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Qui se cache derrière Afterhomework, jeune label nommé à l’ANDAM ?
En lice pour recevoir le Prix du label créatif de l'ANDAM, Afterhomework s'impose depuis quelques saisons comme le nouveau label à suivre. Avant l'annonce du verdict le 29 juin, Numéro a rencontré son jeune fondateur, Pierre Kaczmarek, en compagnie de sa petite amie, Elena Mottola, qui l'a rejoint dans l'aventure.
Par Henri Delebarre.
Le 29 juin, le jury de l’ANDAM (Association nationale pour le développement des arts de la mode) remettra, en parallèle de son très convoité Grand Prix, le Prix du label créatif et sa dotation de 100 000 euros. Parmi les finalistes de cette seconde catégorie, le label Afterhomework mené par Pierre Kaczmarek (19 ans) et Elena Mottola (20 ans). Remarqué pour ses silhouettes déconstruites mêlant des pièces basiques et streetwear à une pratique du détournement, Afterhomework s'impose comme le nouveau label à suivre. Avant l'annonce du verdict, Numéro à rencontré le jeune duo.
Numéro : Quand a débuté l’aventure Afterhomework ?
Pierre Kaczmarek : Tout a commencé au moment du collège, vers 14 ans. Lorsque j'avais fini mes devoirs (d’où le nom du label), je créais des tee-shirts que je vendais à mes amis pour me faire un peu d’argent. Ensuite, j’ai imaginé une petite collection à partir de tissu isolant et quelques pièces en drap de laine, un peu rigides, pour masquer le fait que je manquais un peu de technique au début. Quand j’ai rencontré Elena en 2016, le champ des possibles s’est élargi. Nous avons travaillé ensemble sur la collection printemps-été 2017, et en septembre de la même année, nous avons organisé un petit défilé pour la présenter. C’est à ce moment-là qu’Afterhomework a vraiment commencé à se développer.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Elena Mottola : Via des amis, qui n’appartiennent pas au monde de la mode. Nous sommes sortis ensemble et, au bout d’un an, Pierre m’a proposé de le rejoindre chez Afterhomework. Je manquais de connaissances en la matière. Je savais juste coudre, mais j’étais très motivée.
“Mes parents ont toujours été de gros consommateurs de mode. La mode nous a toujours intéressés, c’est un sujet dont on parle à table en famille.”
Avez-vous grandi dans une famille de créatifs ?
Pierre : Mes parents ont toujours été de gros consommateurs de mode. Quand j’étais enfant, ma mère tenait une boutique multimarque à Paris rue Saint-Honoré et une autre à Saint-Tropez. Elle y vendait de nombreux créateurs, suivait les défilés et allait faire ses achats à Milan et New York. Mon père travaillait lui dans la pub mais m’emmenait faire les magasins tous les week-ends. La mode nous a toujours intéressés, c’est un sujet dont on parle à table en famille.
D’où vous est venue cette envie d’imaginer des vêtements ?
Pierre : Quand j’étais encore au lycée, je voulais absolument créer des vêtements, sans pour autant avoir envie de me former dans une école de mode. J’avais ça au fond de moi et je ne voulais pas attendre. J'ai décidé de me lancer après avoir fait beaucoup de recherches sur la mode pour réfléchir à ce que j’allais dire. Au fur et à mesure de ces recherches, Afterhomework s’est construit. Je pensais avoir accumulé assez de connaissances et je me sentais prêt, même si, avec le recul, je me rends compte que je ne l’étais pas vraiment (rires) ! Ce qui compte, c’est la détermination.
Pierre, vous êtes un autodidacte, comment avez-vous appris à concevoir un vêtement de A à Z ?
Pierre : Grâce à Elena. Pendant un an, elle a étudié le stylisme et le modélisme à l’Atelier Chardon Savard. Moi, je n’ai aucune formation mode mais je pense que mon expérience acquise au fil des ans me donne l’équivalent. L’année dernière, après avoir obtenu mon bac, j’ai intégré une prépa littéraire. Mais avec la préparation du défilé printemps-été 2018, c’était devenu trop compliqué de gérer les deux. Depuis septembre, nos journées sont donc entièrement consacrées à Afterhomework.
Elena : Pierre a beaucoup d’idées, moi, j’essaye de les mettre en forme. Pour les premières collections nous nous concentrions uniquement sur les vêtements. Nous n’avions pas de but commercial, pas de showrooms, donc nous nous attardions moins sur les finitions. Aujourd’hui, nous avons saisi l’enjeu commercial et cela nous a poussé à améliorer notre technique.
Quels sont les chocs esthétiques qui ont forgé votre vision ?
Pierre : Margiela, Comme des Garçons… Ce genre de choses. La connaissance des photographes et des magazines de mode est arrivée plus tard. Je ne suis pas venu à la mode avec une idée préétablie. C’est ce qui fait la particularité d’Afterhomework, j’ai grandi en parallèle de mon label. L’adolescence est une période d’évolution et au fil de ces changements, la manière de penser le vêtement évolue aussi.
