21 nov 2022

Who is Eartheater, electro pop’s most fascinating alien and fashion icon on the rise?

Auteure-compositrice-interprète connue sous le pseudonyme d’Eartheater, la chanteuse Alexandra Drewchin a gardé de son enfance passée dans une ferme de Pennsylvanie un rapport fusionnel à la nature, qu’elle transcrit dans sa musique tellurique, éthérée et explosive. Entre dream pop, folk psyché et électro, ses textes et ses mélodies entremêlent les rêves et le monde tangible pour donner naissance à une nouvelle réalité fantasmagorique. Alors que la trentenaire vient de sortir une réédition de son album Trinity augmentée de remixes, elle travaille actuellement à l’élaboration de son sixième album, attendu au printemps 2023.

Photos par Colin Solal Cardo.

Réalisation par Lisa Jarvis.

Texte par Matthieu Jacquet.

Photos by Colin Solal Cardo.

Styling by Lisa Jarvis.

Text by Matthieu Jacquet.

Eartheater porte un manteau JUNYA WATANABE.

Pénétrer l’univers d’Eartheater, c’est découvrir un monde qui n’est plus complètement humain. Un monde où les femmes se laissent pousser des ailes de dragon et des cornes de diable, ouvrent la bouche pour en faire sortir des escargots argentés qui viennent recouvrir leur corps dénudé, ou bien chevauchent de majestueux destriers pour partir à l’aventure, avant de se retrouver auprès du feu pour raconter leurs odyssées à travers leurs chants cristallins et les sons délicats des instruments à cordes.

 

À la fois tellurique, éthérée et explosive, Alexandra Drewchin – de son vrai nom – est une véritable alien de la musique contemporaine. Révélée dans le monde entier depuis quelques années par ses deux derniers opus mais également par sa présence dans la mode, l’Américaine compte déjà cinq albums studio à son actif. “J’aime tenir le public en haleine, qu’il ne sache jamais à quoi s’attendre avant de me découvrir”, confiait l’artiste en juin à Vincennes, où elle se produisait à l’occasion du festival We Love Green.

 

Jusqu’à présent, le pari semble tenu. Car, autant que son image, la musique de la New-Yorkaise qui développe, depuis sept ans, un son hybride entre dream pop éthérée, folk psyché expérimental et électro pop incandescente, ne cesse de déjouer les attentes.

Eartheater porte un ensemble et des boucles d’oreilles MIU MIU, des bijoux de tête AREA et un ras-du-cou SWAROVSKI.

Sa musique incarne elle aussi avec une grande finesse ce devenir fantastique, voire mystique, de l’environnement à travers son regard éveillé. Dès ses premiers albums Metalepsis et RIP Chrysalis (2015), puis Irisiri (2018), l’artiste emporte l’auditeur dans un voyage intimiste vers un mystérieux éden.

 

Les rythmes feutrés pourraient y évoquer les clapotis d’une eau frémissante, les arpèges à la harpe ou à la guitare semblent faire apparaître les couleurs et les lumières d’une végétation luxuriante, tandis que les mouvements d’une faune imaginaire ont l’air de trouver leur écho dans les grincements frénétiques des cordes des violons, ou dans les aigus extrêmes et les superpositions polyphoniques de la voix de la chanteuse, rappelant parfois les vocalises des cétacés parcourant les océans. L’artiste parle d’ailleurs elle-même de sa musique comme d’une peinture où mélodies et instruments incarnent des pigments qu’elle saupoudrerait puis agencerait sur une toile. Aussi étrange que voluptueux, le paysage musical qu’elle compose surprend souvent l’oreille, rappelant tantôt les épopées vocales de Björk et d’Imogen Heap, tantôt les expérimentations dissonantes du duo CocoRosie ou encore la folk féerique de Diane Cluck et de Joanna Newsom.

 

Peu à peu, Eartheater sort de sa chrysalide, notamment avec l’album Trinity qu’elle lance en 2019 sur son propre label Chemical X, fondé à cette occasion. Au fil de dix titres où elle s’aventure dans un genre plus proche de l’électro, de l’hyperpop et même de la trap, la chanteuse choisit de mettre l’accent sur les beats et invite pour la première fois sept producteurs à collaborer avec elle. À travers ces méandres sonores sensuels dans lesquels on glisse d’un titre à l’autre sans rupture, Alexandra Drewchin déroule une métaphore filée de l’eau dans tous ses états – solide, liquide, gazeux – pour évoquer son propre désir. “Il y a beaucoup de sexualité dans ce que je fais même si on ne le perçoit pas toujours, déclare-t-elle sans ambages. C’est une force très puissante que je mobilise quand je chante.”

