19 mar 2024

Rencontre avec Nora Hamzawi : « J’avais envie qu’on parle d’antidépresseurs dans la joie »

Actrice (habituée aux films d’auteur), chroniqueuse et humoriste, la Française Nora Hamzawi, 40 ans, est l’une des femmes les plus drôles de France. Mais pas que… Sur la scène des Folies Bergère, à Paris, elle présente jusqu’au 30 mars 2024, son troisième spectacle, qui aborde des thèmes aussi légers que profonds : l’angoisse de mourir dans son sommeil, les difficultés du couple, la phobie des news mais aussi les cuissardes et les tutos beauté. Un one-woman-show à la fois intelligent, hilarant et très juste sur les affres de notre société moderne, dont elle nous parle avec sincérité et esprit.

propos recueillis par Violaine Schütz.

L’interview de Nora Hamzawi sur son nouveau spectacle aux Folies Bergère

Numéro : Dans votre nouveau spectacle, vous parlez de moments très intimes de votre vie, auxquels on s’identifie. Comment arrivez-vous à savoir ce qui peut toucher les gens ?

Nora Hamzawi : J’essaie de ne pas trop me poser cette question au moment de l’écriture, pour justement être la plus sincère possible. Je crois qu’à partir du moment où l’on est sincère, il y a forcément une forme d’identification. C’est aussi peut-être parce que je pense qu’on est tous finalement assez banals et qu’en termes d’émotions, on vit tous plus ou moins les mêmes choses. Après, c’est vrai qu’au fur et à mesure des représentations, je m’étonne de voir que certaines choses font vraiment écho à la vie des gens, alors que je ne l’imaginais pas forcément. C’est assez amusant. 

Au début du spectacle, vous parlez du chaos mondial et du fait que les news à la télévision vous rendent anxieuse. Est-ce le point de départ de votre ce one-woman-show ?

Quand j’ai commencé à vouloir écrire ce spectacle, j’ai eu un peu peur de la page blanche. Je trouvais le contexte mondial très anxiogène et je me disais, sincèrement j’ai du mal à trouver le rire, la bonne humeur. Et puis en prenant du recul, je me suis rendu compte que mon angoisse était quand même un moteur de comédie, parce qu’elle me pousse à une forme d’hystérie et d’obsession de la joie. Du coup, je me suis dit : « Voilà, je ne veux pas parler de l’actualité parce qu’elle m’angoisse, mais de comment celle-ci a une répercussion sur l’intime. » 

Sur scène, vous exposez votre vie de couple sans détour. Comment le vit votre compagnon ?

C’est drôle, c’est une question que beaucoup de gens se posent. Moi, bizarrement je n’ai pas l’impression d’exposer ma vie de couple. Peut-être parce que, par ailleurs, c’est mon jardin secret. On ne verra jamais rien sur ma vie privée sur les réseaux sociaux et on ne me verra jamais publiquement en famille ou avec mon amoureux. Tout ce que je dis sur mon couple dans mon spectacle est maîtrisé et passe par la voix de mon personnage. J’ai plus l’impression de parler de « la figure » du couple que de mon couple. Et puis avec mon compagnon on partage l’humour et on sait que le rire est une réconciliation. Il ne découvre rien sur scène. 

« J’avais envie qu’on parle d’antidépresseurs dans la joie. » Nora Hamzawi

Est-ce que vos amis ont peur de se retrouver dans votre seul en scène ?

Non je ne crois pas. Ça arrive plutôt avec des gens que je ne connais pas trop. Quand ils font une gaffe en soirée, ils ont le réflexe de dire : « Ah ça va se retrouver dans un sketch ! » Mais j’ose espérer que mon travail est plus complexe que le fait de simplement raconter des anecdotes… En réalité, je les transforme toujours pour être dans mon émotion plutôt que dans la description.

Vous parlez de l’angoisse de mourir et d’antidépresseurs dans un spectacle comique. Avez-vous hésité avant d’évoquer des thèmes aussi sombres ?

Non je pense que je me sentais prête. Il faut dire que la société a beaucoup évolué sur ces sujets. Avant, il y avait un truc un peu « bourgeois » dès qu’on abordait les sujets des psys. Ça a pas mal changé depuis le Covid. Ensuite, c’est vrai que je trouvais que ces sujets étaient en permanence abordés avec une certaine gravité. J’avais envie qu’on parle d’antidépresseurs dans la joie. La France figurant parmi les pays consommant le plus d’antidépresseurs, on se doit aussi d’assumer ça. Et j’avais envie de parler de la joie d’aller mieux plutôt que d’évoquer toujours le côté sombre. 

Vous abordez aussi des sujets assez féministes comme le sexe pendant les règles, Mona Chollet et de la grossesse « tardive » de Virginie Efira… Est-ce une volonté consciente de votre part de proposer un spectacle féministe ?

Sincèrement, au moment de l’écriture, je ne pense à rien de tout ça. Mais c’est sûr que mon spectacle s’ancre dans son époque. Et c’est ce que je veux dire quand j’explique que l’actualité au sens large vient toucher notre intime. La société qui se transforme, son regard sur les femmes, sur le patriarcat, vient forcément nous secouer à un endroit du couple ou dans notre féminité et ça m’intéressait de l’aborder, mais sans grande conscience politique. 

« J’adore sincèrement les tutos beauté et je suis obsédée par les appareils de skincare. Ça m’amuse d’autant plus que ça cohabite avec l’angoisse. » Nora Hamzawi

À quel point votre spectacle est-il cathartique et peut-il remplacer une séance chez le psy ?

