Les confessions de Sandrine Kiberlain, actrice phare et pleine de fantaisie du cinéma français
Humble, solaire, pleine de fantaisie… Sandrine Kiberlain est devenue l’une des actrices françaises les plus prisées du cinéma français ces dernières années. Et l’un de ses visages les plus attachants. L’héroïne de la comédie d’espionnage rocambolesque Le Parfum vert, sera en 2024 à l’affiche de tois films : La Petite Vadrouille (qui sort au cinéma ce mercredi 5 juin), Les Barbares et Sarah Bernhardt, La Divine. Retour sur notre rencontre avec cette star formidable, au naturel désarmant.
propos recueillis par Violaine Schütz.
2024 est encore l’année celle du sacre de Sandrine Kiberlain, la Diane Keaton française. Non seulement, la star facétieuse est à l’affiche de La Petite Vadrouille (qui sort au cinéma ce mercredi 5 juin), mais elle sera aussi, en 2024, dans les films Les Barbares et Sarah Bernhardt, La Divine.
Récemment, l’actrice âgée de 56 ans a réalisé son premier long-métrage, le très réussi Une jeune fille qui va bien et on l’a vue briller dans Un autre monde de Stéphane Brizé, Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret et Novembre de Cédric Jimenez. Elle épatait aussi en dessinatrice de BD fantasque et pleine d’audace dans la comédie d’espionnage Le Parfum vert (2022)de Nicolas Pariser aux côtés de Vincent Lacoste. L’occasion de discuter avec elle de cinéma, de l’importance des choix et de ses actrices fétiches.
L’interview de Sandrine Kiberlain, l’une des actrices les plus en vue de 2024 à l’affiche de La Petite Vadrouille
Numéro : Quels sont vos projets ?
Sandrine Kiberlain : J’ai tourné dans le nouveau film de Bruno Podalydès, La Petite Vadrouille, car c’est la famille. J’aimerais bien aussi prendre le temps de digérer l’année que j’ai passée, recharger les batteries et attendre un très beau projet avec quelqu’un qui va m’emporter avec son histoire. Je ne veux pas enchaîner les choses trop rapidement.
Vous n’arrêtez pas de tourner. On vous a vue dans On est fait pour s’entendre, Un autre monde, Novembre, Chronique d’une liaison passagère, Le Parfum vert... Comment l’expliquez-vous ?
Eh bien ! je ne sais pas pourquoi. Je n’en reviens toujours pas, mais je me dis mais c’est génial. C’est d’ailleurs la question que je me pose (rires). Ma seule explication, c’est qu’un chemin s’est dessiné à partir des propositions que j’ai reçues et des choix que j’ai fait.J’ai préféré choisir tel rôle à tel autre et cela a peut-être ouvert vers autre chose dans l’imaginaire d’un cinéaste qui a pu m’imaginer autant dans des choses graves comme chez Stéphane Brizé, ou dans des choses plus légères comme chez Nicolas Pariser ou Emmanuel Mouret. Nos choix sont peut-être plus importants qu’on ne le croit. Ce sont eux qui tracent notre chemin. C’est très important de savoir dire non à un projet, même si on vous dit qu’il faut le faire, si vous ne le sentez pas. Parfois, c’est vertigineux de refuser un film, car on ne sait pas si quelque chose d’aussi bien arrivera par la suite. Mais, des années plus tard, on se rend compte que cette décision avait du sens. Il faut aussi accepter qu’il y ait des années plus fastes que d’autres.
Vous avez réalisé votre premier long-métrage, Une jeune fille qui va bien (2022), avec Rebecca Marder, qui raconte la vie d’une jeune fille juive souhaitant devenir actrice en 1942. Avez-vous envie de réaliser d’autres films ?
Oui, je pense, mais après avoir rechargé les batteries pour trouver une bonne idée. Réaliser mon premier long-métrage m’a pris beaucoup de temps et ça m’a procuré des tonnes d’émotions. Mon premier film était en moi depuis longtemps, d’abord sous une forme complètement déconstruite. Il a fallu deux ans d’écriture pour en accoucher, ce qui a été à la fois très laborieux et magique, parce que, par moments, ça venait tout seul et, à d’autres, pas du tout. J’ai donc appris ce que c’était que d’écrire toute seule (rires). Après, il a fallu convaincre ceux qui ont fait le film avec moi, ce qui a encore pris beaucoup de temps. Et ensuite, il fallait le fabriquer. Cela m’a donc pris en tout quatre ans de réaliser ce film, quatre ans durant lesquels cela a presque entièrement occupé mon esprit. J’y réfléchissais sans arrêt.