Eartheater porte une robe GCDS, un collier CHAUMET et une boucle d’oreille PANCONESI.

Ce rapport assumé de la trentenaire à son corps culmine sur la pochette de son dernier album en date, Phoenix: Flames Are Dew Upon My Skin, paru à l’automne 2020. Devant un arrière-plan aux couleurs ardentes, la chanteuse, vêtue d’un corset de perles, tourne le dos à l’objectif pour dévoiler sur son dos des ailes de chauve-souris, tandis que des étincelles jaillissent du sol entre ses jambes dénudées.

 

Un statement visuel qui n’a pas manqué de séduire le monde de la mode : de ses morceaux, choisis pour rythmer les défilés Chanel, Proenza Schouler et très récemment Acne Studios, à ses apparitions dans les campagnes Mugler et Dion Lee, Eartheater affirme l’image d’une femme forte, sensuelle et mystérieuse, qui n’en conserve pas moins la complète direction artistique de ses projets. Parolière et compositrice derrière tous ses titres et leur instrumentation, réalisatrice de plusieurs de ses clips, l’Américaine poursuit sa route en s’entourant de plus en plus de figures qui croisent sa vision créative : après des collaborations avec les chanteurs, producteurs et DJ Sega Bodega et LSDXOXO, elle apparaîtra en featuring sur un titre du nouvel album de Grimes, autre alien de l’électro pop dans le sillon duquel la musique d’Eartheater s’inscrit indéniablement.

 

Sur son propre label Chemical X, Alexandra Drewchin a récemment encadré les débuts musicaux de Lolahol, alias Lourdes Maria Ciccone Léon, la fille aînée de la reine de la pop, démontrant sa volonté d’agréger une communauté d’artistes affranchie des contraintes des maisons de disques et de l’industrie musicale.

Eartheater porte un manteau PRADA, des anneaux d’oreilles et une bague SWAROVSKI et des bracelets PANCONESI.

Aujourd’hui, Eartheater semble avoir trouvé l’équilibre entre sa vie citadine active – entre scène underground new-yorkaise et tournées internationales – et ses racines rurales, se ménageant notamment des moments plus apaisés pour écrire son sixième album prévu pour le printemps 2023.

 

Cette ambivalence se dévoile aussi dans ses performances scéniques. Il y a près d’un an, l’artiste foulait la scène de l’auditorium de la Bourse de commerce au cœur de Paris : vêtue d’une robe fourreau Givenchy noire, ses cheveux auburn délicatement plaqués autour de son visage et guitare à la main, la chanteuse entourée de quelques violons, d’altos et d’un piano à queue laissait avec élégance sa voix s’envoler dans des mélopées célestes, sur les titres acoustiques de son dernier album, créant un précieux moment de poésie dans un décor intimiste.

 

Quelques mois plus tard, c’est au parc de Vincennes qu’elle revient, cette fois-ci seulement accompagnée par son DJ, pour jouer au festival We Love Green : on la découvre alors sous les traits archétypaux d’une bimbo californienne portant perruque blonde, grosses lunettes noires, minishort en jean et brassière rose scintillante, enflammant la scène et ses milliers de spectateurs sur les titres les plus électro de sa discographie. Malgré ces incarnations multiples et cet éclectisme, Eartheater affirme avec conviction n’avoir aucun alter ego. Seule émerge l’image d’une femme profondément créative et libre, qui tient à suivre son instinct tout en conservant son intégrité.

 

 

“Scripture” et “Mitosis” (Chemical X) d’Eartheater, disponibles. “Trinity (Deluxe)” (Chemical X) d’Eartheater, réédition de l’album au format vinyle et augmenté de remixes, disponible depuis le 18 novembre 2022.

Eartheater porte un tailleur, GUCCI, des boucles d’oreilles et bagues MESSIKA et des colliers SWAROVSKI. Vidéo : Lilian Hardouineau. Coiffure : Quentin Lafforgue chez Agence Saint Germain. Maquillage : Lili Choi chez Calliste Agency. Manucure : Eri Narita chez WSM. Set design : Manon Everhard. Assistantes réalisation : Tabitha Hodgson et Cristina Medina.

