Pourquoi les séries sur la mode nous fascinent autant

Saint Laurent, Coco avant Chanel, Personal Shopper… On avait l’habitude, ces dernières années, de voir fleurir des films et des documentaires (souvent réussis) sur la mode. Mais en 2024, ce sont les séries – de qualité – qui étoffent la tendance.

The New Look, Becoming Karl Lagerfeld… Les séries sur la mode n’ont jamais été aussi tendance

En effet, en quelques mois, on a pu découvrir la série The New Look (racontant la vie de Christian Dior) sur Apple TV+ ainsi que Cristóbal Balenciaga et Becoming Karl Lagerfeld, toutes deux disponibles sur Disney+. Depuis le 20 septembre, on peut se laisser tenter par La Maison, qui retrace la chute et la résurrection d’une maison de mode fictive, sur Apple TV+. Enfin, une série sur la famille Gucci a été annoncée… Mais pourquoi l’univers de la couture intéresse autant les producteurs, les réalisateurs, les acteurs et les spectateurs ?

Des costumes flamboyants

Comme l’excellente série Halston (disponible sur Netflix depuis 2021) l’avait déjà prouvé, tourner une série sur la mode signifie, en raison de l’essence même de cet art, qu’elle sera esthétique. Et télégénique. Le couturier recherche souvent la perfection.

Alors, les réalisateurs savent qu’ils pourront captiver le public en dévoilant les secrets de fabrication : la confection d’une robe dans un atelier ou la réalisation d’un croquis par un créateur inspiré. Reproduire les audacieuses créations des couturiers ainsi que leurs propres vêtements donne aussi lieu à des looks et à des défilés aux airs de tableaux une fois montrés à l’écran. Des tableaux qui vont donner le pouls d’une époque, avec ses tendances et son ambiance.

Pascaline Chavanne, créatrice des (3000) costumes de la brillante série Becoming Karl Lagerfeld, nous le confirme : “J’ai observé de nombreuses photos et j’ai regardé beaucoup de documentaires. L’idée, ce n’était pas de reproduire à l’identique des tenues, mais plutôt de s’inspirer de tout ça pour traduire un état d’esprit. On voulait raconter toute la vie parisienne qui gravitait autour de lui dans le milieu de la mode des années 70, cette atmosphère nocturne vibrante qui a été une source d’inspiration pour lui.”

Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent, Coco Chanel… Des créateurs hauts en couleur

Derrière les silhouettes féeriques, les hommes qui les imaginent s’avèrent eux aussi follement romanesques. Comme nous l’explique Théodore Pellerin, l’acteur qui joue avec brio le dandy Jacques de Bascher dans la série Becoming Karl Lagerfeld : “Les personnages (Karl Lagerfeld, Yves Saint Laurent, Pierre Bergé…) m’intéressaient beaucoup. Ce sont tous des monstres d’excès, d’ego et d’amour. Il y avait plusieurs grandes opportunités pour s’ancrer dans toutes sortes d’émotions différentes.”

L’acteur Daniel Brühl, formidable interprète de l’ancien directeur artistique de Chanel dans Becoming Karl Lagerfeld nous confie avoir été attiré par le projet de série en raison de la personnalité complexe de l’immense couturier : “Pour moi, c’était un cadeau, en tant qu’Allemand, d’incarner Karl Lagerfeld avec toutes les facettes que cet homme avait ainsi que ses contradictions et ses contrastes. C’était un grand intellectuel, un homme si cultivé et d’un autre côté, une icône de la pop culture, très similaire à Andy Warhol. C’est quelqu’un qui a créé un personnage et dans la série, on découvre qui était la personne avant de devenir le fameux personnage. On ouvre certaines portes et chemins plus intimes et privés.”

L’acteur ajoute : “Quand on pense au couturier, on a en tête un personnage “coincé”, distant et froid. Mais c’est un homme qui avait un grand sens de l’humour. En Allemagne, ce n’est pas très normal d’avoir un tel sens de l’humour. Dans la ville où j’ai grandi, à Cologne, mais surtout le Nord, cette ironie, cet état d’esprit que j’ai toujours trouvé très drôle et fascinant, n’était pas commun. Son sens de l’humour ressemblait à une armure : il le protégeait et l’aidait à se défendre contre son environnement.”

“Je trouvais intéressant de m’attaquer à un rôle de personne contradictoire (Coco Chanel), d’essayer de comprendre et de sentir qui elle était.” Juliette Binoche

La géniale Juliette Binoche a elle aussi été captivée par le fait d’incarner une Gabrielle Chanel dans The New Look dans tout ce qu’elle a de plus controversé. Elle nous raconte : “Je trouvais intéressant de m’attaquer à un rôle de personne contradictoire, d’essayer de comprendre et de sentir qui elle était. Ça m’intéressait, de tenter de saisir, humainement, sa personnalité.  Il y a très peu d’interviews filmées d’elle, et quand on regarde le petit film qui existe, dans lequel elle parle, elle a une façon d’être qui est quand même très spéciale. Il fallait comprendre quels étaient ses mécanismes, comment elle s’est fabriquée cette carapace de protection, d’indépendance, de libération, mais aussi, comment elle s’est enfermée dans des peurs.”

