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16 Rencontre avec Vincent Dedienne: “Je me suis censuré 1000 fois”

Rencontre avec Vincent Dedienne: “Je me suis censuré 1000 fois”

Cinéma

À l’affiche du long-métrage “Terrible Jungle” – en salle le 29 juillet – aux côtés de Catherine Deneuve, Numéro a rencontré le comédien Vincent Dedienne pour une interview à bâtons rompus entre autocensure, néo virilité, acteurs “has been” et pire souvenir de scène…

Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle” – © 2020 - Apollo Films. Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle” – © 2020 - Apollo Films.
Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle” – © 2020 - Apollo Films.

Vincent Dedienne s’attendait à une entrée confidentielle au Floreal, le café du 11e arrondissement où il a donné rendez-vous à Numéro. Mais son manager a préféré heurter un présentoir qui, en s’explosant par terre, a attiré l’attention des clients alentour. Tous ont arboré un grand sourire. Tous avaient l’impression de connaître personnellement le comédien moqueur qui écorche sans offenser et connaît aussi bien les planches que les arcanes de la télévision. Pas toujours une partie de plaisir : “Quand je faisais Les Bios interdites, je me suis retrouvé à potasser des fiches Wikipédia de gens dont je n’avais strictement rien à foutre. Qu’est ce que j’ai fait de si mal pour me taper la carrière de Nathalie Kosciusko-Morizet un dimanche matin ?

 

Sur son compte Instagram, Vincent Dedienne célèbre Jacques Villeret et Annie Girardot, s’esclaffe avec Catherine Frot et se présente comme un “exégète tarabiscoté”. Traduction : une sorte de commentateur inutilement compliqué. Sûrement la définition la plus adéquate pour le trentenaire qui a fait de la digression absurde sa marque de fabrique. Plus à l’aise seul qu’au sein d’une clique, il rejoint pourtant Alice Belaïdi, Jonatahn Cohen et une grande dame du cinéma français dans la comédie Terrible Jungle, premier long-métrage de David Caviglioli et Hugo Benamozig. L’histoire d’un jeune anthropologue naïf et pince-sans-rire qui s’égare dans la forêt amazonienne… Rencontre, ou plutôt discussion décontractée, avec Vincent Dedienne.

 

Numéro: Auriez-vous accepté cette comédie si Catherine Deneuve ne figurait pas au casting ?

Vincent Dedienne: Oui… Je trouvais le scénario vraiment très drôle ! Les deux réalisateurs ont un goût pour l’absurde que je partage. J’ai déjà refusé beaucoup de comédies que je ne trouvais pas très bien écrites vous savez. Et puis je pourrais très bien me passer du cinéma puisque je gagne ma vie en jouant mon spectacle. Vouloir exister, décrocher un premier rôle n’est pas une raison suffisante pour moi. En général, lorsque j’ai un doute, je demande conseil à mon agent. Mais il m’arrive aussi de faire lire des scénarios à mes vieux potes de l’école de théâtre de Saint Etienne. Ils ont toute ma confiance.

 

 

“Un jour j’ai fait une blague sur l’âge de Brigitte Macron à la télévision. En revoyant l’extrait, j’ai trouvé ça vraiment naze.”

 

 

La scène la plus improbable du film reste celle où vous téléphonez à Catherine Deneuve depuis les rayons d’un Decathlon…

[Rires] Je trouve ce magasin beaucoup plus hostile que la véritable jungle. Disons que Décathlon c’est un peu ma jungle à moi. J’ai invité mes parents à me rejoindre sur l’île de la Réunion pendant le tournage et j’ai donc eu la chance d’assister à une scène encore plus improbable: Catherine Deneuve qui tend une assiette en plastique à ma mère à la cafétéria…

 

On s’attend forcément à ce que vous soyez hilarant dans le privé depuis que vous avez raflé le Molière de l’humour. N’est-ce pas harassant ?

Ça me fout un gros coup de cafard quand j’y pense. Mais tout porte à croire que je ne suis pas drôle tout le temps et que je ne transforme pas tout en dérision. C’est en partie pour ça que j’ai arrêté les chroniques à la télévision : il faut être drôle chaque semaine. Quand ça fonctionne, les gens vous adorent mais dès que c’est un peu moins bon, on ne vous le pardonne pas. Un peu comme un joueur de football. C’est profondément injuste puisque l’exploit c’est d’être bon. Être moins bon c’est… normal.

Molière de l'Humour: Vincent Dedienne – Molières 2017

Vous qui connaissez aussi bien l’Opéra de Paris que la bande à Ruquier, pensez-vous qu’un transfert des Grosses Têtes au Ministère de la Culture soit un message d’espoir pour la jeunesse ?

Bon, c’est absolument catastrophique. Quoique ce n’est pas Roselyne Bachelot qui me pose le plus de problèmes dans le remaniement, au moins elle va au théâtre de son propre chef. J’ai vraiment l’impression que le Conseil des ministres est devenu une émission de C à Vous.

 

À part le gouvernement, qu’est-ce qui ne vous fera jamais esquisser un sourire ?