En interview, Alexandra Drewchin s’exprime presque comme dans les paroles de ses chansons. Au fil de ses mots, les éléments et les métaphores prévalent, les rêves et le monde tangible s’entremêlent pour forger une nouvelle réalité : un temps, elle s’arrête sur un stratus flottant dans le ciel, dont la forme étonnante la fascine et lui rappelle sa propre incarnation en nuage dans le clip de son morceau Scripture ; plus tard, elle raconte en des termes imagés sa rencontre fantasmagorique avec Madonna à travers les vapeurs d’un Jacuzzi, éclairée par la pleine lune.

 

Lors d’un premier échange avec Numéro il y a deux ans, la chanteuse décrivait déjà avec émerveillement le cadre dans lequel elle a grandi. Élevée dans une ferme en Pennsylvanie, isolée de la civilisation, de la musique et des divertissements populaires (pas de téléviseur ni d’ordinateur à la maison), la jeune Alexandra passe ses journées à s’occuper de ses poules et de son poney, à suivre les cours de ses parents qui lui font l’école à la maison, à écrire des poèmes et à chanter en se promenant dans les environs de sa demeure, d’une grotte magique où poussent des orchidées à une rivière enchanteresse bordée d’arbres, qui lui évoquent “le royaume ‘elfique’ du Seigneur des anneaux”.

 

À 18 ans, nourrie par un imaginaire déjà foisonnant, elle quitte la campagne pour s’installer à New York et se lancer dans la musique en autodidacte avec son instrument de prédilection, la guitare. Après quelques années au sein d’un groupe, l’artiste se choisit un pseudonyme qui, lui aussi, reflète son rapport viscéral à la nature et à ses ressources : Eartheater, un mot signifiant littéralement “mangeuse de terre”, qui lui a été inspiré par l’un des personnages du roman Cent Ans de solitude de Gabriel García Márquez : une jeune fille qui évacue ses angoisses en dévorant le sol.

Coat, JUNYA WATANABE.

Entering the world of Eartheater, you discover a place that’s not entirely human, one where women grow dragon wings and devil horns, open their mouths to let out silver snails that cover up their naked bodies, or mount majestic stallions to gallop away to adventure, before meeting up around the camp fire to recount their odysseys in crystalline song accompanied by delicate strings. The 33-year-old American, who achieved fame with her last two albums as well as appearances in the world of fashion, already has five studio discs to her credit. “I like to keep the audience on the edge of their seats, so that they never know what to expect before they discover me,” she told Numéro this June in Vincennes, where she was perform- ing at the festival We Love Green. So far, she’s kept her promise, for in both image and music, the New York resident, who has spent the last seven years developing a hybrid sound that mixes ethereal pop, experimental psychedelic folk and incandescent electro pop, has never stopped confounding expectations.

Dress and earrings, MIU MIU. Head jewels, AREA. Choker, SWAROVSKI.

When interviewed, Drewchin talks like one of her songs, her speech full of metaphors, the oneiric and the tangible coming together to form a new reality. At one point she fixates on a cloud whose strange shape fascinates her, reminding her of her own nebulous incarnation in the video to her song Scripture; at another she recounts in vivid terms her phantasmagorical meeting with Madonna in a steam-filled Jacuzzi lit only by the beams of the moon. When we first met, two years ago, she described with wonder the place where she grew up, an isolated Pennsylvania farm entirely cut off from civilization, music and pop entertainment, since there was no TV or computer at home. The young Alexandra spent her days looking after her chickens and her pony, be- ing educated by her parents, and writing poems and singing while strolling through the surrounding countryside, from a magic cave where orchids grew to an enchanted, tree-lined river that made her think of “the elf kingdom in The Lord of the Rings.At 18, she took her overflowing imagination to New York where she launched a self-taught music career playing guitar. After a few years in a band, she went solo under the pseudonym that reflects her visceral relationship to nature: Eartheater, she says, was inspired by Gabriel García Márquez’s novel One Hundred Years of Solitude, in which a young girl appeases her anxiety by eating soil.

Dress, GCDS. Necklace, CHAUMET. Earring, PANCONESI.

