Rencontre avec Paloma : « Mon règne est éternel, je suis la reine mère ! »
Grande gagnante de la première saison de Drag Race France, performeuse passionnée, talentueuse metteuse en scène et humoriste… la drag-queen française Paloma alias Hugo Bardin actuellement en tournée à travers la France avec son premier spectacle en solo intitulé Paloma au Plurielles dévoile P.A.L.O.M.A, un excellent deuxième morceau accompagné d’un sublime clip. Pour Numéro, l’artiste raconte la naissance de son personnage fantasque et détaille ses futurs projets.
propos recueillis par Erwann Chevalier.
Paloma, la gagnante de la première saison de Drag Race France
Cheveux roux sculptés en forme de cœur, fards à paupières bigarrés et eye-liner sophistiqué… La drag-queen française Paloma, 32 ans, convoque un imaginaire fantasque enflammant les foules depuis sa victoire de Drag Race France saison 1 en 2022.
Son style, en un mot? Référencé. Durant les épisodes de l’adaptation française de RuPaul’s Drag Race diffusés pendant l’été 2022, Paloma distille son art à coups de silhouettes au charme excentrique. On la découvre incandescente en Fanny Ardant, en combinaison de velours noir inspirée de la célèbre actrice du cinéma muet Musidora, flamboyante et mélancolique en Mylène Farmer ou même en robe somptueuse tirée d’un dessin Art déco de l’illustrateur de mode français Erté. Autant de looks influencés par ses héroïnes du passé qui ont séduit le public bien au-delà de la communauté queer.
Cette drag-queen inspirée de Paloma Picasso – qui se nomme à la ville Hugo Bardin –, est originaire de Clermont-Ferrand. Avant d’exceller en créature extraordinaire de la nuit, il fait ses premiers pas au Cours Florent à Paris. Il jongle entre plusieurs métiers, metteur en scène, comédien, scénariste ou costumier. Fan du cinéma de Pedro Almodóvar, il a déjà écrit, joué et même réalisé son propre court-métrage, intitulé Paloma, en 2022. Cette histoire d’amour étonnante entre un routier et une drag-queen haute en couleur à l’allure de rockeuse eighties, a même inspiré à Paloma une chanson nommée Love, l’artère. Une première incursion dans la musique qui se confirme avec la sortie récente d’un deuxième morceau (écrit par Rebeka Warrior, ex-Sexy Sushi), intitulé P.A.L.O.M.A, accompagné d’un sublime clip où fusionnent de nombreuses références à Mylène Farmer.
Depuis, rien ne semble pouvoir stopper son ascension. On retrouve Paloma aux côtés de l’acteur français Tomer Sisley dans la série policière Balthazar (TF1), dans une chronique délirante présentée dans l’émission Quotidien, et dans son premier spectacle en solo, Paloma au Plurielles, actuellement en tournée à travers la France jusqu’au 18 décembre 2024. Pour Numéro, la drag-queen aux cheveux de feu revient sur sa flamboyante année de règne, sur la nouvelle scène drag parisienne et sur ses projets dont certains en préparation à l’international.
Interview de Paloma à propos de son spectacle “Paloma au Plurielles”
Numéro : Pourquoi nommer votre spectacle “Paloma au Plurielles” ?
Paloma alias Hugo Bardin : Au départ, je voulais intituler mon spectacle “Pourvu qu’elle soit rousse”. Au fur et à mesure de la confection du show, je me suis rendu compte que je n’allais pas forcément mettre en lumière le personnage de Paloma. Ce que j’aime par-dessus tout, comme Alex Lutz ou Valérie Lemercier, c’est jouer. Il y aura donc Fanny Ardant mais je ne jouerai pas Mylène Farmer [son artiste favorite], car je ne peux pas faire d’humour à son sujet. “Paloma au Plurielles”, ce sont tous les personnages qui m’habitent.
Pourquoi une tournée ?
Je ne suis pas Mylène Farmer, donc je ne peux pas remplir le stade de France deux fois d’affilée ou demander aux personnes de venir à moi. Faire le tour de la France, c’est aussi rencontrer des publics qui sont très différents de ceux que nous avons l’habitude de côtoyer à Paris. Il y a une nécessité à transporter l’art du drag en région.
Que représente la scène drag en France ?
C’est une scène artistique qui a beaucoup changé depuis 2009, date depuis laquelle je vis à Paris. Elle est en évolution permanente. Je trouve qu’il y a dorénavant une démarche politique, avec une conscience queer et militante portée par une communauté qui est très ouverte, loin des codes de bienséance.
Vous venez de Clermont-Ferrand, pensez-vous que le drag est surtout cantonné à Paris ?
