17 juil 2025

Prix LVMH 2025 : Torishéju, la créatrice que les stars (et les musées) s’arrachent

Parmi les finalistes du Prix LVMH 2025, Torishéju Dumi se démarque au gré de ses créations théâtrales, nourries par un imaginaire riche et unique – à l’image de la créatrice britannique. Rencontre.

  • Propos recueillis par Camille Bois-Martin.

  • Torishéju, finaliste du Prix LVMH 2025

    Lorsqu’elle lance sa marque en 2023, la créatrice éponyme Torishéju Dumi ne s’imagine pas en grande créatrice de mode. Elle souhaite simplement, au gré de ses collections, raconter des petites histoires qui, in fine, nourriraient son univers quelque peu atypique.

    Dans ses ateliers, elle imagine des manteaux oversized à la taille cintrée, des robes aux accents futuristes mais ultra contemporains… Qui inspirent notamment des célébrités comme Zendaya, aperçue avec l’une de ses créations à l’occasion de la promotion du film Dune en 2024. Puis à de multiple reprises sur les tapis rouges, dans le sillage de Kendall Jenner, Paloma Elsesser ou encore de Naomi Campbell, qui ouvre son premier défilé à Paris.

    Un succès précoce, qui témoigne de l’originalité et du talent de la créatrice britannique, dont certaines créations ont même déjà été acquises par le prestigieux Metropolitan Museum of Art de New York à l’occasion de son exposition Sleeping Beauties : Reawakening Fashion, inaugurée l’année dernière. Et son ascension est loin de ralentir.

    Lorsque nous l’appelons, Torishéju Dumi vient à peine de retrouver son appartement londonien, de retour d’une multitude d’aller et retour entre Paris, Londres et la Turquie, pour la préparation de sa prochaine collection. Mieux : elle déménage son studio le jour-même ! Pourtant, même pressée par le temps, elle nous accorde une interview longue et passionnante, et nous plonge dans les méandres de son imagination. Rencontre avec une des huit finalistes du Prix LVMH 2025.

    Rencontre avec la créatrice de mode Torishéju Dumi

    Numéro : Devenir créatrice de mode était-il un rêve d’enfant ?

    Torishéju Dumi : Je m’imaginais plutôt actrice ! J’ai suivi des cours de théâtre de mes 7 à mes 18 ans environ. J’adorais danser, chanter, enfiler des costumes… Pour être tout à fait honnête, je n’ai envisagé un cursus de mode qu’à la fin de mes études. Ma mère et mon frère m’ont incitée à poursuivre une voie artistique, car j’aimais beaucoup dessiner – et j’étais plutôt douée. J’ai donc fait une formation en Art et Design à l’université De Montfort. J’y ai appris un tas de choses, comme la menuiserie, la céramique, le dessin… Et je me suis rendue compte que j’adorais travailler et créer avec mes mains. Puis je me suis inscrite à des cours sur l’histoire de la mode, car mon partenaire de l’époque en suivait. J’ai découvert Alexander McQueen, John Galliano… Je n’y connaissais rien, mais je me suis passionnée pour leurs créations.

    Vous avez en suite suivi une formation à la prestigieuse Central Saint Martins de Londres.

    Oui, j’ai décidé de m’y inscrire, mais je n’y suis restée qu’une année ! Je n’ai pas aimé, et j’ai préféré continuer mes études au London College of Fashion. Mon diplôme, qui normalement s’obtient en trois ans, m’a pris six années à valider, car je voulais vraiment m’immerger dans le monde de la mode. J’ai pris plusieurs années sabbatiques pour faire des stages au sein de marques comme Ann Demeulemeester, Celine ou Philip Lim.

    De la coupe chez Celine à l’esprit familial chez Ann Demeulemeester

    Que retenez-vous de ces expériences ?

    Je suis d’abord allée chez Celine, qui est l’une de mes expériences les plus formatrices. Sous Phoebe Philo [directrice artistique de la maison entre 2008 et 2018, ndlr], j’ai appris le processus de fabrication d’un vêtement de sa conception à ses finitions. Je suis tombée amoureuse de la façon dont elle construit ses habits. Chaque détail, y compris une poche, a toute son importance. De ce stage, je retiens surtout la maîtrise de la coupe et la définition de ce qu’on pourrait décrire comme un vêtement luxe.