Elena : J’ai commencé à comprendre la mode quand j’ai rencontré Pierre. J’ai regardé ce que lui me montrait. D’un point de vue esthétique, nous sommes sensibles aux mêmes choses, c’est pour ça que ça a aussi bien marché entre nous.
“Aujourd’hui on ne peut plus regarder un défilé sans voir de références à Margiela.”
On ressent cette influence de Martin Margiela sur votre travail, le revendiquez-vous comme une source d’inspiration ?
Pierre : Oui, mais aujourd’hui on ne peut plus regarder un défilé sans voir de références à Margiela. Les deux expositions qui lui sont consacrées en ce moment au musée des Arts décoratifs et au Palais Galliera montrent bien qu’il a tout fait. Son œuvre est totale. C’est un avant-gardiste et on ne peut pas rester indifférent à son travail ou prétendre l’ignorer. Même son approche de la communication est un modèle.
Sur votre site Internet, vous dites que les phénomènes sociétaux vous inspirent. Comment les retranscrivez-vous dans vos créations ?
Elena : Il s’agit plutôt de simples observations de la vie quotidienne, des gens qu’on croise dans la rue… On regarde des clips, des films, et puis on s’appelle pour en discuter. On ne s’impose pas de thématique particulière. Aujourd’hui certaines marques se positionnent souvent par rapport à une pratique comme celle de l’upcycling. Nous, nous essayons de rester en dehors de tout ça pour avoir une vision plus globale.
Pierre : Au lycée, quand j’allais en cours, j’analysais la manière qu’ont les gens de s’habiller. Dès que je vois quelqu’un qui s’habille d’une manière assez drôle ou bizarre, je le prends en photo.
Par exemple ?
Elena : En Italie, un ami à nous possède une serviette qui appartenait à sa grand-mère, à laquelle il tient beaucoup. Il la porte tout le temps autour du cou, bloquée dans sa chaîne de collier. Dans notre collection automne-hiver 2018-2019, nous avons repris cette idée en faisant un tee-shirt avec une serviette intégrée sur l’épaule.
Pierre : Et les phrases brodées c’est des idées idiotes qui me viennent et que je note sur mon téléphone parce que je trouve ça marrant.
Vos vêtements doivent-ils selon vous véhiculer des idées ?
Pierre : Non, se sont juste des vêtements. Mais ce qui est intéressant et amusant, c’est que les gens projettent ce qu’ils veulent dessus. C’est ce que j’aime aussi dans la mode. Chacun peut analyser et interpréter un vêtement comme bon lui semble et y trouver telle ou telle signification. Il y a beaucoup de surinterprétations et ça nous fait beaucoup rire, mais les gens font ce qu’ils veulent de nos vêtements.
Elena : Le but, c’est avant tout de créer quelque chose d’esthétique et portable. Forcément, une fois porté, le vêtement exprime quelque chose, mais c’est d’abord un bout de tissu. Sa signification, si il en a une, vient après.
Vous êtes donc libéré de tout storytelling alors même qu’il gangrène la mode ?
Elena : En tout cas, on n'a pas envie d’en inventer un. On préfère se taire plutôt que de livrer un discours qui n’a ni queue ni tête. Nous essayons d’être honnêtes dans notre démarche, sur ce que nous faisons et sur ce que nous sommes.
Pierre : On s’est vachement calmés là-dessus. Le storytelling restreint la création et nous ne voulons pas nous limiter à un discours. Nous ne voulons pas penser : “il faut dire ceci ou cela, donc on ne peut pas faire ça”, on ne veut pas que notre créativité soit altérée. Les collections Comme des Garçons par exemple ont parfois été surinterprétées alors que Rei Kawakubo a longtemps joué la carte de l’ambiguïté. Pour sa collection homme automne-hiver 1995 présentée au Carreau du Temple [qui a fait scandale à cause de ses pyjamas rayés semblables à ceux portés par les juifs en déportation, NDLR] personne ne sait vraiment ce qu’elle voulait dire finalement. On prend moins la parole qu’avant, parce qu’à un moment, on ne savait plus comment définir Afterhomework. Pour l’ANDAM, il a fallu en donner une définition claire, alors on a choisi la voie de la sincérité. Même si beaucoup de personnes trouvent nos créations complètement folles, c’est important pour nous de dire qu’elles sont avant tout faites pour être vendues. Dans notre société où tout a rapport à l’argent, il faut réussir à allier la créativité à un côté plus business. C’est ce qu’il y a de plus difficile.
“Les collaborations se tissent naturellement, au gré des rencontres. C’est hyper gratifiant de voir qu’une marque comme Nike s’inspire de votre image.”
D’où vous vient ce goût immodéré pour les fronces, les plis, les élastiques, les drapés ?
Elena : (Rires) Ça c’est moi ! Pour être honnête je pense que c’est un reste de nos débuts, quand on ne savait pas encore faire des coupes parfaites. Par défaut, nous avons cherché à travailler les matières. Et puis c’est devenu récurrent tout simplement parce qu’on aimait bien le tombé que ça créait.
Pierre : J’aime bien observer la manière dont une manche est retroussée, dont un jean est plissé. Sur un cintre, ça met le vêtement en situation, comme s’il était déjà porté.
