Molly Nilsson, l’ancienne employée du Berghain devenue reine de la synthpop
La musicienne d’origine suédoise Molly Nilsson vient de sortir son dixième album, le bien nommé Extreme. Cet album de synthpop envoûtant et féministe convoque autant le romantisme new wave des années 80 que le sens de la mélodie épique d’un Bruce Springsteen. Portait d’une artiste farouchement indépendante, DIY et mystérieuse qui suscite un véritable culte autour d’elle.
Par Violaine Schütz.
Lorsqu’on est allé voir Molly Nilsson en concert, en 2019, à la Maroquinerie à Paris, on a été frappé par le culte dont la chanteuse suédoise faisait l’objet. Des sosies de l’artiste âgée de 37 ans, vêtus comme elle, en noir de la tête aux pieds et les cheveux décolorés en blond platine ou en roux fluo, remplissaient la salle et connaissaient par cœur tous ses morceaux. Une ardeur non proportionnelle à la notoriété de son nom. Molly Nilsson reste une artiste dont on s’échange les chansons viscérales entre initiés, même si certains de ses titres, comme l’entêtant 1995 et le sarcastique I Hope You Die cumulent 1,9 et 6,6 millions de vues sur YouTube.
Molly Nilsson a beau être absente des feeds TikTok et des médias, elle est tout sauf une débutante. Née à Stockholm en 1984, l’autrice-compositrice-interprète a sorti dix albums, dont l’excellent Extreme, publié il y a quelques jours. Elle y défend une musique aussi froide que son casque blond polaire et son regard gris-bleu perçant : des synthés d’outre-tombe, une batterie syncopée et une voix caverneuse et sexy rappelant celle de Nico, la muse du Velvet Underground. Ou d’une Madonna sous Xanax. Gothique en diable, Molly Nilsson n’hésite pas à souhaiter la mort de quelqu’un, à avouer qu’elle se sent vide à l’intérieur ou à regretter le passé dans ses textes poignants et romantiques. Mais sa synthpop résonne un constant va-et-vient entre la neurasthénie et l’envie de fuir le spleen en le transformant en refrain entraînant. On danse et on pleure en même temps en écoutant les mélodies lo-fi (sous produites) et répétitives de la musicienne.
Celle qui s’est fait mieux connaître en 2011 quand le musicien américain expérimental John Maus a repris sa sublime chanson spectrale Hey Moon! se montre plus optimiste, se disant prête à se battre contre un trou noir, et très féministe dans ses textes sur son nouvel album, Extreme. Certaines chansons évoquent même Bruce Springsteen et Cindi Lauper tout en continuant à puiser leur force dans les tréfonds de la musique minimale et synthétique underground des années 80. Si elle évoque le patriarcat, l’empuissantement féminin, l’essence du succès et l’industrie de la musique sur ce nouveau disque, la chanteuse continue cependant d’entretenir le mystère autour de sa personne.
Fuyant les interviews – laissant sa musique parler pour elle – et peu présente sur les réseaux sociaux, on sait seulement qu’elle a démarré par la bande-dessinée et l’écriture avant de faire ses gammes sur le synthé d’un ami. Déménageant à Berlin en 2004, après avoir grandi à Stockholm, elle a travaillé au vestiaire du mythique Berghain pour financer sa carrière musicale. À travers ses visuels géométriques en noir et blanc, ses clips DIY et ses textes poétiques, on la devine intransigeante et farouchement indépendante. Depuis 2007, Molly Nilsson façonne sa musique en autarcie dans son studio berlinois, la distribue sur CD-R et sur vinyle en éditions limitées et se produit seule sur scène. Plaçant sa voix sur la piste lue par un CD ou un ordinateur, comme s’il s’agissait d’une séance de karaoké, elle assure le show en déployant un charisme rare. Comme une boxeuse perdue dans la pénombre…
L’une des rares fois où elle s’est confiée à la presse, la Suédoise a avoué en 2018 au Guardian considérer sa solitude ainsi que l’ennui comme des expériences nécessaires à son processus de création. Le monde et les informations allant bien trop vite pour elle, elle aime ne rien faire, ne pas être dans la productivité tant louée par la société et rêver éveillé. Pour plus de liberté artistique, l’artiste a aussi fondé son propre label, Dark Skies Association. Une éthique punk qui tranche avec la propension de la musique actuelle à se confondre avec le marketing et qui explique pourquoi Molly Nilsson suscite une ferveur quasi religieuse.
Extreme (2022) de Molly Nilsson, disponible en vinyle et sur Bandcamp.