5
5
Akris expose ses plus belles collaborations artistiques à Zurich
Après deux défilés de mode à Paris pour célébrer ses 100 ans, la maison suisse Akris présente jusqu’au 24 septembre 2023, au Museum für Gestaltung de Zürich, une exposition qui retrace ses plus belles collaborations artistiques. À cette occasion, Albert Krimler dévoile les détails de cinq collections à Numéro magazine.
par Léa Zetlaoui.
Akris printemps-été 2017 en collaboration la peintre américano-cubaine Carmen Herrera
“J’ai rencontré Carmen Herrera le jour de son cent-unième anniversaire, le 31 mai 2016. J’ai découvert son travail à travers le tableau Blanco y Verde (1959) qui fait partie de la collection permanente du Whitney Museum, dont je connais le directeur Adam D. Weinberg.
Carmen Herrera est une artiste qui a été reconnue tardivement, parce qu’elle était une femme, alors qu’elle vivait depuis 1939 sur la 37e rue à Manhattan, à un bloc de la Factory d’Andy Warhol. Elle était très enthousiaste à l’idée de cette collaboration avec Akris et elle m’a laissé choisir librement parmi ses œuvres.
Je trouve particulièrement intéressant le fait qu’à partir des années 50, elle n’utilisait plus que deux couleurs pour ses peintures. Parmi toutes les pièces de cette collection Akris printemps-été 2017, ma préférée est la robe rayée noir et blanc, qui s’inspire d’une œuvre sans titre de 1952 qui se trouve aujourd’hui exposée au Museum of Modern Art. C’est une robe cintrée que l’on peut aussi porter ample. C’était un défi de coudre les lignes en biais. Dès le début, elle avait ce raffinement décontracté et “cool” qui reste intemporel.”
Les collaborations artistiques d’Akris exposées à Zurich
Si aujourd’hui Albert Kriemler compte parmi les créateurs de mode les plus discrets de l’industrie – préférant s’exprimer à travers ses collections plutôt que dans la presse ou sur les réseaux sociaux – les cent ans d’Akris oont réveillé chez lui un désir de partager son univers créatif.
Ainsi, après deux défilés de mode parisiens célébrant l’héritage intemporel de la maison de mode suisse, l’exposition Akris. Mode. selbstverständlich (en français Akris. Mode. bien sûr), présentée jusqu’au 24 septembre 2023 au Museum für Gestaltung à Zürich, raconte comment les différentes collaborations artistiques initiées par Albert Kriemler depuis 2009 ont nourri la créativité, les savoir-faire et l’innovation d’Akris.
Alors qu’il déambule entre les silhouettes Akris et les œuvres d’art dont elles sont inspirées – Albert Kriemler ne peut s’empêcher de souligner son approche intemporelle du vêtement, souvent enrichie ou exaltée par ce dialogue fécond établi au fur et à mesure des années avec des artistes, vivants ou disparus.
Ainsi, avec le photographe allemand Thomas Ruff, Albert Kriemler développe de nouvelles techniques d’impression sur textiles. Auprès de l’architecte japonais Sou Foujimoto, il perfectionne sa méthode d’assemblage de la guipure de Saint-Gal et explore une certaine légèreté du vêtement. À travers les œuvres des peintres Carmen Herrera et Reinhard Voigt, il affine son sens de la coupe, de la couleur et explore l’expression du vêtement. Enfin, en revisitant l’héritage de l’artiste Alexander Girard, il explore un aspect sensible et ludique, voire humoristique, de la mode. À l’occasion d’une interview pour Numéro magazine, Albert Kriemler raconte ces cinq collaborations artistiques pour Akris.
