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3 pièces sexy et scandaleuses imaginées par Yves Saint Laurent, entre nudité et transparence
Jusqu’au 12 novembre, Yves Saint Laurent (1936-2008) est au cœur d’une exposition à la Cité de la dentelle et de la mode de Calais, qui met en lumière son approche de la transparence. Premier volet d’un diptyque qui présentera son second chapitre en 2024, “Yves Saint Laurent : Transparences” explore non moins de 40 années de création, de l’ouverture de sa maison en 1961 aux dernières années de sa carrière. Focus sur 3 de ses pièces les plus sulfureuses.
Par Erwann Chevalier.
1. Avec le smoking féminin, Yves Saint Laurent imagine la scandaleuse blouse transparente
“Rien n’est plus beau qu’un corps nu” déclarait un jour Yves Saint Laurent. En 1966, cinq ans après avoir ouvert sa propre maison de couture, le créateur présente déjà sa nouvelle vision de la femme, libérée et sensuelle, grâce à une série de robes qui laissent largement se deviner les courbes du corps, décolletés plongeants, haut du dos dégagé ou encore bras nus visibles à travers les tissus légers à l’appui.
Mais, c’est deux ans plus tard qu’un vent de provocation souffle véritablement sur les créations du couturier, lorsque ce dernier dévoile une collection haute couture printemps-été 1968 largement inspirée du vestiaire masculin. Si sa transposition du smoking, par essence destiné aux hommes, à la garde-robe féminine reste à ce jour l’un de ses plus grands tour de force, il dévoile dans cette même collection un ensemble constitué d’une veste longue et d’un bermuda avec une ravissante blouse noire entièrement transparente. Les charmes féminins sont exaltés tout autant que la poitrine y est dévoilée.
Baptisée “see-through blouse” par la presse américaine, cette pièce provoque chez les clientes et les journalistes des réactions mitigées. Certaines expriment leurs réserves sur la possibilité de porter cette pièce au quotidien, d’autres y voient une nouvelle forme d’élégance, dûe notamment à la fluidité de sa coupe et la qualité sa matière. À ses détracteurs, Yves Saint Laurent répond : “Il faut s‘amuser un peu. Je le dis de manière sérieuse. Je montrerai probablement plus de robes nues pour la saison prochaine. C’est une mode qui doit venir”.
À l’ère de la révolution sexuelle et des manifestations de mai 68, qui s’attaquent aux mœurs les plus conservatrices, le couturier s’affranchit en effet des carcans étriqués d’une mode encore sage, à l’image de Mary Quant avec la mini-jupe ou encore de l’Américain Rudi Gernreich, inventeur du monokini. D’ailleurs, si la see-through blouse ne fait pas l’unanimité dans les hautes sphères de la mode, elle rencontre un grand succès auprès de la jeunesse, qui ira se la procurer à la boutique Yves Saint Laurent Rive Gauche, ouverte en 1966.
2. Le corps entier dévoilé dans une robe portée par Zizi Jeanmaire
1968 restera une année marquante dans l’histoire d’Yves Saint Laurent : après une collection haute couture printemps-été mémorable, le défilé automne-hiver de la maison sera lui aussi placé sous le signe de la fluidité et de la séduction. Un choix surprenant pour une collection hivernale, dont certains modèles sont pourtant devenus immédiatement une référence.
Parmi eux, on retrouve la nude dress, une robe du soir en mousseline de soie noire ornée de plumes d’autruches qui ceinturent les hanches pour dissimuler habilement les parties intimes. Pour parfaire ce look, une fine ceinture-bijou fermée par deux têtes de serpent en bronze doré vient s’enrouler à même la peau.
Telle une Ève contemporaine, la mannequin Danielle Luquet de Saint Germain s’élance sur le podium “nue” dévoilant ses courbes sensuelles et assumées en dessous du tissu éthéré. “Mon métier est le dialogue amoureux de cette femme nue avec tous les sortilèges des enroulements de mes tissus”, soulignait d’ailleurs le couturier avec poésie.
À l’époque de sa sortie, peu de femmes osent porter cette création et seules certaines bravent leur pudeur. La danseuse de ballet, chanteuse, meneuse de revue et comédienne française Zizi Jeanmaire en fait partie, lorsqu’elle se présente un jour sur le plateau d’une émission télévisée habillée de ce scandaleux nude look.
Robe du soir vaporeuse aux lignes souples ou vêtement de scène ravageur, cette pièce évoque l’intérêt manifeste d’Yves Saint Laurent pour l’anatomie autant que la puissance dramatique du vêtement, à travers lequel le timide créateur révèle peu à peu son irrévérence et son goût pour la provocation. Suites des critiques reçues sur cette robe, il déclare d’ailleurs au média France-Soir : “j’en ai assez des seins couverts de marguerites !”. Manière d’avouer son désir de s’éloigner de la haute couture traditionnelle et sa pléthore de robes florales pour marquer l’entrée dans une nouvelle ère de la mode.
3. La robe dos nu en dentelle, une pièce iconique capturée par Jeanloup Sieff
Réalisée par le photographe français Jeanloup Sieff en septembre 1970, l’image est depuis devenue iconique : en noir et blanc, on y une femme de dos, turban sur la tête et corps enveloppé dans une robe noire qui dévoile sa chute de reins à travers le dessin d’une dentelle d’exception. Nullement surprenant que la Cité de la dentelle et de la mode ait choisi cliché comme affiche de son exposition “Yves Saint Laurent : Transparences” : il met en scène l’une des pièces exceptionnelles du couturier, mettant aussi bien en exergue son goût pour la nudité que son amour du savoir-faire.
Très sage lorsqu’on la voit de face, par son velours noir profond, ses manches longues couvrantes et la rangée de boutons qui ferment son col très haut, cette robe du soir de la collection haute couture automne-hiver 1970 se révèle plus scandaleuse qu’elle n’y paraît lorsqu’on découvre un dos entièrement en dentelle noire à l’effet tatouage. La finesse et les détails précis de ce tissu seconde peau délicat, conçu dans les fameuses usines de dentelle de Calais, colle au corps si bien qu’il ne fait qu’un avec le modèle et dessine une vertigineuse ouverture des épaules jusqu’à la naissance des fesses.
Auteur du célèbre portrait d’Yves Saint Laurent posant complètement nu en 1971, Jeanloup Sieff immortalise ainsi un an plus tôt cette robe sur le corps de la mannequin et muse Marina Schiano dans un halo de lumière qui souligne le motif dessiné par la dentelle. Par sa tenue et sa posture, la modèle italienne posant de dos n’est pas sans rappeler Kiki de Montparnasse photographiée en 1924 par Man Ray (Le violon d’Ingres). Chef-d’œuvre de l’artiste surréaliste, la célèbre image de la jeune Parisienne nue avec deux ouïes de violon dessinées dans le creux des reins, pour imiter la silhouette du violoncelle, a hanté le couturier, qui envisageait à l’origine de la citer plus explicitement, comme le démontrent ses dessins préparatoires.
Une chose est sûre, le cliché de Jeanloup Sieff a largement contribué à la popularité de cette robe et de celle du couturier, médiatisant son approche de la nudité dont continueront d’attester ses futures collections. En témoigne le défilé Libération, présenté en 1996 et inspiré par l’irrévérence des années 60, où l’on retrouve notamment une robe grand soir très sobre sur le devant et au dos totalement découvert. À l’image de celle pièce culte de 1970.
“Yves Saint Laurent : Transparences”, jusqu’au 12 novembre 2023 à la Cité de la dentelle et de la mode, Calais.