Her music also delicately expresses the fantastical, mystical environment as seen through her alert eyes. Already in her first albums Metalepsis and RIP Chrysalis (both 2015), which was followed by Irisiri (2018), she took the listener on an intimate journey into a mysterious Eden. The velvety rhythms evoke the lap of water, harp and guitar arpeggios conjure up the light and colour of luxuriant vegetation, while grinding violin strings sound like a prancing faun, and Drewchin’s own extreme high notes and polyphonic superimpositions recall the speech of whales as they swim through the oceans. Moreover, she herself describes her music as being like a painting where melodies and instruments are pigments, which she scatters across the canvas before arranging them with her brush. As strange as it is voluptuous, her musical landscape often surprises the ear, sometimes recalling the vocal epics of a Björk or an Imogen Heap, at others the dissonant experiments of a CocoRosie or the fairy folk of a Diane Cluck or a Joanna Newsom.

 

“There’s a lot of sexuality in what I do, even if it’s not always directly noticeable. It’s a very powerful force that I mobilize when I sing.”

 

 

Little by little, Eartheater came out of her chrysalis, particularly on the album Trinity, which she released in 2019 on her own label, Chemical X, founded that same year. Across ten tracks in which she tacked ever closer to electro, hyperpop and even trap, Drewchin put the emphasis on the beat, and for the first time invited outside producers to work with her, seven of them altogether. In sensuous, sonorous meanders, where one track flows into another without interruption, Eartheater unfurls a running metaphor of water in all its states – solid, liquid, gas – to speak of her own desire. “There’s a lot of sexuality in what I do, even if it’s not always directly noticeable,” she declares. “It’s a very powerful force that I mobilize when I sing.”

 

Coat, PRADA. Ear cuffs and ring, SWAROVSKI. Bracelets, PANCONESI.

Her comfortable relationship with her body reached its apogee on the cover of her last album, 2020’s Phoenix: Flames Are Dew Upon My Skin. Standing in front of an ardently coloured backdrop, wearing just a pearl corset, she turns her back to the camera to reveal the bat-wings growing from her shoulders, while sparks fly from the ground be- tween her naked legs. Hers is a visual style that hasn’t failed to seduce the fashion world: while Chanel and Proenza Schouler use her music for their runway shows, Mugler and Dion Lee have cast her in their campaigns, channelling her image of a strong, sensual, mysterious woman who keeps total artistic control over her projects – in addition to writing her own words and music, as well as orchestrating all her songs, she has directed several of her own videos. But she’s not averse to collaborations, either, having worked with the singer-producer-DJs Sega Bodega and LSDXOXO, and she will appear on one of the tracks on the new album by Grimes, another alien of electro pop in whose path she has clearly followed. Meanwhile, on her own label, Chemical X, Drewchin recently oversaw the music début of Lolahol, otherwise known as Lourdes Maria Ciccone León, eldest daughter of Madonna, thereby demonstrating her desire to put together a community of artists freed from the constraints of record companies and the music industry.

Suit, GUCCI. Earrings and ring, MESSIKA. Necklaces, SWAROVSKI. Video : Lilian Hardouineau. Hair : Quentin Lafforgue at Agence Saint Germain. Make-up : Lili Choi cat Calliste Agency. Maniicure : Eri Narita at WSM. Set design : Manon Everhard. Director’s assistants : Tabitha Hodgson and Cristina Medina.

Today, Eartheater seems to have found a balance between city life – the New York underground scene and international tours – and her rural roots, taking time off to write her sixth album, due out in spring 2023. This ambivalence can also be felt in her stage performances: a year ago, she appeared at Paris’s Bourse de commerce in a Givenchy cocktail dress, her auburn hair delicately framing her face, accompanied by her own guitar, a grand piano and a small string ensemble, letting her voice soar in an intimate moment of acoustic poetry; then, at Vincennes this year, she was accompanied only by her DJ, dressed up as an archetypal California bimbo in a blonde wig, giant sunglasses, denim minishorts and a tiny sil- ver-lamé bikini, lighting up the stage with all the electro hits from her discography. But, despite her eclecticism and multiple identities, Eartheater doesn’t do alter egos, for she is a profoundly free and creative artist, who follows her instinct while preserving all her integrity.

 

 

Scripture and Mitosis (Chemical X) by Eartheater, available. Trinity (Deluxe) (Chemical X) by Eartheater, available since November 18th, 2022.