Akris printemps-été 2018 en collaboration avec l’artiste américain Alexander Girard
“Cette collection Akris inspirée par les œuvres d’Alexander Girard fut très amusante. C’était un véritable artiste et un artisan, à la fois décorateur d’intérieur, architecte et designer textile. Il a par exemple conçu tous les tissus destinés aux chaises du designer Herman Miller dans les années 50, et en 1960, il a réalisé la décoration intégrale d’un restaurant très chic de New York, La Fonda del Sol. Il a tout designé, des papiers peints aux boites d’allumettes en passant par les nappes. Il était très cool et très créatif, avec un sens exceptionnel de la couleur.
En 1967, il a imaginé un tapis qu’il a intitulé “Sansusi”, la combinaison de San, pour Sandro, et le surnom Susi, en hommage à sa femme Susan, son véritable amour jusqu’à la fin de sa vie. Sur ce tapis, on voit deux cœurs liés ensembles et j’ai transposé ce motif sur des robes en guipure de Saint-Gall rouge, doublée de crêpes de Chine rose.
Zendaya a porté l’une des robes de la collection et a posté la photo sur son compte Instagram qui compte des millions de followers. C’était fantastique ! Alexander Girard avait beaucoup d’humour. Il se décrivait comme quelqu’un qui aime représenter l’humanité, comme avec ces Wooden Dolls qui sont imprimés sur la robe portée par Zendaya.”
Akris printemps-été 2016 en collaboration avec l’architecte japonais Sou Fujimoto
“Il s’agit de la seule collection Akris inspirée par l’architecture présentée au sein de cette exposition. J’ai souhaité rencontrer Sou Fujimoto après avoir visité le pavillon qu’il a réalisé pour la Serpentine Gallery en 2013 J’ai été impressionné par son approche à la fois délicate et sensuelle du minimalisme, qui contraste avec celle de ses pairs.
Notre premier rendez-vous a eu lieu à Paris et je lui ai présenté quelques-uns de ses projets qui m’inspiraient puis je lui ai rendu visite dans son studio à Tokyo pour lui présenter mes dessins, mes tissus et broderies. Cette collaboration avec Sou Fujimoto n’est pas uniquement un hommage à son travail d’architecte mais un véritable message de sa part sur ses inspirations puisqu’il ne m’a même pas autorisé à proposer un costume en lin ou coton qui ne soit pas ajouré ou transparent. Pour cette collaboration nous avons même développé des bagues imprimées en 3D qui reproduisent le pavillon Naoshima, installé dans le port de Kagawa.
J’aime particulièrement la robe façon veste biker, dont les broderies en guipure de Saint-Gall qui reproduisent les structures en béton et métal de Sou Fujimoto. L’artisanat occupe une place primordiale chez Akris et réaliser des coutures avec de la guipure est un réel défi, je voulais un résultat très couture donc nous avons développé une technique spécifique qui fusionne chaque partie entre elles. D’autant que personne ne fait des tuniques biker alors que c’est tellement chic mais aussi très cool. J’ai deux amis qui possèdent cette robe, et elles m’ont confié que chaque fois qu’elles la portent elles sont au cœur de toutes les conversations.”
Akris automne-hiver 2022 en collaboration avec le peintre allemand Reinhard Voigt
“J’ai conçu cette collection à partir des peintures à l’huile de Reinhard Voigt, que j’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs fois. Son travail m’évoque le pixel art d’aujourd’hui [une forme d’art numérique qui crée des images à partir de pixels individuels] avec un sens du graphisme très contemporain, mais qui célèbre en même temps un artisanat très ancien.
Il a commencé à réaliser cette série de peintures très spécifiques dans les années 60, inspiré par la façon dont sa mère brodait au point de croix. Il a continué pendant plus de 50 ans, consacrant parfois plusieurs semaines sur un tableau. J’admire la façon dont Reinhard Voigt a conservé sa signature artistique sur une si longue période. Nous avons cousu ensemble deux carrés de tissu pour créer un tombé de robe asymétrique dans le cadre d’un jeu de modélisme.”
