17 mar 2021

Rencontre avec Lou Doillon : “Quand on est une femme musicienne, on nous parle assez peu de musique en interview”

Auteure-compositrice-interprète, égérie… Lou Doillon est une artiste aux multiples talents. Elle compose, elle dessine et présente également, sur l’antenne de RTL2, sa propre émission musicale, où elle reçoit les artistes qui l’inspirent autour d’une conversation intimiste. Après avoir lancé tout récemment son premier EP totalement autoproduit, elle s’aventure sur un nouveau territoire en créant ses propres modèles de boots, dévoilant une nouvelle facette de sa créativité.

Portrait: Dominique Issermann.

Réalisation : Rebecca Bleynie.

Propos recueillis par Léa Zetlaoui.

Robe en soie lamée, THE VAMPIRE’S WIFE. Collier croix et tour de cou, GUCCI. Bottes, FREE LANCE.

NUMÉRO : En février 2020, à peine terminée la tournée de votre album Soliloquy (2019), vous avez enregistré Look at Me Now, un EP de trois titres autoproduit, sorti en novembre. Pourquoi être retournée aussi vite en studio ? 

LOU DOILLON : Quand j’ai enregistré cet EP, je sortais d’un contrat pour trois albums, et j’aurais dû être en train de réfléchir à un prochain album. Mais je ressentais une telle euphorie et une telle excitation à jouer en live avec le groupe qui m’accompagnait sur cette tournée, que j’ai souhaité aller tout de suite en studio avec les mêmes musiciens, enregistrer des titres que j’avais à peine fini d’écrire. Nous devions repartir en tournée jusqu’à la fin de l’été. L’idée, c’était de jouer Look at Me Now directement sur scène, puis de pouvoir vendre l’album, enregistré avec les mêmes musiciens, en version vinyle, à la fin du concert. J’aimais bien ce côté années 70, lié au fait d’aller directement chercher la réaction du public. 

 

Mais finalement, à cause de la crise sanitaire, tout ne s’est pas passé comme prévu ? 

En effet, le confinement a tout mis à l’arrêt. Mais autant continuer à se battre pour que ce disque sorte, car même s’il n’y a plus de tournée, c’est une déclaration d’amour à la musique live et à mon groupe. Ça ne ressemble pas du tout à ce que j’avais prévu au départ, mais ce n’est pas grave. Comme cet EP est autoproduit, j’avais la marge de manœuvre et la liberté nécessaires pour faire ces changements. 

 

C’est la première fois que vous autoproduisez un disque ? 

Oui, car auparavant j’avais signé directement pour trois albums, donc, jusqu’à présent, j’étais dans une démarche assez classique et la question ne s’était jamais posée. Il y a quelque chose de très anglo-saxon dans le fait de produire un EP, et je dois avouer que j’ai pris un méchant plaisir à le faire seule ! 

 

Étiez-vous intimidée par le fait de devoir prendre toutes les décisions artistiques sans avoir un producteur pour vous guider ? 

Absolument ! Ce qui est compliqué pour les auteurs-compositeurs-interprètes, c’est de travailler tout seul. Et puis la musique, c’est abstrait : où est la vérité ? Qu’est-ce que c’est qu’une bonne ou une mauvaise chanson ? Le résultat ne dépend que de votre propre force et de la croyance en votre projet. Donc je me sentais effectivement un peu submergée de devoir assurer, en plus, les fonctions de directrice artistique, de productrice, de réalisatrice et de monteuse des clips. 

 

Vos deux précédents albums, Lay Low (2015) et Soliloquy (2019), étaient déjà très différents l’un de l’autre, avec Look at Me Now, vous prenez un nouveau risque… 

Oui, ça fait partie de mon caractère. Artiste est un métier joyeux qui demande de se réinventer tout le temps. Je n’ai jamais aimé le confort, et c’est agréable de changer, d’y aller à l’instinct. Le point commun de mes projets artistiques, que ce soit pour le cinéma ou la musique, c’est la fantaisie. 

 

Vous pratiquez également le dessin, comme on peut le voir dans le clip Claim Me, issu de Look at Me Now. Comment envisagez-vous cette pratique artistique par rapport à la musique ? 

Il y a une complémentarité entre les deux, et le dessin me nourrit pour faire de la musique. Je me suis aussi rendu compte que mes dessins ressemblent à ma musique, où je travaille beaucoup avec le silence, de la même façon que je travaille les vides dans mes dessins. 