    Puis, je suis allée à Anvers, dans les ateliers d’Ann Demeulemeester. À l’époque [début des années 2010, ndlr], les studios étaient collés à la maison de la créatrice. On pouvait entendre tous les jours son petit-fils en train de jouer dans le jardin. C’était une expérience incroyable, car elle m’a transmis cette impression de famille dans une équipe, si petite, mais si impliquée. J’ai également travaillé pour Sibling London, où j’ai découvert notamment les aléas du quotidien et comment la vie et le commerce peuvent impacter une petite marque.

    Quand et pourquoi avez-vous créé votre marque Torishéju ?

    Je ne savais pas ce que je voulais faire en commençant mes études de mode. Après mon diplôme, j’ai réalisé que je voulais créer ma marque, mais que je devais prendre mon temps. Car je ne voulais pas introduire un nouveau nom dans le monde de la mode juste pour le plaisir. Il y a déjà tellement de créateurs, et de marques que, à moins de faire quelque chose qui a du sens, qui a un but, je ne voyais aucun intérêt à proposer encore de nouveaux vêtements. J’ai pris le temps de développer mon univers, mon esthétique avant de lancer Torishéju en 2023. Je voulais créer un petit monde auquel les gens pourraient s’identifier, pas juste des vêtements. Parce que, je crois que la mode d’aujourd’hui manque d’identités fortes, d’univers très marqués.

    Torijeshu, raconter une histoire avec un vêtement

    Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?

    Je pense que j’ai toujours aimé les vêtements, mais, pendant longtemps, je n’y ai jamais pensé en lien avec le monde de la mode. J’adorais, enfant, revêtir des costumes de théâtre, performer avec. J’ai aussi grandi dans une famille catholique et, quand j’étais petite, je faisais partie du service de l’autel. Je portais des ensembles et des manteaux que je trouvais grandiose. Je me sentais impériale avec ! [Rires

    Comment travaillez-vous sur vos collections ? 

    Quand je conçois une collection, j’imagine toujours une petite histoire dans ma tête. Je ne peux pas juste créer des vêtements. J’ai besoin de visualiser la personne qui portera ma robe ou ma veste, l’évènement où elle le porterait, l’esthétique qu’elle souhaite créer…

    Qu’est-ce qui vous inspire ?

    J’ai grandi entourée d’une immense armoire remplie de cassettes achetées par mon père. Ma famille était passionnée par le cinéma, en particulier par les films d’horreur. Je me souviens, à six ans environ, avoir adoré Cujo ! J’aime aussi énormément la musique. Le gospel, le RnB… J’ai imaginé des collections à partir de tant d’inspirations diverses, qu’on pouvait y croiser à la fois l’esthétique du film Titanic et la vision de l’écrivain Paulo Coelho, dont j’adore les livres. Comme au théâtre ou au cinéma, j’adore l’idée de performance et la façon dont les vêtements peuvent incarner une personnalité, une histoire. Toutes mes influences mélangées dans mes créations racontent, en quelque sorte, mon histoire.

    Le Prix LVMH 2025 et le futur de sa marque

    Qu’est-ce que cette place de finaliste au prix LVMH 2025 représente pour vous ?

    Elle symbolise le fait que je suis vue, que je suis entendue. Je suis assez submergée par les émotions. Je crois que je n’ai pas encore vraiment intégrer l’idée que des personnes puissent aimer des choses qui sortent tout droit de mon imagination ! J’ai l’impression de me rendre compte que je ne suis pas si folle, à imaginer des choses seules, dans ma tête. [Rires] J’ai eu du mal à communiquer et à me faire comprendre en grandissant à cause de ma dyslexie. J’avais l’impression de ne jamais vraiment parvenir à traduire ce que je voulais dire au travers des mots. Avec mes vêtements, et cette place de finaliste au Prix LVMH, j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé ma voix, et que celle-ci est entendue et comprise. Peu m’importe les résultats : je dis toujours, si c’est le destin, ça arrivera. Je me sens surtout très chanceuse.

    Comment voudriez-vous développer votre label à l’avenir ?

    J’aimerais beaucoup avoir une boutique à l’avenir. J’adorerais pouvoir recréer mon petit univers au sein d’un lieu permanent où mes clients, et même les plus curieux, pourraient venir découvrir mes créations, mon esthétique. Et puis surtout, faire grandir mon équipe, avoir plus de temps pour moi et pour faire des interviews en vrai plutôt que par zoom, après des voyages exténuants entre Paris, Londres et la Turquie ! [Rires