“Akris. Mode. selbstverständlich’ jusqu’au 24 septembre 2023 au Museum für Gestaltung Zürich, Ausstellungsstrasse 60, 8005 Zürich, Suisse.
Akris automne-hiver 2014 en collaboration avec le photographe allemand Thomas Ruff
“J’ai toujours adoré le travail de Thomas Ruff. C’est un artiste que je connais très bien et cette collaboration a resserré nos liens d’amitié. Alors que j’assistais à sa rétrospective au Haus der Kunst de Munich en 2012, j’ai eu l’envie de créer une collection avec lui. A cette époque, je n’avais encore jamais travaillé avec un artiste vivant et c’est finalement deux ans plus tard, à l’occasion des dix ans d’Akris à la Fashion Week de Paris, que nous avons présenté notre collaboration.
C’était également l’occasion de montrer notre savoir-faire en matière d’impression numérique sur textile, une technique qui m’a toujours passionné et que j’utilise et développe depuis 2008. Ce que nous avons créé ensemble est vraiment exceptionnel car quand je suis rentré chez moi après notre première rencontre dans le studio de Thomas Ruff à Düsseldorf en octobre 2013, j’avais déjà choisi les sept photographies que je voulais utiliser dans ma collection avant de réaliser que je n’avais pas le matériel nécessaire pour les impressions numériques sur textiles. J’ai donc développé de nouveaux tissus comme la soie imperméable des anoraks avec un effet 3D, comme la série ma.r.s de Ruff, qui peut résister à de très fortes pluies. Si l’on utilise des lunettes 3D, disponibles dans le musée, on peut également voir l’impression en 3D sur le vêtement.
Il a été porté par la légende du reggae Lee « Scratch » Perry sur la couverture d’Arena Homme +. C’était la première fois qu’un de mes designs figurait sur la couverture d’un magazine de mode pour hommes. Cette collaboration avec Thomas Ruff est vraiment une de mes préférées.”
Akris célèbre ses 100 ans avec deux défilés de mode à Paris
Rien ne prédestinait Alice Kriemler-Schoch à fonder une maison de mode, désormais centenaire, parmi les plus réputées au monde. C’est en 1922 qu’elle débute son activité, dans son atelier de Saint-Gall en Suisse qui compte à l’époque une unique machine à coudre, confectionnant des tabliers en coton et broderies fabriqués localement, avant de rapidement habiller les femmes les plus élégantes de la région.
Le dimanche 2 octobre 2022, sur le parvis de la fontaine du Palais de Tokyo, Albert Kriemler, petit-fils de la fondatrice et directeur artistique depuis 1979, célébrait ainsi les 100 ans d’Akris – un acronyme datant de 1960 composé des premières lettres et syllabes d’Alice Kriemler-Schoch – avec un défilé-évènement de soixante-quatorze silhouettes en hommage à l’héritage de cette marque de mode familiale.
Parmi elles, neuf rééditions d’archives Akris datant de 1978 à 1994, qui exaltent autant la modernité et l’intemporalité de cette maison de mode, la seule d’origine suisse à défiler à Paris. Par exemple, en ouverture du show l’incontournable manteau Alpha en cachemire double-face, imaginé en 1978 par Max Kriemler (le père d’Albert) et dont l’élégance n’a d’égale que la finesse de sa conception. Plus tard dans la collection, on retrouve évidemment le motif cœur, développé en 1989 avec l’imprimeur textile italien Gianpaolo Ghioldi, et bien sûr l’emblématique guipure de Saint-Gall, qui accueille encore aujourd’hui le siège social d’Akris.
Le 5 mars 2023, Albert Kriemler poursuit les festivités avec le défilé Akris automne-hiver 2023 -2024 en hommage aux années 70, organisé au Centquatre, un haut-lieu culturel parisien. Une collection qui revient sur cette décennie charnière, au cours de laquelle, la maison suisse a cessé de confectionner ses fameux tabliers pour développer son savoir-faire en matière de tailoring.