20 nov 2024

Diamant Brut, Culte… Comment la télé-réalité est sortie du purgatoire

Avec la série Culte, diffusée sur Prime Video et consacrée aux coulisses de l’émission Loft Story et le film d’auteur Diamant brut, qui s’intéresse à une jeune fille désirant à tout prix faire partie d’un show mêlant fiction et vraie vie, la télé-réalité n’a jamais été aussi hype. Mais il aura fallu quelques années (et quelques pionniers) pour que ce genre télévisuel kitsch et voyeuriste sorte du purgatoire…

Marie Colomb dans la série Culte (2024) © Fanta Kaba.
Marie Colomb en Loana dans la série Culte (2024) © Fanta Kaba.

Quand les écrivains s’emparent du sujet épineux de la télé-réalité

Ce qui est intéressant dans la téléréalité qui a marqué la fin de l’âge d’or de la télé, c’est qu’elle a été vue immédiatement comme l’effondrement de notre civilisation. Loana est dans la piscine et les barbares aux portes de Paris ! Aucune forme artistique n’a été associée au déclin aussi instantanément”, notait l’écrivain Aurélien Bellanger dans les colonnes du média Technikart en 2021.

Pour beaucoup, la télé-réalité, née en 1971 aux États-Unis avec l’émission An American Family (Une famille américaine), constitue le degré zéro de la culture. Cette forme télévisuelle qui suit le quotidien d’anonymes est un guilty pleasure fait de clashs, de romances montées de toutes pièces et de discussions de PMU dont on n’ose pas parler en société. Pire, celle que l’on surnomme la télé-poubelle peut-être perçue comme voyeuriste, trash, vulgaire et sexiste, comme en témoigne le traitement très sexualisé dont a fait l’objet Loana dans l’émission, très décriée, Loft Story. Le Big Brother français qui a hypnotisé la France jusqu’à créer un premier confinement. Alors que la revue Les Cahiers du cinéma classait Loft Story parmi les meilleurs films de l’année 2001, des spectateurs choqués attaquaient, munis de projectiles, le lieu de tournage de l’émission.

Michel Houellebecq passionné par L’amour est dans le pré

Mais en 2019, Karine Le Marchand se fendait d’une déclaration au micro d’Europe 1 qui laissait beaucoup d’intellectuels et de spectateurs perplexes. L’animatrice dévoilait en effet que Michel Houellebecq était fan de son émission dédiée aux agriculteurs célibataires. “Il adore L’amour est dans le pré, expliquait la personnalité adulée par les Français, tant est si bien que je l’ai emmené sur un tournage, au moment de faire le bilan il y a deux ans. Il connaissait tout le monde. C’était hyper sympa. Le mélange s’est fait très facilement.« 

Si certaines répliques issues de la télévision du réel – on pense aux fameux aphorismes de Moundir de Koh Lanta tels que “Motus et bouche cousue… vous savez, moi, je suis une tombe de prison” – font souvent l’objet de moqueries, la télé-réalité peut aussi être vue comme un objet sociologique digne d’étude. C’est ce que démontrent les textes du sémiologue François Jost, auteur du livre Le culte du banal. De Duchamp à la télé-réalité. Pour lui, le succès des émissions de télé-réalité s’explique en partie par les moqueries qu’elles suscitent : en se jugeant au-dessus des candidats, le spectateur va se sentir valorisé.

Une forme d’art ?

Sur le site universitaire Cairn, on peut aussi trouver des articles de chercheurs passionnants, aux titres plus profonds que les dialogues orchestrés des candidats de télé-réalité (Le jeu de téléréalité comme fabrique du consentement aux principes du travail néolibéral).

Certains vont même plus loin. Et si la télé-réalité était de l’art, proche des happenings et des pratiques artistiques intimes d’Andy Warhol (son livre A, a novel retanscrivait en verbatims le quotidien de la Factory de 1965 à 1967), Sophie Calle et Marina Abramović ? Pour notre part, on n’ira pas aussi loin car le spectateur qui se cache derrière son écran n’est pas aussi impliqué que celui qui se rend au musée ou en galerie d’art. Mais les performances des candidats de télé-réalité, encapsulés dans une pièce fermée comme des rats de laboratoire ou des animaux de zoo, a en effet quelque chose d’hypnotique qui peut s’appréhender comme une forme d’art.

Stromae et Camilla Cabello – Mon amour (2022).