Le quotidien. Les choses que tout le monde observe. Ce n’est pas parce que quelqu’un formule mieux quelque chose que je sais déjà que cela m’amuse. En fait, je crois que ce qui n’est pas intime ne me fait pas rire. Tout ce qui est désincarné. Je recherche un esprit particulier, un coeur particulier. Jamais le constat que nous sommes tous les mêmes.

 

Plus jeune, étiez-vous le timide barbant que l’on a voulu dévergonder par le théâtre ou le môme surexcité que l’on a cherché à canaliser au plus vite ?

Plutôt la deuxième…[Rires] Mais j’ai moi-même choisi de faire du théâtre avant que quelqu’un n’ait l’idée à ma place. J’ai senti très tôt que j’avais envie de raconter des trucs. Il y a de fortes chances pour que mon entourage ce soit dit : “Vas-y fais du théâtre comme ça tu feras chier les autres.

 

À ce propos, le rédacteur de votre fiche Wikipédia mentionne “une enfance plutôt solitaire à Lugny”, l’adverbe était-il indispensable ?

Je suis fils unique ce qui apporte pas mal de solitude. Donc l’adverbe est à propos. Mais j’avais ma petite bande… dans les vignes en Saone-et Loire. J’ai d’ailleurs découvert le one-man show avant le théâtre et les pièces classiques.

 

 

“Il m’est déjà arrivé de sentir que j’avais un stock de larmes à expurger mais d’être incapable de m’en débarrasser.” 

 

 

Fanfaron populaire, bobo de chez Canal +, fan de cinéma d’auteur ultra niche… je confesse avoir encore du mal à vous positionner sur l’échiquier culturel.

J’aime ressembler à mes goûts. J’aime des auteurs de théâtre très confidentiels mais aussi des pièces de boulevard qui tachent. J’aime Thomas Ostermeir et Chantal Ladesou, j’aime Amanda Lear et Catherine Hiegel, j’aime Vincent Delerm et Michel Sardou, j’aime Nan Goldin et Cindy Sherman, je rêve de tourner pour François Ozon ou Christophe Honoré. Ce n’est pas une absence d’exigence, simplement de la curiosité. En revanche j’ai énormément de lacunes en cinéma américain et en pop anglaise…

 

Demandez conseil à vos 400 000 followers Instagram. D’où sortent-ils d’ailleurs ?

Aucune idée ! Marina Foïs m’a demandé comment je faisais pour avoir autant de followers et je lui ai proposé de faire des posts sur elle pour la faire monter. Maintenant elle m’a dépassé la garce.

 

Votre humour a-t-il changé depuis que le moindre écart est sanctionné par les internautes ?

Je me suis rendu compte qu’il était assez facile de stigmatiser par l’humour. La blague sexiste, ou grossophobe est immédiatement relevée, peu importe le contexte. Et je ne pense pas que ce soit une mauvaise chose. Lorsque j’étais chroniqueur, je m’imposais toujours plusieurs relectures pour vérifier que je n’avais pas laisser traîner une blague un peu facile sur les vieux et les homos.

 

Vous vous censurez depuis le début !

Oh oui, je me suis censuré 1000 fois ! On ne m’a jamais demandé d’enlever quoi que ce soit mais je m’autocensurais à chaque chronique. Un jour j’ai fait une blague sur l’âge de Brigitte Macron à la télévision. En revoyant l’extrait, j’ai trouvé ça vraiment naze. C’est une blague que tout le monde fait toutes les semaines à la radio, au bistrot et dans chaque dîner. Et surtout, ce n’est pas particulièrement drôle…

Alice Belaïdi et Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle”– © 2020 - Apollo Films. Alice Belaïdi et Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle”– © 2020 - Apollo Films.
Alice Belaïdi et Vincent Dedienne dans “Terrible Jungle”– © 2020 - Apollo Films.

À la télévision, je vous ai entendu lancer d’une voix sinistre: “Je joue la comédie dès que quelqu’un me regarde.” Jouiez-vous la comédie au moment de le dire ?

[Rires] Vous êtes bien placé pour savoir que l’on a toujours une posture en interview. Toute ma vie j’ai vu apparaître quelqu’un d’autre en rentrant chez moi. Quelqu’un que je suis le seul à connaître et qui n’a pas existé dans la journée. C’est surement pour cela que je veux vivre seul toute ma vie. Porter un masque, aussi fin soit-il, reste une forme de mensonge. C’est peut-être un mal pour un bien puisque celui que je dissimule aux autres n’est certainement pas la meilleure version de moi-même. J’aime la comédie, j’aime le mensonge, sans perversion narcissique je vous rassure.

 

Sans vouloir réveiller de vieux démons, quel est votre pire souvenir de scène ?

Une de mes premières représentations parisiennes au Petit Hebertot. Mon producteur a fait venir tous ses amis et j’ai joué dans une salle pleine de vedettes. Il y avait Gérard Jugnot dans un coin et les Grosses Têtes au complet. C’était horrible…

 

Parce que vous n’étiez pas drôle ?

