23 fév 2024

Rencontre avec Stacy Martin, la révélation de Nymphomaniac à l’affiche du Molière imaginaire

L’actrice franco-britannique Stacy Martin, révélée par le puissant et sulfureux Nymphomaniac de Lars von Trier est à l’affiche du Molière imaginaire, un film habité qui raconte la dernière représentation de l’homme de théâtre, en 1673. Rencontre avec une comédienne aussi discrète et élégante qu’audacieuse.

propos recueillis par Violaine Schütz.

« Stacy possède une élégance innée et une personnalité inspirante. J’ai beaucoup d’admiration pour son parcours artistique, ses choix audacieux, les rôles qu’elle interprète. (…) J’aime sa décontraction, son naturel, et sa façon de porter mes collections. » C’est ainsi que Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton, parlait de Stacy Martin, après avoir photographié l’ambassadrice de la maison pour la collection pre-fall 2021. 

Discrète, élégante, mystérieuse, audacieuse… L’actrice franco-britannique âgée de 33 ans s’est façonné un chemin à part dans le cinéma hexagonal. Ses rôles s’avèrent souvent plus abrasifs et son tempérament plus intrépide que ne le laisse présager, au premier abord, sa beauté douce et son aura cérébrale. Sous la glace, le feu ? L’actrice qui a vécu au Japon (avant d’élire domicile en Angleterre) a été révélée grâce au film sulfureux en deux volets Nymphomaniac (2013) de Lars von Trier avec Charlotte Gainsbourg, dans lequel elle jouait une jeune femme nymphomane, avant d’enchaîner avec de nombreux projets privilégiant les univers forts, l’étrangeté et les prises de risques.

Stacy Martin, actrice montante du cinéma mondial, de Nymphomaniac au Redoutable

On l’a en effet vue dans L’Enfance d’un chef (2015), aux côtés de Robert Pattinson, Tale of Tales (2015) avec Salma Hayek et Vincent Cassel, Amanda (2018) avec Vincent Lacoste, Joueurs (2018) avec Tahar Rahim, Amants (2021) avec Pierre Niney ou encore Le Redoutable (2017) avec Louis Garrel. Tour à tour, elle a prêté ses traits graciles à la soeur d’un pop star qui évolue dans l’ombre de cette dernière (dans Vox Lux avec Natalie Portman et Jude Law), à une courtisane refusant les avances de Casanova (dans Dernier amour avec Vincent Lindon) ou encore à l’ex-femme d’un serial killer (dans la série Netflix Le Serpent)…

L’an dernier, Stacy Martin continuait de choisir ses rôles de manière judicieuse et inattendue en apparaissant dans le film La Graine, sur Prime Video, réalisé par la Belge Éloïse Lang (Larguées, Connasse avec Camille Cottin). Cette comédie suit le parcours compliqué d’un couple de femmes qui essaie d’avoir un enfant. Entre obstacles, mauvaises rencontres et tentatives ratées, les voici embarquées dans un road trip en Belgique, façon Thelma & Louise loufoque.

Face à l’humoriste Marie Papillon et à François Damiens, Stacy Martin incarne une femme amoureuse, dont le désir de maternité est contrarié par les difficultés liées au statut de la PMA en France. Contrairement à la plupart de ses rôles précédents, l’actrice s’essaie à la comédie et nous fait rire, en même temps que réfléchir à une question sociétale importante : la procréation hors des sentiers – hétéronormés – battus.

Ce début 2024, la comédienne revient avec deux beaux films en costumes : Bonnard, Pierre et Marthe, aux côtés de Vincent Macaigne et Cécile de France et Le Molière imaginaire, avec Laurent Laffite. Elle nous raconte ces deux nouvelles aventures et revient sur sa tendance à incarner des propos peu montrés au cinéma.

Stacy Martin au défilé Louis Vuitton (femme) automne-hiver 2023-2024, au Musée d’Orsay, à Paris, le 6 mars 2023. Photo par Marc Piasecki/WireImage/Getty Images.