Quelles actrices vous ont donné envie de faire ce métier ?
Il y avait en effet Diane Keaton puisque j’ai même joué une des scènes d’Annie Hall (1977) pour entrer au conservatoire. Mais aussi Ingrid Bergman dans un film complètement improbable : Aimez-vous Brahms… (1961) dans lequel je l’ai trouvée fantastique. D’ailleurs, elle était plus âgée que le héros dans le film, c’est drôle. Et puis Barbra Streisand dans Nos plus belles années (1974) de Sydney Pollack quand elle est au téléphone et qu’elle se met à craquer. Je pourrais citer Liza Minnelli dans New York, New York (1977), Shirley MacLaine dans La Garçonnière (1960), Natalie Wood, qui n’a rien à voir avec moi mais qui m’a complètement inspirée, Romy Schneider ou encore Catherine Deneuve.
Vous avez justement un côté Catherine Deneuve dans le film Le Sauvage (1975) dans Le Parfum vert…
Alors là, vous ne pouvez pas me faire plus plaisir… Elle est très drôle dans ce film quand elle parle à mille à l’heure et qu’elle tape des pieds.
« Je ne me place pas du tout d’un point de vue « quantitatif » quand je choisis un rôle. » Sandrine Kiberlain
Novembre (2022) de Cédric Jimenez a fait plus de 2 millions d’entrées en salle cette année. Mais il traite d’un sujet sensible : les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Avez-vous hésité à jouer dedans aux côtés de Jean Dujardin et d’Anaïs Demoustier ?
Oui, j’avais des craintes par rapport à ça. On n’aborde pas ce mois de novembre, sept ans après, sans penser à ce que ça pourrait avoir d’indécent. Mais en l’occurrence le parti pris de Cédric, d’imaginer une plongée au cœur de l’Anti-Terrorisme pendant cinq jours d’enquête qui ont suivi les attentats du 13 novembre, m’a tout de suite convaincue. On est au cœur de l’action, en plein dans le chaos qui a transformé nos vies à jamais et dans les coulisses. Ce n’est pas du tout un point de vue voyeuriste. Je trouvais ça génial de me choisir pour incarner une chef flic de la SDAT (la sous-direction anti-terroriste, branche de la police judiciaire française) dans le film. Au lieu de me dire que le rôle était petit, que ce n’était pas le personnage principal ou je ne sais quelle bêtise, je me réjouis d’être dans ce film. Je ne me place pas du tout d’un point de vue « quantitatif » quand je choisis un rôle.
Vous avez déjà mené l’enquête à l’écran, comme dans Le Parfum vert, notamment dans Pauline détective (2011) de Marc Fitoussi etdans 9 mois ferme (2013) d’Albert Dupontel…
Je trouve que ce qui est intéressant dans ces personnages, c’est qu’ils ne sont pas du tout faits pour enquêter. Ce ne sont pas de vraies espionnes mais des anti-héroïnes qui se retrouvent malgré elles plongées dans une intrigue, voire dans un désastre en qui concerne 9 mois ferme. Le fait que ces personnages se sentent investis d’une mission qu’ils ne sont a priori pas aptes à mener installe d’emblée ces films dans le registre de la comédie. Ce décalage est jouissif à jouer en tant qu’actrice et je suis heureuse que ce soit un humour dans lequel on m’imagine. Ça signifie qu’on me projette dans le rôle de quelqu’un d’à la fois suffisamment adroit intellectuellement pour mener l’enquête et en même temps d’assez maladroit pour être dépassé à certains moments par cette enquête.
On vous a aussi connue chanteuse. Vous avez sorti deux albums, Manquait Plus Qu’Ca (2005) et Coupés bien net et bien carré (2007). Préparez-vous un retour à la chanson ?
Alors, c’est tellement en gestation que ce n’est pas encore un sujet. Mais c’est quand même présent dans ma vie, car je vois régulièrement Alain Souchon et l’un de ses fils, Pierre, et on échange beaucoup. Comme pour le premier album, je leur donne des textes et, miraculeusement, ils trouvent les musiques qui correspondent aux paroles. C’est complètement fou. Si on y arrive, un nouveau disque pourrait voir le jour. Mais il n’y a pas de calcul. De toute façon, pour le premier disque, une semaine avant qu’il arrive chez moi, je n’avais toujours pas compris que c’était un album. Je travaillais, mais on s’amusait tellement avec les Souchon que je ne pensais pas à la suite. Et quand j’ai reçu l’album à la maison, je me suis dit : « Ah mais les gens vont l’entendre en fait. C’est un objet ! » Et là, ça va être un peu pareil, je pense.
