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Prix LVMH 2025 : Alain Paul, le créateur de mode qui mène la nouvelle danse
En à peine quatre saisons, les défilés d’Alain Paul et de son mari et co-fondateur Luís Philippe attirent une foule de plus en plus grande et curieuse. Présentées sur la scène du théâtre de Châtelet, ses collections déploient un univers pointu et réfléchi au détail près, inspiré par l’univers de la danse, dont le créateur est issu. Après avoir remporté le prix Spécial de l’ANDAM en juin dernier, le créateur de mode français est aujourd’hui en lice pour le prestigieux prix LVMH. Rencontre.
Propos recueillis par Camille Bois-Martin,
Photos par Nathan Merchadier.
Publié le 19 août 2025. Modifié le 5 novembre 2025.


Alain Paul, finaliste du Prix LVMH 2025
En octobre 2023, Alain Paul attirait de nombreux curieux sur la scène du théâtre du Châtelet, à l’occasion de son tout premier défilé. En cause, son prestigieux parcours, jalonné d’expériences auprès du créateur Demna, qu’il a accompagné lors du lancement de Vetements en 2014, mais aussi du regretté Virgil Abloh, qu’il épaula pendant près de cinq ans chez Louis Vuitton. Un curriculum en béton, qui lui a permis de réunir les outils et le courage nécessaires pour lancer sa propre marque, ALAINPAUL, accompagné de son mari et co-fondateur Luís Philippe, ancien du merchandising chez Colette.
Présentée hors calendrier, cette première collection suffit au créateur français pour marquer les esprits et attirer, saison après saison, de plus en plus d’invités. Au point d’intégrer dès la troisième collection le très rempli (et prisé) calendrier officiel de la Fashion Week de Paris, directement dans le format défilé – une première pour une jeune marque, habituellement obligée de passer par une présentation.
Qu’à cela ne tienne : la détermination, le talent et l’assurance du duo ont permis à la marque de se démarquer rapidement, à coups de silhouettes aiguisées, entre tailoring radical et vêtements inspirés par le monde de la danse. Un univers qu’Alain Paul maîtrise en effet sur le bout des doigts – et jusqu’à la pointe des pieds, en tant qu’ancien danseur du Ballet national de Marseille de ses 8 à ses 17 ans. Et ce avant même que le ballet core n’envahisse les podiums des plus grandes maisons de mode. Rencontre avec l’un des huit finalistes du Prix LVMH 2025.

Rencontre avec le créateur de mode Alain Paul
Numéro : Quel est votre premier souvenir lié à la mode ?
Alain Paul : Mon premier souvenir est quand j’habillais les danseurs de l’Opéra national de Marseille, dont je faisais partie, à partir de vêtements chinés chez Emmaüs. J’avais 14 ans, j’étais très jeune. Quand j’ai intégré cette école, je rêvais d’être chorégraphe. Puis, à l’adolescence, j’ai commencé à imaginer des spectacles et à créer des costumes. J’ai alors commencé à me passionner pour la coupe, pour le matériau et pour la couleur qu’un vêtement peut apporter à une chorégraphie. Très vite, je me suis donc rendu compte que je voulais bifurquer vers le monde de la mode. J’ai alors nourri une fascination pour Jean-Paul Gaultier, Martin Margiela ; j’ai commencé à aller à des défilés, à soigner mes looks. Et, à 18 ans, j’ai quitté Marseille pour Paris où j’ai suivi une formation de quelques années en école de mode.
Vous avez notamment travaillé avec Demna pour Vetements. Que retenez-vous de ces expériences ?
C’est justement en me faufilant à des défilés que j’ai fait la rencontre du frère de Demna. Il m’a dit qu’il cherchait un stagiaire pour travailler avec lui sur le lancement de sa marque Vetements. Il s’agissait d’un grand travail de maquette, de recherches… C’était un pari, car la plupart des étudiants en mode cherchent à s’intégrer dans des grandes maisons, comme Dior ou Givenchy, pour obtenir une belle expérience. Mais, j’ai suivi Demna dans son projet et je ne l’ai jamais regretté.
Sa vision et son talent m’ont directement parlé. Sa façon de disséquer le vêtement, d’essayer de comprendre pourquoi une veste est façonnée de telle ou telle manière, de déconstruire les archétypes d’une garde-robe qui reste réelle et concrète. C’est vraiment une façon de concevoir le vêtement que je continue de mobiliser encore aujourd’hui au sein d’ALAIN PAUL. J’ai appris également comment structurer une équipe, car j’y suis arrivé dès le premier mois, où nous travaillons dans son salon. J’ai grandi avec la marque. Je voyageais dans les usines, on cherchait les tissus… Dans une grande maison, je serais probablement resté junior des années durant. Cette expérience avec Demna m’a vraiment préparé à me lancer, car je savais qu’un jour, je le ferai.