Une esthétique pop qui influence la pop culture

Depuis quelques années, la télé-réalité infuse la mode, l’art et le cinéma. Des figures telles que Kim Kardashian (qui a même eu droit à son documentaire Arte), Nabilla, Paris Hilton ou les drag queens de RuPaul’s Drag Race, invitées en Fashion Week, prouvent que la télé-réalité n’est plus persona non grata. Glenn Martens a même transformé le défilé Diesel automne-hiver 2024-2025 en télé-réalité en proposant aux fans d’assister en direct à l’élaboration du show.

Avec son côté pop (les couleurs criardes et les typographies accrocheuses des titres des émissions), too much et kitsch (voire camp), la real TV influence même la pop culture, même s’il s’agit parfois de la parodier. Ainsi, en 2022, après s’être rencontrés en mai dernier au Met Gala, à New York, les chanteurs Stromae et Camila Cabello décidaient d’unir leurs forces sur un morceau : Mon amour, extrait de l’album Multitude de l’auteur-compositeur-interprète belge, et remixé avec la voix de la chanteuse cubano-américaine.

De Stromae à Jonathan Cohen, la télé-réalité parodiée

Pour accompagner ce titre efficace (qui parle d’infidélité), les deux stars ont participé à un clip délirant parodiant une émission de télé-réalité. Les deux artistes font partie des participants de la villa « Mon amour », où ils naviguent entre flirts et trahisons. L’occasion de découvrir Stromae comme vous ne l’avez jamais vu, avec une coupe de cheveux rappelant celle de Moundir de Koh Lanta et un look bodybuildé et bling bling qui ne dépareillerait pas dans un épisode des Marseillais. Pour autant, il ne s’agit pour lui de critiquer ces programmes TV. Car pour le prodige belge, en chacun de nous, sommeille un candidat de télé-réalité.

Parmi les autres parodies devenues cultes, on se souvient aussi des séries très réussies La Flamme (2020) et Le Flambeau (2022) de Jonathan Cohen, qui ont réussi à réunir le gratin de cinéma français (Adèle Exarchopoulos, Géraldine Nakache, Doria Tillier, Ana Girardot, Laure Calamy, Pierre Niney).

Diamant Brut.
Malou Khebizi dans le film Diamant brut (2024) © Pyramide Distribution.

Diamant brut, Culte… Le regard intelligent du cinéma et des séries sur la télé-réalité

Depuis le 18 octobre 2024, la critique et le public se passionnent pour la nouvelle série française de Prime Video, Culte. Porté par un casting impeccable composé de l’actrice Anaïde Rozam (LOL : qui rit, sort !), de Sami Outalbali (Sex Education) et de Marie Colomb (très émouvante dans le jean neige de Loana), le show nous plonge dans les coulisses mouvementées de la première saison de Loft Story (2001).

Entre BO et looks Y2K addictifs, arrivisme, coups montés et scandales, Culte dresse le portrait d’une époque où la télé-réalité était beaucoup plus naïve. Les candidats d’alors n’avaient pas fait de ces expériences télévisées leurs métiers. Et ils ne devenaient pas influenceurs dans la foulée. Si la série fait réfléchir (notamment sur la façon dont la production n’a pas protégée Loana, qui était déjà fragile avant d’être rejetée par Jean-Edouard après l’épisode de la piscine), il rend aussi nostalgique. Car depuis, la télé-réalité est partout, sans que l’on questionne vraiment son effet sur les candidats et les spectateurs.

Le quart d’heure de célébrité offert à tout le monde

Autre production à voir pour prendre du recul sur le phénomène de la real TV ? Le beau film Diamant brut, réalisé par Agathe Riedinger et présenté au Festival de Cannes 2024 avant de sortir au cinéma ce mercredi 20 novembre prochain. On y suit le quotidien de Liane (incarnée par la révélation Malou Khebizi), jeune fille de 19 ans originaire de Fréjus qui se rêve candidate de télé-réalité. Pour elle, participer à l’émission imaginaire Miracle Island serait un moyen de sortir de sa vie morne, coincée entre mère absente et une petite sœur envahissante, d’être reconnue et surtout, d’être aimée.

Car avant de critiquer un peu vite la télé-réalité, il faut se souvenir que pour beaucoup, elle reste le moyen d’offrir un quart d’heure de célébrité à ceux qui n’ont pas eu une vie facile et qui n’ont ni accès au Cours Florent, ni à un quelconque conservatoire.

Culte (2024) de Matthieu Rumani et Nicolas Slomka, avec Marie Colomb, Anaïde Rozam, Sami Outalbali et César Domboy, disponible sur Prime Video. Diamant brut (2024) d’Agathe Riedinger, avec Malou Khebizi, actuellement au cinéma.