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Numéro
20 Catherine Deneuve

Catherine Deneuve, son interview vérité avec l’artiste Claude Lévêque

CULTURE

Alors que sort son film “Sage Femme” avec Catherine Frot, Numéro revient sur son entretien avec Catherine Deneuve et Claude Lévêque. Les deux mythes français reviennent sur leurs passions communes et leur attraction secrète pour... le jardinage.

Catherine Deneuve et Claude Lévêque à la galerie Kamel Mennour à Paris, sous un néon de l’artiste, The World is Yours, (2013), néon blanc, 19 x 116 cm (©ADAGP Claude Lévêque). Catherine Deneuve et Claude Lévêque à la galerie Kamel Mennour à Paris, sous un néon de l’artiste, The World is Yours, (2013), néon blanc, 19 x 116 cm (©ADAGP Claude Lévêque).
Catherine Deneuve et Claude Lévêque à la galerie Kamel Mennour à Paris, sous un néon de l’artiste, The World is Yours, (2013), néon blanc, 19 x 116 cm (©ADAGP Claude Lévêque).

Numéro : Je crois savoir que vous vous connaissez déjà. À quelle occasion vous êtes-vous rencontrés ?

Catherine Deneuve : Pour parler jardin !

 

Claude Lévêque : Nous nous étions croisés à quelques reprises, et j’avais fini par inviter Catherine à Nevers afin de lui montrer les lieux de mon enfance. J’écrivais à l’époque un livre sur ma famille, de mon enfance jusqu’à mon adolescence.

 

Catherine Deneuve : Nous avions découvert de petits potagers assez étonnants. Je m’en souviens très bien.

 

Claude Lévêque : Oui, au bord de la nationale, là où je suis né. Un endroit auquel je suis très attaché. Nous avions passé une journée ensemble. Une expédition ! [Rires.] Nous nous sommes rendus à la maison de mon grand-père qui faisait partie de la Résistance. J’ai un peu raconté mon histoire. Et puis, très vite, nous nous sommes intéressés aux plantes.

 

Catherine Deneuve : Quand on regarde la nature, on en deviendrait presque croyant. C’est une perfection. J’ai rarement vu des créations imparfaites dans la nature. Même les plantes qui développent ces excroissances étranges, comme des verrues, restent très belles. C’est toujours beau une plante. Il y en a que j’aime moins que d’autres. Mais rien n’est moche. Le végétal est une perfection. La nature, c’est le contraire des êtres humains. Plus ça vieillit, et plus c’est beau.

 

Possédez-vous, comme Claude Lévêque, une maison de campagne ?

Catherine Deneuve : J’habite Paris mais je vais dans ma maison de campagne très souvent, sur les rives de l’Eure. Depuis mon enfance, la campagne a toujours été pour moi liée à ce mélange de végétation et d’eau car mes parents avaient repris un ancien hangar au bord de la Seine. La lumière est si différente dès que l’eau est présente...

 

Claude Lévêque : Elle est magique. Je connais cela avec la Loire qui passe à trois kilomètres de chez moi. Une Loire sauvage, pleine d’îles...

 

Catherine Deneuve : L’Eure n’est pas sauvage mais elle est privée. Ce qui m’impose de nombreux devoirs, comme l’entretien des berges. Et vous n’imaginez pas tout ce qui peut venir détruire les berges. Oh ! les animaux !

 

 

“Quand on regarde la nature, on en deviendrait presque croyant. C’est toujours beau une plante. Le végétal est une perfection. La nature, c’est le contraire des êtres humains. Plus ça vieillit, et plus c’est beau.” Catherine Deneuve

 

 

 

Claude Lévêque : Ah ! les castors ! [Rires.]

 

Catherine Deneuve : Et les ragondins ! C’est terrible les ragondins ! Et qui dit rivières dit poissons, oiseaux... Et la nuit les grenouilles. Il y a toujours du bruit.