« La comédie peut être un instrument très fort pour aller vers un changement de la société. » Stacy Martin

 

Vous avez joué dans La Graine, une comédie qui détonne par rapport à votre filmographie plus grave ?
Stacy Martin : J’avais beaucoup aimé la série Connasse et le film Larguées, deux projets d’Éloïse Lang, qui a réalisé La Graine. J’aime son humour très particulier, tranchant, un peu absurde mais toujours moderne. Et je trouvais intéressant de parler d’un sujet sociétal comme la PMA, dont on ne discute pas beaucoup dans le cinéma et dans le domaine culturel en général, avec ce prisme de la comédie. Quand on essaie de se renseigner sur la PMA, il faut vraiment chercher pour trouver des informations précises ou des œuvres l’abordant. L’humour absurde d’Éloïse Lang traduit bien l’absurdité dans laquelle se trouvent les femmes, seules ou en couple avec une autre femme, quand elles veulent avoir un enfant. Toutes les situations loufoques que les deux héroïnes traversent tout au long du film sont des absurdités créées par la société. Ce ne sont pas les personnages qui, en soi, sont comiques, ou font des blagues. Le comique vient de la complexité folle induite par une démarche de PMA. Les choses doivent changer et la comédie peut être un instrument très fort pour aller vers un changement de la société.

 

Les films mettant en tête d’affiche un couples de femmes et abordant la PMA sont assez rares…
Oui, et je trouve ça important que La Graine soit un film porté par deux femmes qui s’aiment sans que leur amour soit remis en question. Il y a en effet trop peu de projets qui montrent des couples lesbiens à l’écran. Sans parler du sujet de la PMA… Personnellement je ne suis pas en train d’essayer d’avoir un enfant, mais j’ai été très touchée par les récits de proches. Je connais beaucoup de femmes autour de moi, lesbiennes ou seules, qui ont tenté la PMA et ont traversé des choses très violentes. Les couples de mon entourage ont dû aller en Espagne ou au Danemark. Leur propre pays ne les aide pas. Mais ça reste un sujet souvent tabou, caché. C’est fou de se dire qu’en 2023, le sujet de la PMA n’est toujours pas abordé au grand jour et qu’on en discute si peu en France. Les gens connaissent mal comment ça se passe, notamment au niveau des prises d’hormones. Quand j’ai commencé à parler du film autour moi, ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est que des amies me disaient qu’elles allaient enfin se sentir représentées à travers ce récit. Cela pourra peut-être permettre de ne plus avoir honte d’en parler. 

 

La Graine est diffusé sur Prime Video. Quel regard portez-vous sur la concurrence qui règne entre les plateformes de streaming et le grand écran ?

Voir un film sur grand écran reste idéal, pour moi. Mais les plateformes ont permis à des gens qui n’ont pas les moyens d’aller au cinéma toutes les semaines de voir des films. C’est génial d’avoir accès aussi facilement à des Godard, des Fassbinder, des Ozon. Même si en France, il y a une vraie culture du cinéma, avec beaucoup de salles, des cinémas d’art et d’essai, un rendez-vous créé autour du mercredi, qui est la date de sortie de tous les long-métrages. En Angleterre et aux États-Unis, ce n’est pas la même mentalité. C’est pour ça que les plateformes peuvent faire peur à cette institution. Le bon côté de l’existence des plateformes c’est aussi de permettre de financer certains projets qui ne le seraient peut-être pas par d’autres boîtes de production. Est-ce que La Graine, un film sur la PMA avec deux femmes en rôles principaux, se serait fait sans Amazon ? Par contre, il est vrai que le nombre de plateformes et de propositions de films, documentaires et séries peut effrayer. Parfois, il m’arrive de scroller pendant plus de vingt minutes avant de me décider à voir un film… Et parfois même, j’abandonne avant de me décider. Il faut dire que je n’ai jamais été douée pour me décider à faire des choix (rires).