Je pense qu’au début j’étais pas mal. C’était un peu froid, ils riaient poliment.  Mais ça allait de pire en pire. Il y avait un étrange effet d’optique qui me faisait fixer une touffe blanche au milieu de la salle: les cheveux de Line Renaud.

 

 

“Vincent Lacoste a une manière d’être un homme que je trouve complètement débarrassée de toute évocation de la masculinité. Il y a une nouvelle génération d’acteur dont la virilité passe par les larmes.”

 

 

Vous qui côtoyez désormais la jet-set, avez-vous dégoté la recette pour ne pas devenir has been ?

Il n’y a malheureusement pas de recette. Et beaucoup de gens has been ne le méritent pas. Être capricieux, prétentieux et colérique vous permet rarement de durer. Je n’ai jamais rencontré d’ordure superstar : Nathalie Baye, Catherine Deneuve, Jean-Pierre Bacri, Sabine Azéma, Thierry Ardisson… Non oubliez Ardisson.

 

La télévision est donc si infernale qu’on le raconte…

Pas du tout. Je m’attendais à ce que la télévision soit un champ de bataille mais, étonnamment, j’ai ressenti un incroyable esprit d’équipe. Niveau déception c’est plutôt un spectacle qui me vient en tête : Ervart – Ou les derniers jours de Frédéric Nietzsche.

 

C’était vous ? Je ne vous avais pas reconnu sur l’affiche !

Tant mieux ! Il y a un truc qui s’est mal passé entre les acteurs et le metteur en scène. Le texte était bien mais nous n’avons pas réussi à en tirer grand chose. Lorsque des acteurs sont malheureux, mal dirigés et pas vraiment en confiance, il passent en mode “survie”. C’est une réaction très égoïste qui consiste à tirer la couverture à soi. Mais ce sont surtout les mauvais acteurs qui font ça. Les bons le sont parce qu’ils sont généreux et attentifs aux autres.

 

Une de mes collègues lorgne sur vous depuis un bon moment mais croit savoir qu’elle n’est pas vraiment votre genre…

Merde ! En effet, ça me paraît compliqué. Quoique ça dépend, montrez-moi une photo…

 

En 2017 vous figuriez parmi les finalistes du grand tournoi de Garçon Magazine : “Qui est la personnalité LGBT de l’année ?” Peut-on parler de consécration ?

[Rires] Non seulement ils ont dû mettre tout le monde mais en plus je n’ai certainement pas gagné…

 

Malheureusement non c’est Jean-Luc Romero-Michel qui a raflé le trophée imaginaire. Je ne suis pas lecteur mais l’article suivant a attiré mon attention :  “Oups, j’ai couché avec mon pote hétéro, que dois-je faire ?”

Ce qui est drôle c’est que le “oups” induit une glissade [Rires] Je fais quoi ? Je me la pète évidemment ! Je me la raconte pendant des semaines. Surtout que je n’ai jamais réussi… J’ai trop peur du râteau. Je ne suis pas un grand séducteur.

 

Si vous pouviez lâcher la main de votre concubin pour rejoindre l’un de vos fantasmes dans un club interlope sans que votre amoureux ne puisse se plaindre, quels serait vos trois jokers ?

Xavier Dolan. Je le trouve magnifiquement beau et j’adore l’accent québécois. Oui je sais je suis le seul. Je suis persuadé que Dolan doit avoir une personnalité très difficile à gérer. Ça doit pas être fastoche, donc ça m’excite un peu. C’est un homme très clivant mais je suis prêt à séduire ses détracteurs un à un. Sinon pour mon deuxième joker je vais dire Hervé Guibert si je pouvais le ressusciter et en troisième l’acteur Neil Patrick Harris.

 

Vous pleurez très rarement. N’est-ce pas un paradoxe pour un comédien cinéphile ?

Il m’est déjà arrivé de sentir que j’avais un stock de larmes à expurger mais d’être incapable de m’en débarrasser. Dans ces cas là, je vais au cinéma pour fondre en larmes. J’ai besoin de la fiction pour pleurer. Il faut que je lutte contre ça, ne pas pleurer c’est quand même un peu suspect vous ne croyez pas ?

 

Certes, mais vous savez bien qu’un homme ne pleure pas…

Oui j’avais oublié ce paramètre. Heureusement que ça change, surtout dans le cinéma français où les acteurs masculins ne s’embarrassent plus de leur virilité. Vincent Lacoste a une manière d’être un homme que je trouve complètement débarrassée de toute évocation de la masculinité. Il n’a pas l’air de se poser de question. Il y a toute une nouvelle génération d’acteur dont la virilité passe par les larmes. Je suis profondément agacé lorsque je sens les garçons préoccupés par l’idée qu’ils ont une bite entre les jambes et qu’il faut que ça se sache. Ça me fait profondément chier.

 

Terrible Jungle, de David Caviglioli et Hugo Benamozig, en salle le 29 juillet.

Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine, en salle le 26 août.

Vincent Dedienne présentera son nouveau spectacle à partir de février 2021.