“Scanners” de Cronenberg : grand film d’horreur ou spectacle raté?
Crânes explosés, saignements de nez, corps tordus et longues séances de tirs… Dans “Scanners” (1981), et comme toujours dans les longs-métrages du Canadien David Cronenberg, les corps sont mis à rude épreuve. Les nerfs des spectateurs aussi. Le film ressort en salle aujourd'hui.
Par Chloé Sarraméa.
À l'hiver 81, 15 ans séparent la sortie de Scanners du scandale qu'a suscité Crash, prix spécial du jury à Cannes en 1996. Mais la même odeur de souffre accompagne déjà les premières diffusions du septième film du cinéaste canadien. Insoutenable pour certains, jubilatoire pour d’autres… Tous s’accordent sur une chose : il est atrocement gore. Crânes explosés, veines éclatées, yeux révulsés et visages distordus ponctuent de part en part les 97 minutes du long-métrage et en font l’essence même du cinéma des débuts de David Cronenberg : les corps sont meurtris, la chair est trouée, le taux d’hémoglobine est poussé au maximum. Cette fois, les effets visuels, prothèses et autres usages de faux sang prévalent même sur le scénario.
Dans la lignée de Chromosome 3, sorti deux ans auparavant, Scanners explore les modifications opérées par les substances chimiques sur le corps humain. Le pitch est assez simple, voire simpliste, ce qui explique peut-être pourquoi le film a connu autant de succès auprès du public à sa sortie (au box-office en Amérique du Nord, il a rapporté plus de cinq fois ce qu’il a coûté). Cameron Vale – campé par l’acteur cronenbergien (c’est à dire inconnu) Stephen Lack – est un télépathe dont la mère a ingurgité un médicament toxique, l’Ephémérol, pendant sa grossesse. Membres des “scanners”, il est, comme tous ses semblables, traqué par une société secrète, la ConSec, afin de mettre la main sur le plus mauvais d'entre eux, le psychopathe Daryl Revok (campé par Michael Ironside, un acteur ressemblant étrangement au Jack Nicholson de Vol au-dessus d'un nid de coucou, en plus flippant). Intoxiqués in utero (le film s'inspire du scandale de la thalidomide dans les années 1950), ces adultes dotés de supers-pouvoirs peuvent lire dans les pensées et les contrôler. Surtout, il peuvent tuer d'un simple regard.
Tourné à Toronto dans l'improvisation totale et, selon les dires du cinéaste, “dans des conditions très difficiles, incluant [ses] rapports avec Patrick McGoohan et avec Jennifer O'Neil ainsi que l'écriture au jour le jour et les caprices de la météo”, Scanners a tout d'un spectacle raté. Il a tout, aussi, d'un excellent film d'horreur. Avec des effets spéciaux, qui sont pour l'époque, plus vrais que nature mais semblent aujourd'hui profondément obsolètes, des scènes gore à la pelle et ce, dès les dix premières minutes – ce que l'on pourrait aussi reprocher à David Cronenberg, qui en bon sensationnaliste, souhaite trop exhiber, trop vite – ainsi qu'une approche psychique du violent (les télépathes peuvent tuer, mais sont, pour la plupart, profondément humains et sensibles) ; Scanners renvoie au rapport du réalisateur canadien au système nerveux et à sa vision pessimiste (voire phobique) des modifications effectuées par l'homme sur l'homme. Finalement, le film qui a fait connaître David Cronenberg au grand public dit tout de lui.
Ou ne dit rien. Il sert d'antichambre à toute l'œuvre du cinéaste, une œuvre éminament effrayante, davantage par ce qu'elle suggère que par ce qu'elle a pu montrer.
Scanners (1981) de David Cronenberg, actuellement en salle.