 

Robe en soie plissée, capeline et bagues, GUCCI.

Parmi les événements qui ont rythmé votre année 2020, on peut citer la sortie de la réédition du livre culte Just Kids de Patti Smith enrichi d’une vingtaine de vos illustrations. N’est-ce pas intimidant de voir son nom associé à une telle icône ? 

Ah si ! Heureusement que je réfléchis assez peu avant de prendre des décisions, donc quand les éditions Denoël m’ont appelée, j’ai dit oui tout de suite. Après réflexion, je me suis demandé dans quoi je m’embarquais. C’était la première fois que je répondais à une commande et c’était vraiment un plaisir de le faire pour un livre que j’aime tant et pour une femme que j’admire beaucoup. 

 

Comment avez-vous pensé ces illustrations ? 

C’était ambigu et gênant, car Just Kids est une histoire de couple, et j’avais la sensation d’être la troisième personne dans un plumard. Heureusement, j’ai eu une révélation quand j’ai compris que, le plus beau dans ce livre, ce sont ces deux personnes qui sont en train de se trouver, qui voulaient devenir iconiques et qui, en fin de compte, le sont déjà. Je me suis demandé : “Qu’est-ce que c’est, être iconique ?” Et finalement, une icône, c’est une silhouette et une attitude, donc je pouvais me permettre d’enlever les visages, les mains, et d’un coup, ils devenaient les icônes qu’ils sont véritablement. Quand je les dessinais avec des visages, des mains, le résultat était trop humain, avec un côté “fan art” ! 

 

Avez-vous déjà rencontré Patti Smith ? 

Nous nous connaissons assez peu, mais nous avons des points communs, en particulier l’amour de la littérature. J’ai eu la chance de l’interviewer deux fois et j’aime sa manière de réfléchir. 

 

Depuis septembre, vous animez tous les dimanches sur RTL2 le programme musical Lou et moi. Comment est née cette émission ? 

Encore une fois, on m’a appelée et j’ai dit oui sans réfléchir ! C’était une très bonne idée, car je suis sociable, mais comme je suis d’une nature plutôt solitaire, j’ai souvent tendance à rester dans mon coin. Donc je connais finalement assez peu les autres artistes, bien que je les admire beaucoup. Et nous avons tellement besoin les uns des autres ! Cela m’a donc paru merveilleux d’avoir cette opportunité de rencontrer des artistes et de me nourrir de leur créativité. Avant de les recevoir, j’écoute leurs disques, je lis leurs interviews, et j’apprends énormément de choses. Et j’adore me taire et les écouter me raconter des anecdotes sur leur vie, leurs singularités, leurs goûts. 

 

Dans votre émission, vous avez notamment reçu Woodkid, Étienne Daho, Sébastien Tellier… Comment choisissez-vous vos invités ? 

J’ai carte blanche pour inviter qui je veux. Mais avec la Covid-19, beaucoup d’artistes ne sont pas à Paris, donc ça dépend aussi de qui est présent. Parfois, on me propose des musiciens ou des chanteurs auxquels je n’aurais pas pensé. Cette émission m’ouvre la tête et le cœur. 

 

Contrairement à la télévision, la radio est un média qui crée une intimité très spéciale entre les différents intervenants, mais également avec l’auditeur… 

Aujourd’hui, l’œil est trop sollicité, et parfois, devant une émission de télévision, on regarde plus les gens qu’on ne les écoute. Alors qu’avec la radio, l’écoute se fait plus attentive. On ressent effectivement une proximité incroyable. Et puis comme j’enregistre l’émission dans une suite des Bains Douches, la proximité entre mes invités et moi est d’autant plus palpable. C’est émouvant d’être dans ce lieu de vie et de fête, à la fois hôtel, restaurant, boîte de nuit, qui, d’une certaine façon, incarne les vestiges de notre vie d’avant. 

 

Pensez-vous que le fait que vous soyez vous-même une artiste, et non pas une journaliste, crée un meilleur climat de confiance avec vos invités ? 

Quand ils participent à l’émission, ces artistes savent qu’ils sont déjà aimés, qu’il n’y a pas de danger et qu’ils ne vont pas se faire piéger. Éric Jean-Jean, animateur sur RTL2 que j’admire beaucoup, m’a dit que j’obtenais des confidences que lui-même n’avait jamais eues en vingt ans de carrière. C’est sans doute parce que nous sommes dans ce lieu intime, quasiment en tête à tête, et aussi parce que, dans cette émission, je n’aborde que l’aspect musical de leur vie. Par exemple, quand on est une femme musicienne, lors des interviews on nous parle finalement assez peu de musique. Là, je passe une heure à ne parler que de musique avec Carla Bruni. Ça me fait du bien et à elle aussi.