« On m’a proposé beaucoup de rôles très sexualisés et comprenant des scènes de nudité. » Stacy Martin

 

Comment choisissez-vous vos rôles ?
J’aime bien me lancer des défis et tourner dans des films dans lesquels on ne m’attend pas forcément. J’ai vraiment peur de me répéter. Ma hantise absolue serait qu’en allant au cinéma, les spectateurs sachent exactement dans quel type de rôle ils vont me voir. Après mon premier rôle au cinéma de jeune femme nymphomane dans Nymphomaniac, on m’a proposé beaucoup de rôles très sexualisés et comprenant des scènes de nudité. J’ai refusé pendant quelques mois des films en espérant que ça passerait et qu’on me proposerait d’autres types de rôles. Je me disais : « Peut-être que le Lars von Trier sera mon seul film et ce ne sera pas si grave. » Je n’ai pas tourné pendant un petit moment. Et puis finalement, on m’a fait d’autres offres de travail. Aujourd’hui, je suis heureuse qu’on m’imagine dans des histoires très différentes. À force d’avoir accepté des projets variés, j’ai l’impression que je suis plus libre et que les réalisateurs me voient de nouveau comme une page blanche.

 

Quels sont les rôles que vous refusez ? Ceux de femmes-objets ?
Je ne vois pas l’intérêt de faire partie d’un cinéma auquel je ne crois pas. Je n’ai pas envie de m’intégrer dans une narration qui ne correspond pas à mes valeurs. Si le film fait seulement avancer le male gaze ou une théorie qui n’est pas en adéquation avec mes convictions en tant que citoyenne du monde et être humain, je ne vois pas l’intérêt d’accepter. Le fait qu’il y ait des femmes réalisatrices et productrices qui lancent des projets aide à faire bouger, heureusement, les narrations. Sinon, je privilégie le cinéma d’auteur, expérimental, avec des prises de risques et une vraie vision artistique. C’est le cinéma que j’adore. J’aime également incarner des choses peu montrées au cinéma, comme une femme qui est accro aux cercles de jeu dans Joueurs. C’est une façon de dire que les femmes, peuvent vivre des choses particulières, voire extrêmes, sans être diminuées.

 

Vous jouiez la comédienne et écrivaine Anne Wiazemsky, qui a été la femme de Jean-Luc Godard, dans Le Redoutable. Comment avez-vous réagi face à la mort de votre « mari de cinéma », en 2022 ?
C’était très triste. C’est un tel monument. Mais ça m’a encore plus choquée quand Anne est décédée, en 2017. Je l’ai rencontrée juste avant la projection du Redoutable à Cannes, soit l’année de sa disparition. C’était son moment. Elle avait enfin droit à la reconnaissance et à la lumière car le film était adapté de l’un de ses ouvrages. Elle tremblait avant de monter les marches, ce qui m’a beaucoup ému. J’adore ses livres et sa personnalité. C’est quelqu’un qui adorait le cinéma, la littérature, la vie. Elle était très lucide sur ce qu’elle avait vécu, très jeune, avec Godard, y compris sur les aspects les plus complexes de leur relation. La mort de Godard a été un choc, bien sûr, mais il appartenait déjà au registre du mythe. Il était déjà dans un autre monde… Anne était plus proche de nous…

 

Vous avez été mannequin avant d’être actrice. Quel souvenir en gardez-vous ?
Je n’ai pas été mannequin très longtemps. Et j’étais très jeune, encore adolescente. Ça m’a permis de gagner ma vie, sans avoir à bosser, par exemple, dans un restaurant. Mais je n’ai jamais rêvé de devenir mannequin. Alors que plus j’avance dans le métier d’actrice, plus j’ai envie de continuer à le pratiquer. Cela dit, le mannequinat m’a beaucoup appris, sur la lumière, le cadre, etc.

 

Bonnard, Pierre et Marthe (2024) de Martin Provost, actuellement au cinéma. Le Molière imaginaire (2024) d’Olivier Py, actuellement au cinéma.

« Les costumes influencent la posture, la voix, la manière dont on marche. » Stacy Martin

 

Vous êtes à l’affiche d’un autre film en costumes : Bonnard, Pierre et Marthe (2023). Avez-vous un goût particulier pour les films d’époque ? 

J’aime les films d’époque comme j’aime les films plus modernes. Les costumes aident énormément dans la création d’un personnage et donc, quand il s’agit d’un film d’époque, c’est très important de se familiariser avec les costumes. Ils influencent la posture, la voix, la manière dont on marche. J’aime beaucoup cette découverte. Dans Le Molière imaginaire, le costume d’Armande donne beaucoup d’informations sur sa personnalité, sa coquetterie et sa position dans la troupe. C’était très important qu’on lui trouve une robe dans laquelle elle pouvait se sentir forte et belle à la fois. Le velours rouge de sa robe est devenu une évidence et apporte aussi un côté charnel.

