30 jan 2020

Le Louvre expose les Diamants de la Couronne

Après plusieurs mois de travaux rendus possibles par la maison Cartier, la célèbre galerie d’Apollon rouvre ses portes au public. L’occasion de se replonger dans l’histoire tumultueuse des Diamants et Gemmes de la Couronne.

Au Louvre, il y a des années avec. 2019 et 2020 sont de celles-là : le musée s’est offert une rénovation grandiose de la galerie d’Apollon qui inspira la galerie des Glaces à Versailles. Et il y a des années sans. 1887 appartient à ce type d’annus horribilis. En quête de fonds, la jeune IIIe République est contrainte de vendre dans sa quasi-totalité la collection des Diamants de la Couronne, déjà bien entamée par les aléas de la Révolution française. Seules quelques pièces sont sauvées et attribuées au Louvre : le “Régent”, fameux diamant de 140,65 carats parmi les plus beaux au monde qui fut porté sur les couronnes puis sur le glaive de Napoléon, mais aussi le spinelle “Côte-de-Bretagne”, pierre fine rouge et noire taillée en forme de dragon sous Louis XV, volé en 1792 lors du sac de l’hôtel du Garde-Meuble, et récupéré par Louis XVIII en 1796.

 

Le “Régent”, diamant de 140,65 carats parmi les plus beaux au monde, fut porté sur les couronnes puis sur le glaive de Napoléon.

 

Ce “Côte-de-Bretagne” est aujourd’hui la seule pièce d’origine qui subsiste de la liste établie par François Ier. C’est en effet en 1532 que le roi de France fonde la collection des Diamants de la Couronne : transmise et enrichie de règne en règne et dont les pièces n’appartiennent pas au Roi en personne, mais à la royauté comme institution.

Particulièrement chiche, la collection que décide de présenter le Louvre, en 1889, dans la galerie d’Apollon  s’est heureusement enrichie à partir des années 1980. La Couronne de l’impératrice Eugénie, l’épouse de Napoléon III, rejoint en 1988 la seule autre couronne de souverain exposée au Louvre : celle de Louis XV (mais dont les pierres sont aujourd’hui des répliques).  Le collier et les boucles d’oreilles de la parure d'émeraudes de l’impératrice Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon, rejoignent, eux, la collection en 2004. Le collier se compose de pas moins de 32 émeraudes et de 1138 diamants.

 

 Le collier et les boucles d’oreilles de la parure d’émeraudes de l’impératrice Marie-Louise, seconde épouse de Napoléon, sont acquis par le Louvre en 2004. 

 

Mais l’éclairage de ces pièces au Louvre était assez médiocre, de l’aveu même du directeur du département des objets d’art, Jannic Durand. Les diamants s’entassaient au sein d’une seule vitrine vétuste, et pouvaient difficilement être admirés par le public de plus en plus nombreux du Louvre massé autour de cette unique vitrine. En quelques mois, grâce au soutien de la maison Cartier, l’ensemble de la galerie est nettoyé et dépoussiéré, et les diamants répartis par ordre chronologique au sein de trois vitrines différentes.

Ironie de l’histoire, la maison Cartier a joué un rôle important de passeur des bijoux royaux vers une clientèle privée. Le cas du “Hope” est emblématique. Le célèbre diamant bleu de Louis XIV est enserré dans une monture Cartier en 1910, direction les États-Unis. Il est aujourd’hui l’un des joyaux du musée de Washington. Pierre Rainero, directeur du patrimoine de la maison Cartier, n’est jamais avare d'histoires :Une paire de boucles d’oreilles de Marie-Antoinette est aussi passée entre nos mains, grâce à nos lien avec la famille Youssoupov qui les avait acquise fin XIXe.

 

Cartier, né en 1847 sous Louis-Philippe,  n'a accès en France à la clientèle royale que sous le 2nd Empire.Avec des objets d’orfèvrerie fort modestes pour la princesse Eugénie, explique Pierre Rainero, mais qui offrent déjà un statut à la maison. Ce n’est qu’au début du XXe siècle que, selon les mots du futur Edouard VII, Cartier devient le roi des joailliers et le joaillier des rois, avec plus d’une quinzaine de brevets royaux sur la première moitié du XXe siècle. Sans compter les maisons royales indiennes qui n’en décernaient pas.

 

Ce n’est qu’au début du XXe siècle que, selon les mots du futur Edouard VII, Cartier devient le roi des joailliers et le joaillier des rois.

 

Au Louvre, on l’aura compris, les nostalgiques de l’Ancien Régime seront frustrés par les diamants de la Couronne. Ils pourront alors se tourner vers d’autres joyaux. La collection de Gemmes de la Couronne présentée aux côtés des diamants est à cet égard exceptionnelle. Contrairement à ce que leur dénomination laisse penser, ce ne sont pas des gemmes, mais des vases en pierres dures, montés ou créés en Italie et à Paris au XVIIe siècle. Louis XIV se prend d’amour pour ces pièces “modestes” peu valorisées par ses successeurs (Louis XV en vendra une bonne part) ou mal préservées à Versailles : présenté sur une petite console, un coup de vent ou un visiteur maladroit et le Gemme tombait et se fracassait au sol.

 

 

 

Louis XIV en a collectionné plus d’un millier, les préférant aux tableaux et autres bronzes qui forment aujourd’hui le cœur du Louvre. Beaucoup proviennent de la collection rachetée au cardinal de Richelieu, comme un vase spectaculaire en cristal de roche. “La pierre, taillée à la fin de l’époque médiévale, a reçu ses scènes gravées au XVIe siècle à Milan, explique Philippe Malgouyres, spécialiste des gemmes au Louvre. La monture a été réalisée en deux temps : à Milan au XVIe siècle, puis en France au XVIIe.” C’est l’une des grandes originalités de cette collection que de mêler les époques et les origines : pierres orientales, byzantines ou antiques, certaines montées à l’époque gothique, avec de nombreux éléments extra-européens… Cette passion du “vintage” vaut au Roi le mépris des étrangers qui ne comprennent pas que Louis XIV achète d’occasion et ne fasse pas travailler ses propres artisans, à l’instar des électeurs de Saxe à Dresde ou des collections impériales à Vienne.

 

C’est l’une des grandes originalités de cette collection que de mêler les époques et les origines : pierres orientales, byzantines ou antiques…

 

Napoléon III se plia avec plus d’entrain à ce jeu des rivalités de cour. En vue de l’Exposition universelle de 1855, l’empereur fait appel aux meilleurs artisans français pour créer, notamment, les parures de l’impératrice Eugénie, exposées aujourd’hui parmi les Diamants de la Couronne au Louvre. C’est qu’en 1851, la reine d’Angleterre avait exposé les diamants de la Couronne britannique… La rivalité politique franco-anglaise se déplaçait déjà sur le terrain d’un soft power dont le luxe et l’artisanat n’ont pas fini d’être des instruments.

Vitrine des joyaux de la Couronne de France (1530- 1789), galerie d’Apollon © 2020 Musée du Louvre / Antoine Mongodin.