Du salon de Demna aux ateliers de Virgil Abloh
Mais, avant de créer votre marque, vous avez également côtoyé les ateliers Louis Vuitton…
Oui. Quand les locaux de Vetements ont déménagé à Zurich, je n’ai pas suivi l’équipe. Je venais alors de me marier avec Luís et je voulais garder une forme de stabilité. Virgil Abloh, que je connaissais, a rejoint Louis Vuitton, et m’a demandé de le suivre. Il aimait ma vision. Mais le contrat a tardé à arriver… Alors j’ai intégré les équipes de Saint Laurent, où j’ai découvert un savoir-faire incroyable, hyper structuré. Puis, au bout de quelques mois, Virgil m’a rappelé avec un contrat. C’était un nouveau départ, pour lui comme pour moi, mais je n’ai pas hésité une seule seconde.
Ce que j’ai adoré en travaillant à ses côtés, c’est qu’il ne voyait pas son métier comme un travail. Il disait toujours qu’il ne comptait jamais travailler de sa vie. Son entourage, son équipe étaient comme ses amis. Il adorait débattre avec nous, nous demander notre vision sur le futur du tailleur, sur les proportions d’un vêtement… On était cinq ou six dans le studio avec lui. On réfléchissait ensemble à comment l’uniforme tee-shirt blanc et jean bleu pourrait se réinventait. Comment la mode de la rue deviendrait un produit de luxe… Ou encore comment créer une collection contemporaine mais très luxe, avec des beaux tissus, des belles finitions. J’y ai appris l’importance d’une poche intérieure dans un vêtement par exemple, mais aussi le coût de production qu’elle implique. Chez Louis Vuitton, j’ai appris à travailler sur un plan de collection, à être très précis.

La danse, envers et contre les tendances
Quand et pourquoi avez-vous créé votre label ALAINPAUL ?
Je voulais le faire depuis très longtemps. J’y réfléchissais depuis sept ou huit ans, avant même que je ne quitte Vetements. Quand j’ai rejoint Louis Vuitton, je pensais rester un ou deux ans avant de me lancer. Puis il y a eu le COVID, et Virgil est malheureusement décédé. Ça a été un électrochoc pour moi. J’ai alors décidé de créer ma marque. On avait le budget suffisant pour imaginer la première collection. J’ai créé les pièces en huit mois à peine, c’était génial. J’avais déjà toutes les idées.
Quels ont été vos plus grands défis après le lancement de votre marque ?
Probablement de trouver les bons partenaires. Heureusement, Luís était là ! Certains nous ont suivi dès le début, à l’image d’usines avec lesquelles je travaillais quand j’étais chez Louis Vuitton. Elles nous ont aidés pour la première collection, mais elles se sont avérées trop chères pour une marque de notre taille. Et puis, l’organisation du premier défilé a aussi été un challenge. Nous l’avons organisé hors calendrier, car la Fédération ne nous proposait qu’un format “présentation”, ce qui est la norme pour une première saison. Mais nous voulions absolument faire un défilé. Nous trouvions important de nous présenter à la presse et à nos clients ainsi. On n’a pas de e-commerce ni de boutique propre ou de pop-up store, donc un défilé nous permet un lien direct avec eux.