 

Pouvez-vous nous en parler un peu de Bonnard, Pierre et Marthe ?
C’est un film sur le peintre Pierre Bonnard, incarné par Vincent Macaigne. Je joue Renée, une étudiante aux Beaux-Arts très amoureuse de Pierre Bonnard. Elle était en rivalité avec Marthe, la femme de Pierre, jouée par Cécile de France. Renée a connu un destin tragique et s’est suicidée. Et on trouve difficilement des peintures de Marthe Bonnard de nos jours alors qu’elle était artiste à un moment sa vie. Beaucoup ont été détruites. Le film montre bien la place des femmes peintres à cette époque. Elles restaient dans l’ombre des hommes artistes. ne sont pas mises en lumière. À l’époque de Bonnard, au 19e siècle et au début du 20e siècle, elles pouvaient faire les Beaux-Arts mais n’étaient pas sur le devant de la scène et peu exposées.

 

Vous étiez au Festival de Cannes, l’an dernier, pour défendre Bonnard, Pierre et Marthe. Comment appréhendez-vous cet événement ?

J’étais très heureuse d’y aller pour défendre ce film avec l’équipe, d’autant plus que j’ai l’impression que cette édition du Festival de Cannes coïncidait avec le retour dans les salles de cinéma et donc avec quelque chose de très festif et fédérateur après l’épreuve du Covid. La sélection était très belle, mais si elle manquait de films de femmes. J’avais très envie de voir le film de Todd Haynes (May December avec Julianne Moore et Natalie Portman, ndlr) et celui de Catherine Breillat, L’été dernier. Je suis contente qu’elle retourne au cinéma. C’était inespéré. J’adorerais tourner pour elle.

Stacy Martin en Louis Vuitton par Emmanuel Giraud / Production : Ever Paris.

Stacy Martin dans Le Redoutable (2017) © Philippe Aubry – Les Compagnons du cinéma.

L’interview de Stacy Martin à l’affiche du film Le Molière imaginaire

 

Numéro : Qu’est-ce qui vous a attirée dans Le Molière imaginaire ?

Stacy Martin : J’aime énormément le travail du dramaturge et metteur en scène Olivier Py (le réalisateur) ainsi que sa vision de ce qu’est le théâtre et pourquoi c’est un art qui est toujours important aujourd’hui. Quand j’ai appris qu’il faisait un film, j’ai été attirée par le dialogue entre le théâtre et le cinéma qu’Olivier amenait. C’était un projet ambitieux et transgressif à la fois. J’aime trouver des projets où la forme peut être poussée à l’extrême et c’est exactement ce que fait ce film.

 

Que représente Molière pour vous ?

On a tous grandi avec Molière et ses textes donc ce qui est intéressant, c’est qu’on a tous un rapport avec lui qui nous appartient. Faire ce film, c’était dépasser ces textes et voir la personne derrière, l’écrivain et son rapport à la troupe. C’est aussi un hommage au processus de création parmi un ensemble d’acteurs et de techniciens. Molière était quelqu’un de très ambitieux pour son époque et quand on lit ses pièces, il y a beaucoup de thèmes qui sont encore aujourd’hui très modernes.

 

Comment décrirez-vous votre personnage ?

Mon personnage Armande, suscite un peu de mystère. Elle arrive à un moment très important dans la troupe et amène le souffle de la nouvelle génération. Elle reconnaît très vite que les choses vont changer. C’est quelqu’un qui est toujours dans le futur mais qui se fait rattraper par ses sentiments pour Molière et pour la troupe.

 

Comment était-ce de tourner avec Laurent Lafitte ?

Laurent est un acteur formidable. Il se fond complètement dans le personnage et en fait sa propre création. Il ne reste jamais sur ses acquis. Pendant la période de répétitions, que nous avons eu avant de tourner, il était très ouvert à la collaboration et au dialogue avec les autres acteurs. Donc c’est un travail qui évolue tout le temps et c’est là que je trouve que le métier d’acteur est le plus satisfaisant. Nous avons pu jouer comme si nous étions au théâtre mais pour le cinéma. C’était une vraie joie.