Tempérament de feu, angoisses, parfum de scandale, grosses sommes d’argent dépensées, vies et personnalités complexes… Tout est là pour captiver le spectateur. Que ce soit les répliques bien senties et l’idylle compliquée de Karl Lagerfeld avec Jacques de Bascher, l’amant nazi de Gabrielle Chanel (mise en scène dans la série The New Look) ou le destin tragique de la sœur résistante de Christian Dior, la matière scénaristique est dense. D’autant plus lorsqu’elle croise la grande histoire (la Seconde guerre mondiale pour The New Look).

Les séries sur la mode mettent en scène un grand nombre de rencontres importantes, de trahisons mais aussi de rivalités (notamment entre couturiers, à l’image de celle existant entre Karl Lagerfeld et Yves Saint Laurent). Bref, des scènes tragi-comiques qui offrent au spectateur une forme catharsis. Car la mode rejoue souvent en grand ce qui se passe en petit dans nos vies.

Une plongée dans les coulisses des grandes maisons de mode

Et si un format long était plus adapté pour raconter les folies de l’univers de la mode sous toutes ses coutures ? Contrairement à la plupart des documentaires et des films sur la mode, la série permet d’aller plus loin que l’image glamour renvoyée par les grandes maisons de mode. Car certes, ces dernières font rêver avec leurs défilés grandioses, leurs muses-stars et leur goût pour l’excès.

Mais il se cache derrière ces machines à fantasmes des réalités humaines poignantes peu racontées officiellement. C’est ce qui a passionné Daniel Brühl dans Becoming Karl Lagerfeld : “Le cœur de la série est une grande histoire d’amour entre lui et Jacques de Bascher. Un côté que je ne connaissais pas trop. Là, je me suis dit que c’était une belle nouvelle expérience pour moi, quelque chose que je n’avais jamais fait avant dans ma vie professionnelle.”

Arnaud Valois, qui incarne un Yves Saint Laurent torturé dans la même série insiste aussi sur ce point : “Ce qui m’a intéressé, c’était de montrer l’envers du décor de ces icônes de mode qui sont parfois mises sur un piédestal. Quels hommes de chair et de sang ils étaient dans la vie.”

Jacques de Bascher, Paloma Picasso… Une galerie de personnages (pas si) secondaires très inspirants

Une série sur une grande figure de la mode promet aussi de dévoiler une galerie de personnages flamboyants souvent méconnus du grand public, tels que Jacques de Bascher ou Paloma Picasso. Et ces personnages ont eu une importance immense sur les créateurs qu’ils côtoyaient.

L’actrice Nine d’Urso, qui incarne la mannequin Colette dans la série Cristóbal Balenciaga explique à Numéro comment la mystérieuse muse du couturier a exercé une influence sur ces créations : “Le peu de documentation que l’on a sur elle se trouve dans les carnets de la première d’atelier, qui n’en disait pas toujours beaucoup de bien d’ailleurs. Elle était très exigeante et professionnelle… Mais elle a eu un impact sur la forme des vêtements imaginés par Cristóbal Balenciaga, car elle avait le dos voûté et l’os iliaque très avancé, ce qui lui a inspiré ses silhouettes en S, qui sont comme un hommage à sa physionomie.”

Jeanne Damas qui joue Paloma Picasso dans Becoming Karl Lagerfeld nous rappelle aussi son impact sur Yves Saint Laurent : “Elle s’habillait en vintage, avec des vêtements des années 40, ce qui ne se faisait pas du tout dans les années 70. Ce style vraiment avant-gardiste et personnel a d’ailleurs beaucoup inspiré Yves Saint Laurent notamment pour sa collection Libération, qui a été présentée lors d’un défilé en 1971 et qui a fait scandale à l’époque. Paloma Picasso était une icône et une muse aux yeux des créateurs qu’elle fréquentait.”

Ce sont aussi ces figures moins célèbres mais passionnantes qui font l’attrait des séries sur la mode et les imposent comme des programmes taillés pour plaire autant aux fans de haute couture qu’aux non initiés.

The New Look (2024) de Todd A. Kessler, disponible sur Apple TV+. Becoming Karl Lagerfeld (2024), créée par Isaure Pisani-Ferry, Jennifer Have et Raphaëlle Bacqué, disponible sur Disney+. Cristóbal Balenciaga (2024), créée par José Mari Goenaga, Jon Garaño et Aitor Arregi, disponible sur Disney+. La Maison (2024) de Fabrice Gobert et Daniel Grou, disponible sur Apple TV+.