2 sept 2024

Rihanna, Tupac, Flavor Flav, A$AP Rocky… découvrez les bijoux légendaires du hip-hop

Grills scintillants, talismans exubérants ou chaînes XXL superposées à l’excès… au-delà de la musique, le hip-hop a marqué la mode en popularisant des tendances stylistiques, notamment dans le domaine des bijoux. Un sujet qui passionne la journaliste Vikki Tobak qui revient sur 40 ans de musique, de style et de revendications socio-politiques dans son livre Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History, richement illustré par des images de célèbres photographes et publié aux éditions Taschen.

À gauche : le rappeur Lil Nas X porte un grills imaginé par Alligator Jesus/David Tamargo. À droite : la chanteuse Teyana Taylor porte des boucles d’oreilles signées Chris Habana et un grills de A-Morir.

40 ans de bling hip-hop passés au crible

Dans son ouvrage Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History (ed. Taschen), Vikki Tobak interroge un témoin privilégié de l’expansion du mouvement hip-hop : le bijou. Née au Kazakhstan de l’époque soviétique, la journaliste s’installe aux États-Unis, à Détroit, avec sa famille à la fin des années 70 et se prend aussitôt de passion pour le hip-hop, mouvement culturel apparu justement à la fin des seventies et dont les fondations se résument au rap, au street art et la breakdance, initialement nommée smurf. Des années plus tard, Vikki Tobak est recrutée par le label de hip-hop Payday Records/Empire Management (lancé en 1992) et collabore directement avec Jay-Z ou encore Mos Def.

Grills hors de prix, talismans exubérants ou chaînes XXL superposées jusqu’à l’abus… Au fil des 388 pages, Vikki Tobak raconte “l’histoire du bling ou comment le hip-hop a redéfini le monde du bijou, du luxe et du style pendant 40 ans.” On retrouve évidemment des légendes – Grandmaster Flash, Jay-Z, Tupac, Snoop Dogg, Nas ou Kanye West –, des maisons de joaillerie telles que Tiffany & Co ou l’horloger Patek Philippe, ainsi que les images cultes des photographes qui ont osé immortaliser ces stars aux dégaines outrancières : Jamel Shabazz, Wolfgang Tillmans ou encore David LaChapelle. Alors que ce mouvement autrefois anticonformiste inonde désormais les ondes, retour sur quatre bijoux légendaires qui ont marqué l’histoire du hip-hop.

Le rappeur A$AP Rocky porte des “classic gold grills”. Photographie par Clay Patrick McBride.

Eddie Plein, l’homme qui transformait les dents… en or

La boutique d’Eddie Plein passerait inaperçue si deux Pontiac massives et flambant neuves n’étaient pas garées devant la vitrine. Leur larges capots font office de sièges de fortune à de jeunes Afro-Américains en baggy et sneakers immaculées. À travers les volutes de fumée qui s’échappent des pots, on distingue malgré tout une enseigne  : “Eddie’s Famous Gold Teeth”.

Dans les années 80, n’importe quel rappeur en herbe a eu vent d’Eddie Plein, un natif du Surinam qui a posé ses valises dans le Queens pour ouvrir sa propre bijouterie et répondre à une demande insolite de l’époque : la pose de bijoux dentaires, autrement appelés “grills”. Une coutume qui existait déjà vers 2600 av. J.-C lorsque certains Mayas incrustaient des pierres précieuses sur leur dents pour exhiber fièrement leur rang social.

Outre-Atlantique, c’est le rappeur Flavor Flav, l’un des leaders du groupe Public Enemy, qui osera le premier le grills intégral, transformant sa dentition en véritable objet de valeur dépendant du cours de l’or. Sa signature plait, et le port du grills se démocratise, au point que l’on finisse par évoquer un “classic” gold grills tant les déclinaisons en diamants et autres luxueux matériaux s’installent ici et là dans les bouches des néophytes. Mais que signifie réellement ce bijou ?

L’influence du genre Dirty South et l’émergence des canines en or

D’abord, il fait initialement référence à un genre musical précis : le Dirty South, un clash entre les rappeurs East Coast de New York et le Gangsta rap californien. Les rappeurs issus des états du Sud se font péniblement une place en développant un rap bling et extravagant, une sorte d’égotrip quasi parodique inspiré du funk et du gospel. Parmi eux, les Geto Boys de Houston – puis, bien plus tard Lil Wayne ou Gucci Mane – ou le rappeur Ol’ Dirty Bastard membre fondateur du Wu-Tang Clan qui, en 1994, arbore un grills en diamants emblématique signé Metro Jewelry et estampillé… “DIRTY”. L’artiste fait sensation. Et avec cette personnalisation du grills il envisage alors la création du “fang style”, des canines presque animales recouvertes d’une plaque en or.. 

Véritable revendication sociale, politique et culturelle, le sourire d’or atteste de la réussite financière d’un artiste qui, à la manière d’un tatouage, incruste son succès dans ses os ou met en perspective sa fortune et sa condition d’homme Noir. On pense notamment à la série de l’artiste américain Hank Willis Thomas qui posera des grills estampillés quant à eux… “Black Power”.

Les rappeurs Flavor Flav et Chuck D de Public Enemy avec la fameuse chaîne-horloge et une représentation de Malcolm X en 1991. Photo par David Clinch.

Le monde de l’horlogerie s’invite à la fête

Avec l’explosion du hip-hop au milieu des années 80, les bijouteries essaiment aux États-Unis. Rien d’étonnant. Comme l’explique le rappeur Talib Kweli : “La chaîne en or est l’épitomé du capitalisme.” Et le capitalisme – ou en tout cas son rapport direct à l’American Dream – est l’une des fondation d’un mouvement artistique qui a émergé dans les quartiers défavorisés.