C’est important pour vous l’aspect collectif, le fait d’établir des collaborations ?
Pierre et Elena : Au départ, étant donné qu’aucun de nous deux n’avait réellement de savoir-faire, l’idée était de faire intervenir beaucoup de gens extérieurs à notre label. Nous demandions à des amis de faire la musique, la scénographie, de défiler… Afterhomework était un moyen de fédérer les gens autour de nous. C’est quelque chose qui est resté. Les collaborations se tissent naturellement, au gré des rencontres. Converse nous a financé un défilé, les doudounes de notre dernière collection sont le résultat d’une collaboration avec le label italien ADD. Et Nike a fait appel à nous pour le stylisme de sa dernière campagne avec le PSG, car celle que nous avions réalisée pour notre collection printemps-été 2018 leur plaisait. C’est hyper gratifiant de voir qu’une marque comme Nike s’inspire de votre image.
Comment en êtes-vous venu à collaborer avec toutes ces marques ?
Pierre : Ce sont toujours elles qui sont venues vers nous. Sauf pour le PSG, parce que je suis un grand fan de foot. Avec Nike nous avons lancé au Pitti Uomo une collection de maillots de foot en recyclant ceux de leurs stocks. C’est vraiment une collaboration Afterhomework x PSG. On en avait dévoilé les prémices lors de notre dernier défilé pour l’automne-hiver 2018-2019. C’était une ébauche que nous avons retravaillée.
Dans votre collection printemps-été 2018, une robe était entièrement réalisée à partir de cravates récupérées. Êtes-vous sensibles à la tendance de l’upcycling ?
Pierre et Elena : On ne le revendique pas car ce n’est pas un argument de vente et on trouve gênant que certaines marques puissent le revendiquer comme tel. Pour la robe en cravates, elle s'est imposée naturellement parce qu’on manquait de moyens et qu’on ne pouvait pas produire nos propres cravates imprimées. Ça fait partie de nous. On a aussi recyclé des journaux pour faire un tee-shirt et un pantalon et s’il nous reste un bout de tissu, on va essayer d’en faire quelque chose. On aime bien aller à Montreuil chiner de vieux vêtements. Il y a toujours des vêtements recyclés dans nos collections.
Comment expliquez-vous le succès grandissant d’Afterhomework à l’heure des grands groupes de mode ?
Pierre : Il n’y a pas de concurrence, on cohabite. Si un jour on doit collaborer ensemble, il n’y pas de soucis ! Quand quelqu’un vous offre une liberté créative parce qu’il va prendre en charge la partie plus administrative de votre label, je pense que vous ne pouvez pas refuser. C’est inévitable dans la manière de penser la mode aujourd’hui. L’administratif prend énormément de temps sur la créativité. C’est essentiel de déléguer. Comme le disait Yohji Yamomoto, la création est une partie infime de notre travail, le reste n’est pas très drôle et c’est parfois frustrant de devoir gérer la paperasse sans pouvoir créer pendant ce temps.
Il y a trois saisons, vous intégriez Designers Apartment, l’incubateur de la Fédération de la haute couture et de la mode. Qu’avez-vous appris depuis ?
Pierre et Elena : Grâce à Patricia Lerat, qui y coache les jeunes créateurs et les met en relation avec les acheteurs, nous avons pu créer notre société pour intégrer Designers Apartment. Nous avons appris sur le tas une fois confronté à la réalité de l’industrie. Nous avons beaucoup évolué sur le plan commercial, ça nous a fait grandir. Après notre défilé printemps-été 2018, plusieurs boutiques comme Gr8 à Tokyo ou Shine à Hong-Kong nous ont proposé de vendre nos créations. Depuis le défilé automne-hiver 2018-2019, la liste s’est allongée avec Tom Greyhound à Paris, Addicted à Seoul, D-Mop à Hong-Kong ou Smets à Bruxelles.
“Toute la mode actuelle du no gender est trop brutale. La mode doit être futuriste, mais à moyen terme.”
Comment définissez-vous le style Afterhomework aujourd'hui ?
Pierre Kaczmarek et Elena Mottola : C’est quelque chose de brut et d’assez pur. Le résultat d’un mélange de pièces iconiques et d’influences streetwear. On veut affirmer la silhouette dont nous avons déjà posé les bases. Afterhomework a un côté unisexe mais dans les prochaines collections nous allons retourner à des silhouettes plus genrées. Nous voulons polir l’ensemble, le structurer davantage tout en restant concentré sur une petite trentaine de silhouettes. L’envie de se perfectionner, c’est le leitmotiv d’Afterhomework.
Pourquoi ce retour à des silhouettes plus genrées ?
Pierre : Parce que certaines de nos propositions étaient parfois un peu forcées et maladroites. Moi-même je ne parvenais pas à porter nos créations censées être unisexes. Et mes amis non plus. Ça m’a dérangé car ça signifie que même les gens dont je m’inspire ne s’identifient par à ce type de vêtement. Je pense que toute la mode actuelle du no gender est trop brutale. La mode doit être futuriste, mais à moyen terme. Honnêtement, d’un point de vue commercial, c’est aussi plus réaliste.