Non, je ne pense pas. Quand je suis parti de Clermont-Ferrand, je pensais qu’il n’y aurait jamais de drag-queens dans cette ville. Or, en y retournant récemment, j’ai découvert une nouvelle scène drag. Cet art peut se déployer partout, mais il faut qu’il soit reçu, et cela est une autre histoire…
“Je n’étais ni dans les codes de la masculinité normée ni dans ceux d’un homme homosexuel.” Paloma
Comment avez-vous vécu votre soudaine médiatisation ?
J’avais l’impression d’être Loana à la sortie de Loft Story [émission de télé-réalité diffusée au début des années 2000] ! Les reines de Drag Race sont passées du statut de sensation dans le Marais à celui de phénomènes de la scène artistique française.
D’où vient Paloma ?
Le premier réflexe de toutes les drag-queens qui débutent, c’est de créer un personnage qui correspond aux tendances du moment. De mon côté, je voulais m’approprier l’esthétique des années 80 avec une identité visuelle entre Cher et Pete Burns [interprète du tube You Spin Me Around de 1985], un peu rock’n’roll avec les cheveux gonflés… Mais je me suis rendu compte que je n’avais pas grand-chose à dire là-dessus. J’ai fini par me raccrocher à des éléments de mon enfance comme Mylène Farmer, Amanda Lear, Miss Fine dans Une Nounou d’enfer, Daphné dans Scooby Doo, Samantha dans Sex and the City etc., autant de personnages fantasques, un peu fofolles mais loin d’être bêtes. Ou alors des héroïnes littéraires telle Milady de Winter dans Les Trois Mousquetaires.
Comment se sont faits les premiers pas de Paloma ?
Paloma n’était pas prévue dans mon plan de carrière. J’ai essayé le drag au Cours Florent mais on m’a stoppé dans mon élan car je devais rester consensuel pour espérer décrocher un rôle. À cette époque, je n’étais ni dans les codes de la masculinité normée ni dans ceux d’un homme homosexuel. En regardant RuPaul’s Drag Race et avec mon métier de metteur en scène, j’ai alors écrit le scénario d’un film avec le personnage de Paloma. Au même moment, avec une amie, on a imaginé une série de vidéos intitulée Gourmande, où je faisais la cuisine en drag-queen. Ce sont les prémices de mes personnages.
Vous êtes-vous inspirée de drag-queens américaines ?
Je ne vais pas cacher que mon univers découle de RuPaul’s Drag Race. Je regarde cette émission depuis les débuts mais c’est avec la drag-queen Detox que j’ai tout de suite ressenti une gémellité. C’est la première fois où je me suis dit que l’art du drag pouvait être destiné à autre chose que les clubs.
“J’aime le fait que Paloma soit figée dans le temps.” Paloma
Votre règne s’est terminé le 25 août 2023…
Certainement pas ! Mon règne est éternel, je suis la reine mère ! Cette année est passée en un éclair. Je suis nostalgique, j’aimerais déjà revivre certains moments. J’ai rencontré tellement de personnes et fait tant de choses que je ne pensais jamais faire de ma vie, ne serait-ce qu’une tournée Drag Race à travers la France. J’avais l’impression de faire partie des L5.
Vous avez confié lors d’une interview que vous avez toujours “effleuré” le succès…
En tant qu’intermittent du spectacle, ce n’est pas toujours facile de se démarquer, alors j’ai très tôt multiplié les tâches : je faisais de la mise en scène, je jouais, j’étais costumier, coiffeur… Pour la première fois avec Drag Race, je remporte la victoire, moi, ainsi que toute la communauté queer. Mon premier réflexe, quand on m’a remis la couronne, était de me demander : “pourquoi moi ? Vais-je les décevoir ?”
Vous avez déclaré qu’être drag-queen, c’est comme “porter un costume de super-héros”, pensez-vous avoir “sauvé” des personnes en portant cette couronne ?
C’est étrange de me dire cela, mais c’est vrai, car tous les jours je reçois des messages et des lettres enflammées d’adolescents et d’adultes qui expliquent s’être sentis isolés avant le phénomène Drag Race. C’est le pouvoir de la télévision, car nous sommes rentrés dans le foyer des Français. Et de fait, nous avons rendu visibles des identités qui ne l’étaient pas.
Vous tenez une rubrique dans Quotidien et on vous voit aussi dans la série Balthazar sur TF1…
J’avais déjà tourné dans une série pour TF1, il y a 3 ans, et récemment, on m’a proposé un rôle dans Balthazar aux côtés de Tomer Sisley. Au départ, je devais uniquement transformer Tomer en drag-queen. Finalement, il a demandé aux scénaristes de m’écrire un rôle.
Pensez-vous un jour arrêter le drag ?
Je ne sais pas si j’ai envie de vieillir en drag… j’aime le fait que Paloma soit figée dans le temps.
Le spectacle “Paloma au Plurielles” en tournée en France jusqu’au 18 décembre 2024. Le morceau P.A.L.O.M.A (2024), disponible.