Mais tandis que certains arborent des myriades de bijoux en misant sur l’abondance, d’autres esquissent leur identité en arborant des pièces originales et inattendues. C’est le cas du rappeur Flavor Flav – encore – et de sa chaîne horloge, matérialisation de sa fascination pour le temps. Devenue une énième signature, cette chaîne horloge directement inspirée des montres à gousset du XIXe siècle complète son look haut-de-forme et lunettes aux montures épaisses et verra de nombreuses variantes dans la forme et la taille. 

Ce bijou emblématique de la culture hip-hop marque aussi le passage du mouvement vers une nouvelle ère, celle de l’apogée de l’horlogerie dans l’attirail des rappeurs. Vikki Tobak développe : “Au début des années 90, les magnats du rap commencent à fabriquer des chaînes à l’effigie de leurs propres maisons de disques et communiquent ainsi sur leur dynastie, les pièces personnalisées sont alors montées sur des chaînes, des médaillons, des lobes d’oreille, des grills et des montres Rolex, Patek Philippe ou Audemars Piguet. L’amour précoce du hip-hop pour la culture horlogère ne faisait que commencer.

De l’horloge de Flavor Flav à la Swatch de Jam Master Jay en passant par la Rolex personnalisée de Tupac, on retrouve ici la pure tradition du sample, appliquée à la bijouterie : de petits échantillons musicaux réutilisés par les DJ pour créer de nouveaux morceaux de musique.

Le rappeur Slick Rick photographié par Janette Beckman en 1988 représenté en monarque.

Reliques égyptiennes et Jésus Christ, la religion dans la joaillerie

La première pièce de joaillerie représentant Jesus Christ fût portée par le rappeur Biggie Smalls avant qu’un artiste mégalomane ne se l’approprie… un certain Kanye West. Il en augmente la taille et propulse la pièce au rang d’œuvre de mode résolument politique, insistant sur l’importance de la religion au sein du mouvement hip-hop. Et désormais, de plus en plus de rappeurs évoquent librement leur foi. Le mouvement hip-hop aura toujours été emprunt de spiritualité : une sorte de syndrome du prophète et un costume de héraut endossé par toutes et tous.

Créée spécialement pour Kanye West par la marque Jacob & Co en 2004, cette chaîne en or montée d’un pendentif XXL représente Jésus avec une couronne d’épines. Elle est constituée de diamants, d’aigues-marines pour les yeux azur du Christ ainsi que de petits rubis représentant des larmes ensanglantées.

Déclinée aussitôt en version “black Jesus”, cette pièce rejoint la collection de bijoux en hommage à la reine Nefertiti, une référence récurrente dans le hip-hop des années 80. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une des rares civilisations africaines qui – dans le monde occidental – est toujours représenté par le prisme de l’opulence. La joaillerie est alors l’apanage des princes, des rois et des pharaons, de véritables icônes au moment de l’émergence du hip-hop aux États-Unis.

 

 

La chanteuse Beyoncé dans son album visuel “Black is King” évoquant une reine égyptienne en 2020.

La bague lingot d’or, un ersatz du poing américain

À la fin des années 80, le jeune rappeur et DJ Biz Markie entre avec détermination dans la boutique d’un certain “Jacob le bijoutier”. Il est en quête d’une pièce signature qui reprendrait son propre pseudonyme. C’est ainsi que naît la “bague Biz”, un objet en diamants démesuré qui recouvre la totalité de ses phalanges et fonde, par la même occasion, la légende de Jacob le bijoutier, nouveau collaborateur favori des rappeurs.

Sortes de lingots d’or transformés en bagues quatre doigts, ces bijoux personnalisés reprennent en réalité l’esthétique du poing-américain, une arme blanche discrète et très commune au sein des gangs américains, composée d’une pièce de métal dans laquelle on place ses doigts pour frapper son adversaire de façon beaucoup plus violente qu’à main nues. La plupart du temps, ces bagues en or ou en argent en forme de plaques sont frappées d’un emblème ou d’un pseudonyme, à l’image des bijoux de Big Daddy Kane, rappeur new-yorkais qui portait ses “name plate ring” à l’effigie, encore une fois, de l’Égyptienne Nefertiti suspendus à d’énormes chaînes.

La couverture de l’ouvrage Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History de Vikki Tobak (ed. Taschen).

Ice Cold… une édition limitée estimée à 7 500 euros

Ice Cold… raconte ainsi l’histoire du bijou hip-hop de ses débuts dans les années 1980 à nos jours, grâce à une sélection sans pareil de témoignages et d’images. Des centaines de clichés de toutes les têtes d’affiche de ce genre visionnaire montrent combien “tout ce qui brille” est devenu un outil d’affirmation identitaire et d’expression individuelle. La maison d’édition Taschen propose différentes éditions.

D’abord une édition d’art limitée (No. 101–200), avec le tirage A$AP Rocky, New York, 2019 numéroté et signé par le photographe Tomo Brejc. Ensuite une édition d’art limitée (No.1–100), avec le tirage Megan Thee Stallion, New York, 2018 numéroté et signé par le photographe Zach Boisjoly. Enfin une édition limitée Bijou – chaîne et pendentif sont composés d’une monture en argent minutieusement sertie de cristaux semi-précieux Swarovski et emballés dans une boîte spéciale – (numérotée de 1 à 25 et estimée à 7500 euros), avec un pendentif et sa chaîne créés par Avianne & Co.

“Ice Cold. A Hip-Hop Jewelry History” de Vikki Tobak, 388 pages. Publié aux éditions Taschen. Disponible.