« Avec Vincent Lacoste, on a tous les deux la même façon de ne jamais prendre les choses au sérieux. » Sandrine Kiberlain
Qu’est-ce qui vous a attirée dans Le Parfum vert (2022) et dans le rôle de Claire, une intrépide dessinatrice de BD qui se met à suivre un comédien accusé de meurtre en Europe ?
Un mélange de plusieurs choses. J’aimais le réalisateur que je connaissais déjà, ainsi que son travail. Je trouvais aussi que l’idée de nous réunir à l’écran avec Vincent Lacoste était très intéressante. Cette rencontre m’attirait car je trouve qu’on a deux univers à la fois différents et proches. On a tous les deux la même façon de ne jamais prendre les choses au sérieux qui servait bien l’histoire du film. Et puis j’aimais bien l’originalité du Parfum vert, qui n’est pas qu’une comédie d’espionnage. Les deux héros, Martin (Vincent Lacoste) et Claire, déjouent les attentes car ils ne sont pas du tout faits pour vivre cette aventure – qui leur tombe dessus – sur les traces d’une mystérieuse organisation. Ce qui est amusant, c’est que ce ne sont pas des fortiches, mais de grands maladroits.
Dans le film, vous poursuivez la trace d’une mystérieuse organisation appelée « Le Parfum vert » dont les membres semblent proches de l’extrême droite ? Que représente-t-elle pour vous ?
J’aimais l’idée que ça reste énigmatique et le fait de courir après quelque chose dont je ne connaissais pas vraiment l’identité, le danger et la dose de répercussions qu’elle pourrait engendrer. Ce que j’aimais aussi, c’est qu’elle rentre dans une enquête sans que ce soit son métier. Elle se prend pour une grande enquêtrice alors qu’elle est au courant de très peu de choses. C’est ça qui est drôle. Elle se base sur quelques indices qui ont attiré son œil comme les rangers portées par l’un des passagers du train. Et dès qu’elle aperçoit un petit détail, qui n’est pas une grande trouvaille en soi, on a l’impression qu’elle a découvert le pot aux roses ou un nouveau vaccin. Et finalement, à chaque fois qu’elle décèle un truc, elle a raison.
Sous le côté comique du film, il y a un sous-texte politique. Nicolas Pariser (Alice et le Maire), le réalisateur, aborde des thèmes comme l’antisémitisme, les fake news, le complotisme…
Ce qui m’a plu, c’est que ce n’est pas qu’un pastiche de films des années 50 qui mêle la comédie romantique et l’espionnage, même si on en retrouve certains ingrédients. C’est un long-métrage très singulier qui, tout en s’inspirant d’Hitchcock et d’Hergé, traite de notre époque et se révèle très actuel, sur la montée de l’antisémitisme qui perdure et sur ce qu’est l’Europe aujourd’hui. Et ce sont des personnages qui nous ressemblent beaucoup, auxquels on peut s’identifier. Y compris au niveau des looks, qui peuvent sembler au premier abord assez rétro. Je pourrais très bien porter un caban similaire.
Dans le dossier de presse du film Le Parfum vert, le réalisateur Nicolas Pariser dit de vous : « Sandrine, elle a quelque chose de la puissance comique de Katharine Hepburn ou de Diane Keaton« …
Ça me va très bien. Bravo Nicolas. Il est très intelligent cet homme (rires). Il a beaucoup d’esprit.
« Je peux être attirée par quelqu’un qui se situe à l’extrême opposé de moi. » Sandrine Kiberlain
Le ton du Parfum vert est très étonnant, entre Hitchcock et Hergé. Comment, en tant qu’actrice, se projette-t-on dans un univers aussi fantasque ?
Hitchcock, Hergé et on retrouve même l’atmosphère qui règne dans les films de Philippe de Broca et de Jean-Paul Rappeneau. Mon personnage est très inspiré de L’Homme de Rio (1964), de ces filles qui parlent à cent à l’heure, qui sont très frondeuses, vont très vite et embarquent le type dans l’aventure. Elle fait partie des adorables chieuses qui sont « too much ». Pour une actrice, c’est un cadeau de se frotter à ce type d’écriture, de dialogues, d’évolution de l’histoire et d’avoir comme outil un scénario qu’on aime.
Préparez-vous beaucoup vos rôles ?