 

Claude Lévêque : Chez moi ce sont plutôt les bruits de la forêt. Chouettes, pics-verts, chevreuils, sangliers... J’adore me rendre dans la forêt au cœur de la nuit. C’est un tumulte. C’est inquiétant. Mais c’est un plaisir. Un fracas !

 

Catherine Deneuve : J’ai un couple de chevreuils chez moi. On les aperçoit souvent l’été. Ils viennent boire à l’étang. Et ils ont eu des petits l’année dernière. C’était très mignon. Je pense toujours à leur mettre un gros bloc de sel l’hiver. Mais ils font beaucoup de dégâts. Il faut penser à protéger ses plantations... Mais pour le moment, je profite de l’été. Une saison de contemplation. Les rosiers, c’est formidable les rosiers ! Et les tomates ! C’est tellement de travail que chaque année je me dis que je vais arrêter. Mais je n’y arrive pas. Certaines variétés sont si extraordinaires. Je pourrais en manger tous les jours. Les tomates, c’est assez facile à préparer. Surtout quand elles sont bonnes.

 

Claude Lévêque : Un peu de vinaigre, un peu de sel...

 

Catherine Deneuve : Jamais de vinaigre dans les tomates ! Ça détruit le goût. Je les prépare à l’italienne : de la mozzarella, un filet d’huile d’olive, une gousse d’ail coupée en deux, du poivre, du piment d’Espelette et du basilic. Haché aux ciseaux ! Surtout pas à la machine !

 

Claude Lévêque : Je les savoure parfois juste avec du sel...

 

Catherine Deneuve : Oh ! oui. Quand elles sont bonnes...

 

Êtes-vous également sensibles aux odeurs ?

Catherine Deneuve : Même si je suis une grande fumeuse, j’ai un très bon nez. Je me souviens très bien, lorsque j’étais jeune, d’une odeur particulière, mêlant l’œillet et l’asphalte. Il devait s’agir d’un désinfectant.

 

Claude Lévêque : Je crois m’en souvenir également. Une odeur de ferraille...

 

Catherine Deneuve : Exactement. Il y a une plante méditerranéenne qui me rappelle cela, l’Helichrysum. Une odeur de sable et de feu. Comme le maquis corse. Ah ! les végétaux, ça nous emmène très loin. Je me souviens d’avoir acheté ce petit livre très étonnant et très pointu sur la végétation dans les villes. Je suis fascinée par ces plantes qui poussent sur un centimètre dans une fissure du béton. Hier, j’étais à la gare. Je rentrais à Paris et je me suis arrêtée à Rennes pour fumer une cigarette. Quel ne fut pas mon plaisir de découvrir, entre les traverses en bois du chemin de fer, au milieu des gros cailloux et en face du quai, une plante argentée magnifique. À Paris, je passe mon temps à regarder ces phénomènes, cette puissance des végétaux qui passent à travers tout. Et je ne résiste jamais à l’idée de les cueillir. Sauf là, où j’ai eu peur de me faire engueuler en me penchant sur les rails.

 

Claude Lévêque : Cela me fait penser à une expérience olfactive que j’ai réalisée pour la première Nuit blanche à Paris. J’avais découvert un lieu abandonné, inconnu de tous. J’ai travaillé avec un très grand nez pour restituer, sous la forme d’un parfum, l’odeur de cet espace : la graisse, la rouille mais aussi l’urine puisqu’il était plus ou moins squatté. Pour le visiteur, l’expérience consistait à traverser un espace dans le noir avec pour seul repère ce parfum enivrant et hypnotique. La question de la mise en scène est essentielle dans mes œuvres. Créer une ambiance, réfléchir au parcours du visiteur. La question de l’échelle des choses, de leur hauteur et de leur position conditionne le parcours et la réception du spectateur. Parfois, je pense que j’aurais aimé faire du cinéma. Pas acteur évidemment ! [Rires.]