 

Quel est votre souvenir le plus mémorable lors de ces émissions ? 

J’ai eu énormément de fous rires. Passer une heure avec Philippe Katerine au cours de laquelle il se met à chanter des chansons paillardes, on peut dire que c’est un vrai cadeau. Et puis, à la fin de chaque émission, je propose que l’on fasse une reprise d’un morceau, et lorsque Sébastien Tellier m’a demandé Walk This Way d’Aerosmith, c’était vraiment inattendu ! C’est aussi très émouvant de chanter avec ces artistes quand, au bout d’une heure, nos voix se mélangent… 

Soutien – gorge cœur à paillettes, jean, collier croix et tour de cou, GUCCI. Colliers vintage.

Vous êtes très proche de la maison Gucci et de son directeur artistique, Alessandro Michele. Qu’est-ce qui vous séduit dans son approche du vêtement et du style ? 

J’ai rarement connu des premiers rangs de défilés où tous les invités, habillés en Gucci, conservent à ce point leur singularité. C’est très étonnant de voir A$AP Rocky, Iggy Pop, Lana Del Rey… des artistes qui n’ont pourtant pas grand-chose à voir les uns avec les autres du point de vue du style, qui trouvent chacun des créations qui mettent leur personnalité en valeur. C’est vraiment troublant quand on y pense, de constater à quel point il a créé un univers riche, dense et plein de fantaisie, mais qui laisse pourtant de la place pour chacun. J’ai une grande passion pour Alessandro Michele. Non seulement sa créativité est délirante, mais il a aussi une curiosité insatiable, qui me rappelle celle de Karl Lagerfeld.

 

Paradoxalement, il semble être quelqu’un de très discret. 

Oui, il a un caractère très timide et réservé, qui le rend très émouvant. À la fin de ses défilés, il y a toujours de grands dîners très officiels avec tous les invités, et lui n’y va jamais. Il emmène toute son équipe – 70 personnes en tout – à la trattoria du coin pour aller manger tous ensemble des escalopes milanaises sur des cure-dents et boire du spritz. C’est d’une telle modestie ! Malgré toutes ses responsabilités et le pouvoir qu’il a, il demeure très en retrait. C’est surprenant, au regard des collections qu’il crée.

 

Ce mois-ci, vous présentez deux modèles de boots créés en collaboration avec Free Lance. Qu’évoque pour vous ce label de chaussures ? 

Je suis née en 1982, et, dans les années 90, la marque la plus cool pour les Parisiennes qui voulaient être des bikeuses, c’était Free Lance. Je ne crois pas qu’à l’époque j’aie pu m’en payer une paire, mais je passais mon temps devant la vitrine, obsédée par ses modèles. Quand ils m’ont appelée pour dessiner des boots, ça a provoqué un véritable moment de nostalgie et j’ai tout de suite accepté.

 

Comment avez-vous imaginé ces deux modèles de boots ? 

Je voulais proposer des bottes sobres avec une touche de fantaisie au talon. J’ai parfois moi-même du mal à trouver des modèles sobres, il y a toujours trop de détails. J’ai travaillé sur un modèle qui existait déjà, la Calamity Jane, une boots western basse. La chose qui m’intéressait le plus, c’était vraiment les talons. Je voulais qu’ils soient en biais et qu’ils possèdent un rythme. On ne me voit jamais en sneakers, car ces chaussures ne font pas de bruit, et lorsque j’en porte, j’ai l’impression de ne pas exister ! J’ai donc demandé que l’on m’envoie les boots pour que je puisse marcher avec et écouter le bruit qu’elles faisaient. Il y a aussi un double Zip à l’arrière pour pouvoir les enfiler facilement. Je fais partie de ces gens qui ont passé de nombreuses soirées à essayer d’enlever leurs santiags sans y parvenir et qui se sont finalement résolus à s’endormir avec ! Comme j’adore les bijoux, j’ai ajouté une chaîne amovible qui s’enroule autour de la bottine. J’ai soigné les moindres détails, et j’ai choisi des cuirs mats très doux et très souples, qui vont vieillir très joliment.