6 pièces sportswear qui ont révolutionné l’histoire de la mode
Jusqu’au 7 septembre 2024, le Palais Galliera explore, en parallèle des Jeux Olympiques de Paris 2024, la thématique du sport. Pour l’occasion, Numéro retient six pièces sportswear qui ont révolutionné l’histoire de la mode, éclairées par les commissaires Sophie Lemahieu et Marie-Laure Gutton.
Par Camille Bois-Martin.
Quand les femmes piochent dans le vestiaire des hommes : les robes d’amazone du milieu du 19e siècle
Au milieu du 19e siècle, les pratiques sportives restent une activité assez marginale : si les hommes de la bourgeoisie s’exercent de temps à autre, les femmes ne pratiquent, elles, que de l’équitation. Il n’existe alors pas encore de vêtements spécifiques dédiés au sport, mais plutôt des vêtements de tous les jours, que chacun adapte à son activité. Composé de pièces bifides et près du corps, le vestiaire masculin semble alors plus adéquat, permettant une amplitude de mouvement que les robes et autres tenues féminines ne permettent pas. Afin de monter à cheval, les femmes piochent alors dans la garde-robe masculine et font retravailler leurs vêtements par les tailleurs pour hommes de l’époque.
En s’inspirant des pantalons masculins, ces derniers équipent la taille de leurs robes d’une petite boutonnière permettant de remonter le jupon lors de la descente du cheval ainsi que de se mouvoir avec sans être entravées. Ce nouvel ensemble entraîne alors la démocratisation du sport dans le quotidien de la bourgeoisie et appelle à une masculinisation du vêtement féminin : ce dernier commence à piocher dans le vestiaire des hommes ses matières, ses accessoires et ses coupes, plus adaptés aux activités hippiques telles que la chasse et l’équitation. Les femmes se parent également de chapeaux hauts-de-forme et de casquettes, attributs masculins, qui sont tout de même ornés d’un léger voile afin de protéger leur visage de la poussière et du vent… et les garder élégantes en toute circonstance.
En route vers de nouveaux vêtements : les “bloomers” du début du 20e siècle
Les décennies qui suivent prolongent cette fusion entre les deux vestiaires et voient de nombreuses pièces masculines adaptées pour les femmes. À commencer par les culottes bifides, qui leur permettent d’acquérir une nouvelle amplitude de mouvement et, de manière plus symbolique, une nouvelle forme de liberté. On la rattache à l’émancipation féminine naissante de la fin du 19e siècle, portée notamment par des figures telles que l’Américaine Amelia Bloomer. Alors que la bicyclette se démocratise peu à peu au cours des années 1880-1890, les femmes s’emparent de ce nouveau moyen de locomotion afin de se déplacer librement en ville. Encombrées par leurs amples jupons, ces dernières empruntent à nouveau à la garde-robe masculine au travers de la culotte bouffante, portée sous le genou – et avec des bas, pudeur oblige.
Malgré une opinion publique indignée face à l’idée d’une femme en culotte enfourchant librement sa bicyclette – les culottes sont alors surnommées les “bloomers” –, le vêtement se popularise et rejoint les collections des grands magasins parisiens, qui répondent à une demande croissante de leur clientèle pour ces pièces. Sur les présentoirs, ces ensembles de cyclistes se déclinent sous toutes leurs formes et toutes leurs couleurs, jusqu’à être portés par les femmes dans leur vie quotidienne : au Chalet du cycle du bois de Boulogne comme dans les parcs parisiens, elles se rejoignent autour d’un thé ou pour une promenade et paradent fièrement dans cette nouvelle tenue. Un grand pas vers le pantalon, interdit pour les femmes depuis le Second Empire, qui se démocratisera progressivement à travers, d’abord, le pyjama de plage, avant d’intégrer définitivement les gardes-robes féminines au milieu du 20e siècle.
Le maillot de bain deux pièces, des compétitions sportives aux tenues de plage
En août 1926, Gertrude Caroline Ederle devient la première femme à avoir traversé la Manche à la nage et bat le record de temps masculin détenu par Sebastian Tiraboschi. Les photos de son arrivée se répandent alors dans toute l’Europe, diffusant par la même occasion sa tenue : un maillot de bain deux pièces, à la différence des maillots une pièce habituellement portés par les sportifs et sportives de l’époque. Conçu par la sœur de la nageuse en vue de dégager au maximum son corps et lui permettre une grande amplitude de mouvement, ce vêtement en laine va à l’encontre de la morale de l’époque, qui impose alors aux femmes de rester couverte à la plage.
Malgré tout, au-delà du cadre particulier du sport, le maillot deux pièces finit par s’imposer à l’œil des contemporains et se démocratise progressivement en dehors des compétitions de natation. Pour entrer, à nouveau, dans la garde-robe quotidienne : à peine quatre ans plus tard, le producteur textile Neyret propose dans son catalogue un maillot de bain en laine deux pièces qui se propage sur la plupart des plages françaises, porté sous un pyjama.