 

 

“C’est l’ambiguïté du sens qui fait que l’on est attiré par quelque chose. Derrière l’aspect féerique de mes néons, quelque chose se révèle, la phrase que je dessine avec la lumière apporte une inquiétude, de l’angoisse.” Claude Lévêque

 

 

 

L’un de vos néons reprend une citation d’un morceau de Nina Simone, Tomorrow Is My Turn. Vous êtes tous les deux de grands passionnés de musique.

Catherine Deneuve : Ah ! Tomorrow is my turn... [en chantant]. Nina Simone est une chanteuse que j’aimerai toute ma vie. Vous me direz, pour le temps qu’il me reste ! [Éclats de rire.] J’étais allée la voir... Pas très aimable, la dame. Mais quelle voix ! J’ai retrouvé la même émotion avec Amy Winehouse. À Cannes, en voyant le documentaire qui lui est consacré, j’ai pris conscience de la tristesse et de la puissance de ses paroles. Jusqu’alors, j’avais surtout été subjuguée par sa voix.

 

Claude Lévêque : Je suis connu pour mon amour du rock dur, du hard-rock. J’aime ces musiques qui me vident la tête, comme le jardinage. Elles me donnent de l’énergie. Mais je n’aime pas que ça. J’écoute de la musique classique, et j’ai une grande passion pour la variété française, Claude François, Trenet... Je redécouvre Trenet en ce moment.

 

Catherine Deneuve : Ah ! mais j’aurais dû vous apporter l’album de reprises que vient de sortir Benjamin Biolay! Ça va vous plaire...

 

Claude Lévêque : Ce n’est pas évident de chanter Trenet... C’est certainement de la nostalgie, mais j’adore aussi Sylvie Vartan. Son côté dramatique...

 

Catherine Deneuve : Elle a une voix dramatique, c’est vrai. Une voix très grave. Moi, j’aime beaucoup les chansons de Françoise Hardy. J’aime beaucoup sa voix. Enfin, quand elle chante, pas quand elle parle.

 

Claude Lévêque : Évidemment ! [Rires.]

 

Catherine Deneuve : Je me souviens encore très bien d’une scène avec François Truffaut. Nous devions tourner dans une cave où j’étais censée retrouver mon mari. François me demandait alors, pour des raisons de mise en scène, de traverser la cave et de revenir vers lui. À l’époque, ce déplacement me paraissait véritablement n’avoir aucun sens. Je le lui ai dit. Il m’a répondu, sur un ton assez ferme : “Peut-être, mais c’est un déplacement dont j’ai besoin, moi. Si j’avais besoin de faire faire des choses normales, je prendrais des gens normaux, pas des acteurs professionnels.” Je dois dire que cette réflexion m’a beaucoup servi par la suite. J’ai compris que se mouvoir devant la caméra n’était pas la même chose que se mouvoir devant une personne. La caméra nécessitait une mise en scène à laquelle je devais me plier. D’ailleurs, je suis une actrice qui aime être dirigée.

 

Quel regard portez-vous sur l’œuvre de Claude Lévêque ?

Catherine Deneuve : Son aspect insolite et poétique m’a tout de suite frappée. Une chose que je trouve assez particulière dans vos œuvres est leur manière d’attirer immédiatement le regard. Puis on découvre évidemment une histoire plus compliquée. Je suis attirée par les choses qui n’ont pas toujours l’apparence qu’elles semblent avoir. Ou qui peuvent évoluer vers un mystère ou un secret. C’est le cas de vos œuvres. J’aime beaucoup les secrets. Et je les respecte beaucoup. Je ne tiens pas forcément à ce qu’on les révèle.

 

Claude Lévêque : Oui, la partie enfouie. J’aime beaucoup cela aussi. C’est l’ambiguïté du sens qui fait que l’on est attiré par quelque chose. Bien sûr, lorsque je travaille avec la lumière, comme avec mes néons, il y a un aspect féerique. Et quelque chose se révèle, la phrase que je dessine avec la lumière apporte une inquiétude, de l’angoisse.

 

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