Je ne travaille pas de façon scolaire mes rôles, mes personnages ou les histoires que je vais interpréter. Je vais plutôt m’amuser à trouver les costumes du personnage comme quand on est enfant et à être le plus juste possible. Si on me dit, tu vas jouer à Claire, j’imagine le tableau : « Alors, comment est Claire ? Elle est dessinatrice de BD, elle s’engueule au téléphone avec sa mère et sa sœur. Arrive un type qu’elle ne devrait pas suivre, mais elle est très intriguée par lui. Alors, elle lâche tout et d’un seul coup, ça devient son obsession de mener cette enquête avec lui. » À partir de là, j’imagine son allure et je la joue comme dans la cour de récré avec Vincent Lacoste l’histoire de Claire et de Martin cherchant qui est le meurtrier de l’acteur de la Comédie française qui a été tué au début du film et qui se cache derrière l’organisation « Le Parfum vert ».
Votre personnage suit un jeune homme qu’elle ne connaît pas (Martin, incarné par Vincent Lacoste) et prend de nombreux risques pour lui. Seriez-vous capable d’une telle audace ?
Oui, ça pourrait m’arriver. Concernant les films que j’ai tournés, on m’a déjà déconseillé de faire des films et j’ai dit : « Non, j’y vais. Je vais au Canada par – 30 degrés, je vais jouer une folle dans ce projet. » Je suis mon instinct. Dans la vie aussi, je peux être attirée par quelqu’un qui se situe à l’extrême opposé de moi et qui va justement me fasciner parce qu’il est très différent. Et je peux y aller à 200 %, parce que tout à coup, je suis intriguée et que son monde va m’amuser, que je sens que ça va être exotique.
« Je remercie les réalisateurs de pas avoir ma carte d’identité en tête parce que sinon, je pourrais seulement jouer la mère de Vincent Lacoste. » Sandrine Kiberlain
Dans Le Parfum vert, Claire, votre personnage, tombe amoureuse d’un homme plus jeune, Martin (Vincent Lacoste), alors que, dans de nombreux films, l’héroïne est plus jeune que le héros. Cela faisait-il partie de votre attrait pour le rôle ?
En fait, on n’en a même pas parlé avec Nicolas Pariser. On n’a jamais évoqué mon âge, ni celui de Vincent. Ça ne constituait même pas un sujet. C’est vraiment une histoire d’amour que Nicolas avait en tête avec nous deux. Ces deux personnages traversent une période de vie pas très marrante et ils se rencontrent dans un bon timing. Et cette rencontre qui les amène ailleurs, va les renforcer et les réconforter. C’est un homme qui a rencontré une femme qui n’a rien à voir avec lui, a priori, et ils se retrouvent sur plein de choses qui les réunissent comme un passé commun lié à leurs origines (juives, ndlr). Pas une seule fois je ne me suis dit : « Mais est-ce que les gens vont croire à cette histoire d’amour?” à cause de la différence d’âge. Nicolas nous a imaginés tous les deux ensemble et je suis heureuse qu’il en soit ainsi. Je pourrais d’ailleurs complètement tomber amoureuse d’un Vincent (Martin) aujourd’hui. Et je pense que Vincent pourrait complètement tomber amoureux d’une Claire, comme dans le film, parce qu’heureusement, on dépasse nos années de naissance. Et puis nous ne sommes pas le premier couple avec une différence d’âge à l’écran. On n’a pas attendu que le président de la République vive ça pour le vivre. C’était moins dit et moins assumé, mais des femmes plus âgées sortaient avec des hommes plus jeunes par le passé.
D’ailleurs, dans le film Chronique d’une liaison passagère (2022)d’Emmanuel Mouret, vous êtes également un peu plus âgée que Vincent Macaigne…
Là aussi, c’était un non-sujet. Emmanuel m’a dit : « Voilà, je vous ai choisis tous les deux avec Vincent et vous allez tomber amoureux. » Peut-être que le moment n’est pas encore venu où on se pose la question de la différence d’âge me concernant. En tout cas, je remercie les réalisateurs de ne pas avoir ma carte d’identité en tête, parce que, sinon, je pourrais seulement jouer la mère de Vincent Lacoste.
La Petite Vadrouille (2024) de Bruno Podalydès, avec Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain et Denis Podalydès. Les Barbares (2024) de Julie Delpy, avec Julie Delpy, Sandrine Kiberlain et Laurent Lafitte, au cinéma le 18 septembre 2024. Sarah Bernhardt, La Divine (2024) de Guillaume Nicloux, avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte et Amira Casar, au cinéma le 30 octobre 2024.