas de simples objets, mais plutôt des réceptacles qui racontent l’histoire du médium, prennent en compte, par exemple, l’économie ou la politique de l’artisanat ou certaines techniques et leur développement, comme le torchis (pour l’architecture) ou la fermentation (pour la cuisine). Ces objets, assiettes ou bols, marqués par un style brut et magnifique, ne se limitent pas à de la décoration, mais véhiculent un discours sur le retour à la terre. L’artiste vit aujourd’hui à Saint-Quentin- la-Poterie et enseigne aux beaux-arts du Mans. Nous l’avons rencontrée alors qu’elle montait un projet au Cœur, à Paris, un espace géré par la styliste Maroussia Rebecq, avec We Do Not Work Alone, une maison d’édition d’objets d’artistes, les collaborations transversales étant toujours au centre de ses préoccupations.
Numéro : Quel a été votre parcours et par quoi a-t-il été influencé ?
Natsuko Uchino : J’ai fait des études d’art à la Cooper Union de New York avant de partir en résidence d’une année au CCA Kitakyushu, ce qui m’a permis de retourner au Japon où j’ai travaillé avec un céramiste traditionnel, Masafumi Oonishi, dans le village rural artisanal de Tanba Sasayama. Il est souvent difficile de discerner comment une chose en a entraîné une autre. Mais, par exemple, je peux clairement identifier que mon intérêt pour la céramique, le mingei [artisanat populaire] ou les matériaux naturels découle de mon expérience pastorale dans les montagnes Catskill, et de ma redécouverte du Japon. Jusqu’à l’âge de 25 ans, j’ai grandi dans des métropoles, et un jour je suis partie vivre à la campagne pour monter un projet agricole. Certainement en réaction à mes années urbaines, mais aussi après avoir vécu le tournage d’un film dans le désert du Sud-Ouest américain et une expérience de jardin partagé à New York…
Comment avez-vous découvert que vous vouliez être artiste ?
Les petits livres de Sophie Calle, comme son Carnet édité chez Actes Sud, m’ont appris qu’un geste peut faire œuvre… C’est cela qui a déclenché ma vocation.
Quels sont les artistes et les personnalités qui vous intéressent ?
J’aime les peintres nordiques comme Per Kirkeby, Emil Nolde ou aujourd’hui Magni Moss, et je m’intéresse beaucoup à Thomas Hirschhorn, Theaster Gates, Yvonne Rainer, Robert Morris, Peter Voulkos, Angélica Liddell, Ana Mendieta, entre autres. Actuellement je lis Faire de l’anthropologue Tim Ingoldn, et des ouvrages comme Extrastatecraft de Keller Easterling ou La Ville agricole de Rémi Janin sont des références. Cela m’encourage de voir qu’une figure comme Rem Koolhaas vient étoffer la réflexion critique sur les campagnes, de même que les recherches de CRAterre ENSAG (un collectif créé en 1979 à l’initiative d’étudiants de l’École d’architecture de Grenoble) qui portent sur la terre crue : le matériau de construction le plus répandu à travers le monde aujourd’hui.
On connaît votre attrait pour la céramique. Comment est-il né ?
C’est le retour à la terre ! J’ai été attirée par le matériau, dans tous ses états : l’écologie des sols avec l’agriculture alternative, et l’argile, pour son potentiel de transformation et de présentation. Après les beaux-arts, j’ai pris des cours au Greenwich House Pottery, un club amateur. Je désirais produire des contenants pour mon projet d’agriculture alternative. Plus récemment, la céramique a joué un rôle charnière entre agriculture, paysage, environnement et convivialité.
Vous considérez-vous comme une sculptrice ?
Oui, car le rapport aux matériaux est déterminant dans la conception et la réalisation d’un travail. La capacité de toucher, de façonner et de transformer le matériau sont les gestes essentiels de la création… en sculpture comme en cuisine ! Je suis professeure de sculpture, j’essaie d’enseigner un maximum de techniques. J’aime les outils, les échanges avec les artisans et les maîtres ouvriers tout comme avec les agriculteurs.
Vous appartenez à la génération Internet. En quoi cela vous influence-t-il ?
Internet affecte tout le monde contemporain. Et surtout les personnes qui, par manque d’équipement, n’y ont pas accès. Oui, c’est une réalité, les notions de rhizomes et de contenu fluide éternellement réorganisable changent forcément ma manière de structurer ma pensée.
Vous êtes aussi commissaire d’exposition…
Je n’ai organisé qu’une exposition en tant que curatrice :J’ai rêvé le goût de la brique pilée avec Sophie Auger, au Centre Céramique contemporaine La Borne et aux beaux-arts de Bourges. Mais effectivement, la scénographie joue un rôle majeur dans la conception et la présentation de mon travail, elle rejoint mes recherches sur la sculpture et l’installation. La question du display d’objets divers, à la fois anciens, vernaculaires, entre artistes contemporains et artisans est essentielle dans ma pratique.
Vous sentez-vous proche d’un mouvement artistique en particulier ?
J’ai la chance inouïe d’être entourée d’artistes, de penseurs, d’amis actifs dans leurs champs respectifs, qui m’accompagnent toujours dans mes projets. Il y a aussi un groupe informel de recherche qui, au fil des colloques et des rencontres sur l’art en milieu rural, se cristallise entre Benoît Antille, chercheur en Suisse, le CIAP de Vassivière, Adam Sutherland de Grizedale Art, Nicolas Hérisson de Piacé Le Radieux et le projet de La Ferme radieuse et le centre coopératif de Le Corbusier et Norbert Bézard. Je me sens proche d’IdeasCity Arles, un groupe très diversifié et très rigoureux quant à la critique post-coloniale, formé autour de Vere van Gool du New Museum.
Quel est votre prochain projet ?
Je viens de terminer une exposition à Tonus, un espace alternatif parisien géré par un couple d’artistes. Le mois prochain, j’emmenerai mes étudiants des beaux-arts du Mans au centre d’art Vent des Forêts pour une suite d’ateliers in situ. Au printemps, nous produirons des pièces dans une briqueterie (Rairies Montrieux) et nous les installerons à Vent des Forets dans un an. Mais mon prochain projet militant consiste à relancer des constructions en terre crue, en utilisant de l’enduit, de la brique et du torchis.
Pourquoi la céramique est-elle si en vogue aujourd’hui ?
Je croyais que c’était le textile qui faisait son retour en force ! La céramique est à la mode depuis un certain temps, et cela perdure. La céramique fait partie de nos vies et de nos civilisations depuis si longtemps qu’il est difficile de ne pas l’apprécier. Le feu, l’alchimie, la transformation de la terre en pierre, les émaux, tout cela est passionnant. Pourquoi la céramique est-elle à la mode ? J’aimerais répondre que c’est parce que les gens se lassent du plastique, mais même s’ils s’en lassent, on continue toujours d’en produire !