Le défilé, une chorégraphie entre mode et danse
Comment imaginez-vous vos défilés ? Cela fait maintenant quatre saisons que vous présentez vos collections sur la scène du théâtre du Châtelet.
Un défilé, c’est un moment T. Pour moi, c’est comme si j’organisais à nouveau un spectacle de danse. S’il y a une erreur sur scène, ça fait partie de la chorégraphie. Et puis, il y a ce trac, cette euphorie du moment, cette adrénaline en coulisses… Tout est réel, tangible. C’est comme des petites performances.
Qui font donc écho à votre inspiration de toujours, la danse…
Mon approche du vêtement est profondément liée au monde de la danse. C’est la culture dans laquelle j’ai grandi, et qui m’a donné envie de devenir créateur de mode. Je suis inspiré par Pina Bausch, Martha Graham ou Merce Cunningham, autant que par les danseurs de mon ancienne compagnie, qui sont encore aujourd’hui mes amis. C’est l’expression du corps, son mouvement… Dans mon premier défilé, les silhouettes évoquaient l’univers du ballet, avec le pantalon d’échauffement, les ballerines. Mais c’était un point de départ à toutes les autres collections qui développent l’identité de notre marque.
Aujourd’hui, la danse est une tendance, que l’on peut observer dans nombre de défilés. N’avez-vous pas peur d’épuiser cette inspiration ?
La danse m’inspire depuis l’adolescence. J’avais dessiné mes premières chaussures-ballerines bien avant qu’elles ne s’inscrivent dans une tendance. Chez ALAINPAUL, je pense qu’on s’en détache, qu’on interprète cette esthétique de manière très différente. Je pense que le style de la marque se résumerait comme une rencontre entre plusieurs moments de la journée, car nous avons ce côté un peu sport que l’on trouve dans beaucoup de pièces, mais aussi une esthétique très sophistiquée. C’est cette silhouette très habillée mais qui reste confortable, qui ne donne pas l’impression d’avoir nécessité beaucoup d’implication. Quant à l’inspiration, elle restera toujours présente, même dans mon inconscient. La danse est un univers tellement large. Je peux autant puiser dans le travail d’un chorégraphe que dans un spectacle ou dans mes propres souvenirs.

Comment concevez-vous vos vêtements ?
Je commence toujours par des images. J’imagine un moodboard à partir d’inspirations trouvées généralement en bibliothèque. Je vais souvent au CND de Pantin, où je feuillette tous leurs rayons. Ça peut être aussi le pli du pantalon d’une personne qui croise ses jambes, ou le mouvement du tissu sur son passage. Je vais également beaucoup en friperie, où je chine des pièces dont la matière ou la construction nourrit mes idées, ou m’en donne de nouvelles.
Vous venez de remporter, en juin dernier, le prix Spécial de l’ANDAM. Vous êtes aujourd’hui en lice parmi les finalistes du prix LVMH 2025. Qu’est-ce que cette place représente pour vous ?
On ne s’attendait pas du tout à remporter un prix à l’ANDAM, on était la plus jeune marque en compétition ! C’est une très belle reconnaissance. Le prix LVMH, c’est encore une nouvelle étape. C’est plus international. Les huit finalistes sont tous très talentueux, et le fait de pouvoir rencontrer tous ces grands directeurs artistiques qui font partie du jury, c’est très intimidant.
Comment voudriez-vous développer votre label à l’avenir ?
Nous aimerions faire évoluer notre marque de manière organique, sans trop se précipiter. Une récompense comme celle du prix LVMH pourrait nous aider à nous lancer dans le e-commerce notamment, pour établir un lien direct avec notre clientèle. Nous pourrions également agrandir notre équipe, et peut-être, sur le long-terme, développer une ligne de sacs et de bijoux. Mais surtout rester indépendant, le plus longtemps possible !