Échelle Humaine, le festival de danse qui explore les liens humains

par Delphine Roche.

Un festival de danse organisé à Lafayette Anticipations

Quelle est la matière de l’Histoire ? Enfouis sous les grands récits qui franchissent les époques, des affects, des gestes ont tissé des mondes, avant de disparaître dans l’oubli. L’édition 2025 du festival Échelle Humaine, programmée par la curatrice franco-américaine Madeleine Planeix-Crocker, propose de chercher ce qui nous relie de façon ténue ou invisible : “Les artistes qui participent à cette édition partagent une méthodologie. Il s’agit d’aller creuser au plus profond des mémoires collectives ou intimes, et d’explorer les limites des possibilités tactiles, des rapprochements entre des corps.” 

Les champs de la danse et de la performance explorent justement, depuis les années 2000, le rôle du corps en tant qu’archive vivante et dynamique, transmetteur et transformateur de sens, de discours, d’émotions – ce qui donne notamment lieu à des re-enactments d’œuvres passées.

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Nina Beier, archéologue des souvenirs évanouis

Ainsi, pendant les trois jours du festival Échelle Humaine, l’artiste danoise Nina Beier présentera The Complete Works, une pièce qui fait appel à la mémoire de danseurs retraités en les invitant à interpréter toutes les chorégraphies qu’ils ont incarnées au cours de leur carrière, par ordre chronologique. Mettant l’accent sur les interprètes (plutôt que sur les auteurs), et sur la façon dont la danse s’écrit dans leurs corps et leurs esprits tout autant que ceux-ci la font vivre, la performance accueille les lacunes et les failles mémorielles. 

Pour sa présentation parisienne à Lafayette Anticipations, deux anciens danseurs étoiles de l’Opéra de Paris, Alice Renavand et Karl Paquette, se livreront à cet exercice d’archéologie en direct, un spectacle fragile né du dialogue entre mémoire musculaire et cognitive.

Le toucher, au cœur du festival Échelle Humaine

Impossibles à fixer, les sensations tactiles constituent un point aveugle des récits officiels de l’Histoire. Deux pièces d’Échelle Humaine s’attellent à tenter de les archiver. Pour leur toute première performance parisienne, les chorégraphes et danseurs Makisig Akin et Anya Cloud s’attachent aux manifestations physiques et affectives de l’amour queer, aux effets que produit la fusion de corps inséparables : “Il s’agit d’évoquer ce toucher queer, la façon dont il évolue et tente d’exister également dans des périodes de crise”, précise Madeleine Planeix-Crocker. 

Ce toucher est aussi au cœur de la performance Federico, d’Alex Baczynski-Jenkins. Présentée pour la première fois à Paris, dix ans après sa création, cette chorégraphie pensée à l’échelle des mains de deux performeurs, souligne avec une acuité frappante le caractère profondément politique de l’intime, la façon dont le monde, l’époque et leurs enjeux viennent se loger au plus près de nos peaux.

Des performances à la croisée de l’histoire et des civilisations

Du micro au macro, les destins humains sont inextricablement liés. C’est ce que révèlent encore de façon poignante Joana Hadjithomas et Khalil Joreige. Proche des sujets et des méthodes de l’archéologie, ce duo s’intéresse au site d’un camp de réfugiés palestiniens au Liban, où des bombardements ont révélé les ruines d’une ville romaine enfouie. 

Dans La Vertigineuse histoire d’Orthosia, performance empruntant la forme de la conférence, organisée en partenariat avec le Festival d’automne, les cinéastes et plasticiens présentent des images et des témoignages bouleversants au sujet de ce lieu où l’histoire politique contemporaine la plus tragique croise un temps long, celui des civilisations. De ce choc frontal entre l’urgence sociale et le patrimoine intemporel de la connaissance, naît un dilemme qui questionne de façon brûlante la place exacte de l’“échelle humaine”.

Festival Échelle Humaine, du 19 au 21 septembre 2025, à Lafayette Anticipations, Paris 4e.