Les sportives, égéries de mode avant l’heure
Alors que les femmes sont de plus en plus nombreuses à participer à des compétitions sportives, ces dernières s’imposent comme de véritables figures à suivre. À l’image de la joueuse de tennis Suzanne Lenglen (1899-1938), qui remporte en 1919 le prestigieux de tournois de Wimbledon. Alors au sommet de sa carrière, celle que l’on surnomme “la Divine” s’impose au début du 20e siècle comme la première star internationale de tennis et se retrouve en Une de nombreux journaux de l’époque. Rapidement, les couturiers voient en ces nouvelles célébrités un moyen de promouvoir leurs lignes de prêt-à-porter : incarnation de la jeunesse et d’un nouveau dynamisme, Suzanne Lenglen suscite notamment l’intérêt de Jean Patou, qui imagine en 1919 une robe blanche pour la championne.
Particulièrement courte pour l’époque, la tenue fait sensation et marque les esprits par son étoffe plissée, qui dote la sportive d’une apparence élégante et vaut à son jeu le qualificatif de “dansant”. Aujourd’hui emblématique des ensembles des tenniswoman, ce vêtement court et plissé se popularise alors pour toutes les joueuses de tennis des années vingt et fait de la Divine une véritable égérie de mode avant l’heure. Durant les années qui suivent, de nombreuses maisons de couture créent des ensembles pour les sportives et sportifs et lancent, par la même occasion, des lignes de prêt-à-porter dédiées au sport.
Ainsi Jeanne Lanvin, en 1923, imagine sa fameuse robe “Yvette” en référence à la championne de tennis Yvonne Bourgeois, pendant que Jean Patou en 1925, qui conçoit de son côté des ensembles de ville portés par Suzanne Lenglen lors de ses apparitions publiques. Certains athlètes lancent même leur propre marque, tel que le tennisman René Lacoste, qui commercialise le fameux polo Lacoste en 1933 après avoir découpé les manches trop contraignantes de l’une de ses chemises lors d’un match. En 1928, le terme “sportswear” apparaît pour la première fois dans la presse française.
Quand les couturiers collaborent avec les équipementiers : la collection Yohji Yamamoto x Adidas automne-hiver 2001-2002
En 1995, Puma inaugure avec Xuly.Bët la première collaboration entre un équipementier et une maison de couture, avant que le créateur Yohji Yamamoto ne s’inspire, pour sa collection automne-hiver 2001-2002, des iconiques bandes blanches d’Adidas. Sur des sacs à dos, des blousons, des robe ou des pantalons, les trois lignes inspirent ainsi au Japonais des tenues d’entraînement chic et branchées, à porter dans la rue comme à un dîner, complétées par une paire de baskets. “L’univers du sport et ses recherches pour renforcer le confort et la fonctionnalité tendent à réduire l’excès, alors que la mode cherche l’opposé. Ce qui m’intéressait, c’était de flirter avec un monde supposé incompatible avec la mode”, confiait alors le créateur à Libération.
De cette première collaboration naît par la suite la marque Y-3, fusion entre Yohji Yamamoto et Adidas, dont le succès traduit un intérêt croissant pour les marques de sport : Nike, Stan Smith, Converse, Van’s… Les accessoires et vêtements proposés par ces labels infusent ainsi la culture mode des années 2000, intégrant leurs baskets, joggings, sweatshirts ou encore casquettes au quotidien.
La tendance sportswear : l’iconique jogging Juicy Couture
À mesure que la mode sportswear se diffuse dans les années 2000, certaines pièces s’imposent progressivement comme des icônes de la décennie. A l’instar du tapageur jogging Juicy Couture, prisé par les plus célèbres it-girls du moment telles que Britney Spears, Lindsay Lohan, et bien sûr Paris Hilton, qui l’arbore à chacune de ses sorties et le collectionne dans toutes ses couleurs. Alors que le hip-hop fait fureur à la fin du 20e et au début du 2Ie siècle, le survêtement porté par les rappeurs s’exporte de la scène musicale pour devenir une pièce ultra tendance. Si le groupe américain Run–DMC chantait en 1986 My Adidas, le rappeur Nelly dédie en 2002 un de ses titres à sa paire de Nike Air Force 1, tandis que Frank Ocean évoque la symbolique sociale des baskets Nike dans sa chanson de 2016.
C’est ainsi dans ce contexte que le jogging Juicy Couture devient le vêtement préféré des personnalités de la mode, réinventé ensuite par des créateurs tels que Sonia Rykiel, Hermès ou Kenzo au sein de leurs lignes de prêt-à-porter. De la même manière que le vêtement de ville se faisait vêtement de sport au milieu du 19e siècle, le vêtement de sport se fait alors vêtement de ville : la boucle est bouclée.
Exposition “La mode en mouvement”, jusqu’au 7 septembre 2025 au Palais Galliera, Paris 16e.