Pour le public je ne sais pas ! Mais pour moi, il ne le remplace en rien. Je dis souvent que sur scène je parle de choses dont j’ai déjà guéri. Il faut avoir digéré des trucs pour avoir du recul, du second degré, sinon on est trop dans l’affect et personnellement, je n’ai pas de ressort comique quand j’ai encore la tête dans mes angoisses. Chez le psy je suis plus sur le présent ou le passé, par définition, mais pas du tout dans le même récit de mes angoisses que sur scène. 

Pensez-vous qu’on peut rire de tout ?

Je trouve cette question super vaste, ça pourrait être un thème de philo. Moi, j’ai tendance à dire qu’on fait bien ce qu’on veut tant qu’on respecte les autres. Dans mon humour, je pars toujours de mon ressenti, de ce qui moi me mets en difficulté. Je cherche à ce que ça ne soit jamais gratuit. Quand on a l’impression que je vais me moquer d’une habitude, par exemple, ou de quelque chose d’autre, en réalité, je vais me pencher sur pourquoi ce truc m’énerve et en quoi il me place dans un inconfort. 

Qu’est-ce qui vous fait le plus rire au monde ?

Impossible de dire ce qui me fait le plus rire au monde, mais je dois quand même citer Larry David. 

Dans votre seul en scène, vous dites avoir acheté des cuissardes comme un geste de crise de la quarantaine. Et vous parlez de votre passion pour les autos beauté, comme d’une échappatoire à la morosité. Est-ce votre remède pour aller mieux au quotidien ?

Oui, je crois que j’entretiens une certaine forme de superficialité qui me permet de compenser l’angoisse. J’adore sincèrement les tutos beauté et je suis obsédée par les appareils de skincare. Ça m’amuse d’autant plus que ça cohabite avec l’angoisse. Mais j’assume ça. C’est aussi du temps pour soi, ça fait du bien. 

« Je n’ai pas eu peur d’être blacklistée, je n’y ai même pas pensé. » Nora Hamzawi

Vous vous êtes désolidarisée de la sortie du nouveau film de Jacques Doillon, CE2, dans lequel vous avez joué, en soutien envers Judith Godrèche. En le faisant, aviez-vous eu peur d’être blacklistée ?

Non, je t’avoue que je n’ai pas du tout eu conscience du poids qu’avait ma prise de parole, qui à la base, était une story Instagram. J’ai écrit quelque chose qui me paraissait tomber sous le sens. J’ai voulu être sincère, être à l’écoute de la parole des femmes et respecter ça. Et puis dans ce film, je joue la mère d’une petite fille harcelée. Je l’ai fait à l’époque (il y a 4 ans) parce que c’est un sujet qui me touche. Je me voyais mal ignorer ce qui s’est passé pour la promo d’un film. Je n’ai pas eu peur d’être blacklistée, je n’y ai même pas pensé, mais après, à force de recevoir des messages d’acteurs ou d’actrices, de producteurs et de productrices qui saluaient cette position courageuse, je me suis dit que c’était peut-être le fait de venir de la scène et de ne pas être dépendante de cette industrie-là qui a fait que je ne me suis pas posée la question. Et tant mieux. 

Comment expliquez-vous que les acteurs soutiennent très peu, publiquement, Judith Godrèche ? Et croyez-vous qu’il y a enfin un #MeToo du cinéma français et que les choses vont changer positivement ? 

Je ne sais pas si ils la soutiennent très peu. Moi, j’ai le sentiment qu’il se passe quelque chose et que d’ailleurs, il faudrait que ça dépasse le milieu du cinéma. Il faut l’espérer en tout cas. 

Vous serez bientôt au cinéma dans trois films : Le Tableau Volé de Pascal Bonitzer, Hors du temps d’Olivier Assayas et Les Pistolets en plastique de Jean-Christophe Meurisse …

Le Tableau volé, c’est le premier film que je tourne avec Pascal Bonitzer que j’ai rencontré il y a quelques années et à qui j’avais confié être une grande fan de son film Rien sur Robert. J’avais très envie de travailler avec lui. Il m’a offert le rôle d’une avocate dans son prochain film aux côtés de Léa Drucker, Alex Lutz et Arcadi Radeff. Hors du Temps, c’est mon troisième projet avec Olivier Assayas. C’était un projet très doux à faire, en toute petite équipe, qu’on a tourné dans la maison de son enfance et qui se sert du prétexte du confinement pour parler du lien au passé, de la fraternité. Pour moi, c’est un film sur le souvenir. Il a quelque chose de très poétique et la nature y est très belle… Enfin, Les Pistolets en plastique, c’est aussi un tout petit rôle mais j’ai pris beaucoup de plaisir à jouer. J’ai aimé cette rencontre avec Jean-Christophe Meurisse, sa manière de nous faire travailler sur les impros. Cela donne une grande liberté. C’était un tournage super ludique. 
 

Le nouveau spectacle de Nora Hamzawi – intitulé Nora Hamzawi – se joue aux Folies Bergère, à Paris, jusqu’au 30 mars 2024. Le Tableau Volé (2024) de Pascal Bonitzer, avec Nora Hamzawi, Alex Lutz et Léa Drucker, au cinéma le 1er mai 2024. Hors du temps (2024) d’Olivier Assayas, avec Nora Hamzawi et Vincent Macaigne, au cinéma le 19 juin 2024.