Paris 2024 : dans les coulisses des Jeux Olympiques (épisodes 9 et 10/10)
Outre leur aspect sportif, les Jeux Olympiques 2024 mettent également en avant un volet social et inclusif, et un autre écologique, qui nécessitent la coopération étroite de multiples acteurs de secteurs divers. À l’approche des JO, Numéro revient ici sur la préparation de cet événement en dix épisodes, au fil d’une chronique racontée à la première personne, articulant les interventions de personnalités majeures. Au programme de ces derniers volets : la concrétisation du rêve.
Propos recueillis par Olivier Joyard.
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 vont au-delà du sport. Chaque détail compte, du merchandising aux médailles, serties d’un morceau de tour Eiffel, conçues par le joaillier Chaumet – propriété de LVMH. Le conglomérat de Bernard Arnault s’est d’ailleurs positionné comme partenaire premium à l’été 2023, pour un montant estimé à 150 millions d’euros. Les JO et leurs retombées matérielles comme immatérielles constituent un véritable soft power, aux enjeux considérables.
Comment réussir les Jeux Olympiques de Paris 2024 ?
Tony Estanguet : Notre modèle économique repose sur de l’argent privé. C’était un défi de trouver des partenaires dans un contexte mondial compliqué. Si de grandes entreprises mettent autant d’argent dans les JO, ce n’est pas pour nous faire plaisir, et certainement pas à perte. Toutes préféraient aller vers des choses inédites et ambitieuses. Concernant LVMH, arrivé parmi les grands sponsors de façon assez tardive, la cérémonie a été le déclencheur. Le groupe a commencé à s’intéresser à notre projet à partir du moment où nous lui avons expliqué qu’on allait faire une cérémonie d’ouverture en ville. Sans cela, je pense qu’on ne l’aurait pas eu. Nous voulions montrer le meilleur de Paris et de la France – ce qui est le sens de ces JO – et cela l’intéressait.
L’engouement du président du COJOP n’est pas partagé par tout le monde. En novembre 2023, un sondage Odoxa montrait que seuls 65 % des Français estimaient que la tenue de Paris 2024 constituait “une bonne chose”. Un chiffre en baisse.
Tony Estanguet : J’avais un peu sous-estimé le fait que nous serions critiqués. Je n’avais pas fait de prévisions là-dessus. Assez vite, quand j’ai rencontré Sebastian Coe [président de Londres 2012] et d’autres présidents de comités d’organisation, ils m’ont tous prévenu que la dernière année serait la plus difficile. À l’été 2023, on a senti le vent tourner. Toutes les semaines, et presque tous les jours, des papiers sortent sur les Jeux, pour de bonnes et de mauvaises raisons. On est embarqué dans des polémiques qui ne nous concernent pas directement. La critique est inévitable, surtout en France.
Pierre Rabadan : On n’a jamais organisé un événement de cette ampleur en France. Il y a toujours des dissonances politiques, comme avec la Région Île-de-France [présidée par Valérie Pécresse] au sujet des transports. Anne Hidalgo a laissé entendre qu’ils ne seraient pas prêts à accueillir tous les voyageurs attendus lors des JO, mais elle l’a fait en s’incluant dans la critique, car elle appartient à l’organisation. La Mairie de Paris ne peut rien décider seule, mais rien ne se décide sans elle. Il y a eu un niveau de violence disproportionné. Au-delà de ces accrocs, dont on parle beaucoup, les choses se passent bien, surtout si on les compare à d’autres pays. Sur la livraison des équipements sportifs, tout est planifié. Si on considère le contexte, c’est un petit exploit… Souvent, ce qui fait que les coûts s’envolent durant des JO, c’est qu’on arrive à quelques mois de la date fatidique et que subitement il faut terminer les travaux en urgence : les factures sont salées. Cela n’est pas le cas avec Paris 2024.
Tony Estanguet : On n’a pas choisi la facilité, avec l’épreuve de surf à Tahiti, la cérémonie d’ouverture sur la Seine, toutes ces compétitions dans des lieux inédits. Faire les Jeux à Versailles [épreuves d’équitation], ce n’était pas dans le cahier des charges quand Le Nôtre a imaginé les jardins… Je pense aussi au Grand Palais, aux Invalides, à la Concorde, au Champ-de-Mars. À la fin, on se souviendra surtout de ce qui se sera passé pendant les Jeux. On fera le bilan. Moi, je vais continuer d’être une machine, un robot, en essayant de ne pas être dans l’émotion. Il y aura des décisions à prendre jusqu’au bout. Dans ma carrière d’athlète, le moment que je trouvais le plus intéressant, c’était la dernière minute avant le départ. On s’entraîne depuis quatre ans, on a l’impression que les dés sont jetés, mais en fait on peut basculer d’un côté ou de l’autre, lâcher parce que la pression est trop importante, ou au contraire aller chercher des ressources qu’on ne soupçonnait pas. J’aimais beaucoup cette minute-là, un moment qui compte et que j’ai retenu.
La réussite de Paris 2024 passe aussi par des victoires de l’équipe de France et des médailles. Avec une figure de proue incontournable pour les Bleus, le judoka Teddy Riner, en quête d’une troisième médaille d’or individuelle.
Thierry Rey : Laura Flessel-Colovic [championne olympique d’escrime et ministre des Sports de 2017 à 2018] avait annoncé un objectif de 80 médailles, mais ça n’a aucun sens. Ce qu’il faut, ce sont des médailles d’or. Ce qui compte, c’est de gagner. Il y a plus de 100 champions du monde chaque année en France. Et au moment des Jeux, il y a une déperdition incroyable. Comment faire pour que l’événement ne soit pas vécu par les athlètes comme une pression insurmontable, mais plutôt comme un élan qui les propulse vers le sommet ?
Teddy Riner : J’attends beaucoup de Paris 2024. Au-delà de ma vie d’athlète, les souvenirs que j’ai des JO pendant mon enfance ce sont des flashs, parce que mes parents suivaient les compétitions. Je me rappelle de Marie-José Pérec, de l’équipe de France de judo, du handball, plein de petits moments comme ça. Je n’ai jamais anticipé le fait que j’allais devenir champion olympique, que c’était ma destinée. Ce qui m’a toujours animé, c’était de gagner. À chaque compétition, donner le meilleur pour rapporter la médaille d’or. J’ai pris les choses comme elles venaient, je suis un cas un peu particulier. Pour les Jeux de 2024, c’est la même chose. Au fur et à mesure que les années ont passé, je me suis dit : “Ah ouais, tu en as encore sous le pied, tu peux y aller.”
Tony Estanguet : Bien sûr, je pense à ces athlètes comme Teddy qui vont pouvoir peut-être terminer leur carrière à Paris en gagnant. Pour moi, ce rêve ne s’est pas réalisé. S’il gagne, je pense que ça fera du bien à ce pays. Le moral des troupes sera très fortement impacté, cela ira bien au-delà de lui. Avec une médaille d’or de Teddy, les Jeux Olympiques de Paris 2024 seraient réussis.
Teddy Riner : Il y a de la symbolique, forcément, mais surtout cette envie d’aller chercher la médaille d’or. Ma carrière est faite ? Oui. Est-ce que je suis gourmand ? Oui. C’est un stress, mais on aime ça ! Ce seront mes cinquièmes Jeux, je sais ce que j’ai à faire. Et si ça ne passe pas, ça ne passe pas. Je n’aurai aucun regret, je serai allé au bout de moi-même.
Les Jeux Olympiques de Paris 2024 organisés du 26 juillet au 11 août 2024.