13 nov 2020

Rencontre avec Marine Vacth, de “Jeune et jolie” au dernier film de Maïwenn

Son premier grand rôle en 2013, dans le film de François Ozon, “Jeune et jolie”, l’a d’emblée imposée comme une star, lui valant une nomination immédiate pour le César du meilleur espoir féminin. Depuis, la jeune actrice au visage d’ange a su se frayer avec détermination un chemin pertinent dans le paysage du cinéma d’auteur français. Cet automne, elle est à l’affiche d’“ADN”, le dernier film de la réalisatrice Maïwenn, dont elle incarne la sœur cadette. Elle est parallèlement l’héroïne de la série “Moloch”, une production d’Arte à la frontière du thriller et du fantastique où elle interprète le rôle d’une journaliste prête à tout pour mener à bien son enquête. 

Calt Studio/Guillaume Van Laethem, 2019

À la conférence de presse de Moloch, Marine Vacth n’a pas envie d’être là. Elle préfère les plateaux de cinéma, c’est presque écrit sur son visage. Vissée dans le fond de son fauteuil, jambes croisées, elle semble disparaître derrière ses cheveux et cet énorme micro orange qu’elle tient de travers, qui camouflent presque l’intégralité de son visage. Elle peine à répondre aux questions des journalistes, qui finissent par ne plus oser en poser. L’exercice est visiblement difficile pour l’actrice… Certains concluront qu’elle est extrêmement timide, d’autres qu’elle ne croit pas assez en ses projets pour les défendre face à la presse. Organiser une rencontre en privé, avec elle, a été un challenge tout aussi périlleux. Attachés de presse, agents… tous nous ont averti, Marine Vacth parle peu. Une inaccessibilité qui suscite un désir encore plus vif de la rencontrer alors qu’elle est, cet automne, à l’affiche d’ADN, le dernier long-métrage de Maïwenn, et d’une nouvelle série d’Arte, Moloch, aux côtés d’Olivier Gourmet.

 

À l’étage du café Les Éditeurs, la salle s’est vidée, tandis que la comédienne revient après une pause cigarette. Chuchotant presque, Marine Vacth nous rassure : “Vous savez, ce n’est pas l’échange avec d’autres personnes qui me rebute. C’est plutôt le fait d’avoir à expliquer mes choix.” Pourtant, tout le monde s’accorde à dire que jusqu’ici elle n’a pas manqué de perspicacité. En effet, à 29 ans, elle a déjà tourné deux fois avec François Ozon dans l’inoubliable Jeune et jolie – qui l’a révélée en 2013 – et dans L’Amant double (2017). Elle a aussi été recrutée par Jean-Paul Rappeneau pour Belles Familles (2015), mais aussi par Cédric Klapisch et Nicolas Boukhrief. Et l’actrice française enchaîne les projets. Cette année, elle est au casting de l’extraordinaire adaptation de Pinocchio signée Matteo Garrone, dans laquelle elle incarne (en toute logique, serait-on tenté d’écrire) une fée, et d’ADNun film labellisé Cannes 2020. Si le talent des plus grandes comédiennes réside en partie dans le choix minutieux des metteurs en scène avec qui elles travaillent, pour Marine Vacth, il doit se trouver ailleurs : “Accepter tel ou tel film en raison d’un metteur en scène ou d’un thème, ou bien en fonction de ce que cela pourrait apporter à mon parcours n’a jamais été, et n’est toujours pas, une chose dont je me préoccupe”, affirme-t-elle. Alors à quoi tient ce début de carrière sans fausse note ? Au hasard, peut-être. Aux rencontres surtout. Car il y a eu, dans la vie de Marine Vacth, des instants décisifs, certaines journées ou certaines coïncidences qu’elle ne pourra jamais oublier. À commencer par sa collaboration avec Cédric Klapisch, qui l’a choisie pour interpréter une mannequin dans Ma part du gâteau (2011). À l’époque, elle exerce réellement cette profession, défilant sans passion, prêtant son visage au gré des opportunités pour simplement gagner sa vie, et sans doute pour s’extirper de la classe moyenne dans laquelle elle a grandi, entre un père transporteur et une mère comptable. Ne se rêvant pas star de cinéma, celle qui est devenue, à 20 ans, le nouveau visage du parfum Parisienne d’Yves Saint Laurent, accepte le projet de Klapisch non pas par réelle envie de cinéma mais pour “s’ancrer dans une histoire, la vivre comme une expérience et une aventure possible”. Vint ensuite la rencontre avec François Ozon, ce cinéaste que l’on dit amoureux des actrices. Il a lancé la carrière de Ludivine Sagnier, il fera également naître Marine Vacth à l’écran.

Avec Jeune et jolie (2013), l’auteur de Huit Femmes offre un rôle ambitieux à l’actrice débutante : celui d’Isabelle, une lycéenne de 17 ans qui se prostitue, souvent l’après-midi, plus par désir de distraction que par nécessité financière. Marine Vacth a alors 22 ans et, sur le tournage, elle se “découvre un truc” : une passion pour raconter des histoires et, au-delà du jeu, une recherche perpétuelle de justesse et d’exactitude tout en abordant le rôle “de manière instinctive et innocente”. Bref, l’amour du travail bien fait. Avec sa présence magnétique, mais en même temps un peu effacée, l’actrice convainc et sa performance est unanimement saluée : elle monte les marches de Cannes où le film concourt pour la Palme d’or, et, dans la foulée, se voit nommée pour le César du meilleur espoir féminin.

 

Si les premiers films ne sont pas forcément ceux que l’on retient dans la carrière d’une actrice, il est difficile d’oublier celui de Marine Vacth. D’abord en raison de son thème subversif, la prostitution et sa référence assumée au long- métrage de Luis Buñuel, Belle de jour (1967) – où Catherine Deneuve incarne une bourgeoise mutique, frigide le matin et sadomasochiste l’après-midi –, mais aussi parce qu’il a initié une relation entre un metteur en scène et une comédienne, “un rapport de confiance”, confie cette dernière, attendrie. En 2017, François Ozon la rappelle en effet alors qu’il prépare son dix-neuvième long-métrage de fiction, L’Amant double. Cette fois, elle incarne Chloé, une jeune femme au quotidien dicté par sa libido, dont la vie devient un cauchemar lorsqu’elle rencontre le double de son partenaire, interprété par Jérémie Renier. Affirmant ne pas choisir les films en fonction de ceux qui les réalisent, il semble que Marine Vacth n’hésite pas à travailler plusieurs fois avec le même réalisateur, et notamment Ozon : “S’il me propose un projet demain, je fonce sans hésiter !

 

 

 

Elle aurait pu rester la gamine jeune et jolie du film de François Ozon qui l’a lancée, enchaînant les rôles de potiche ou de maîtresse. Elle a préféré les personnages complexes révélant plusieurs facettes, ceux qui naissent “avec les tripes” sur un plateau de tournage.

 

 

 

Après avoir fait une incursion dans le cinéma italien en interprétant une fée douce et rassurante dans Pinocchio – dont la sortie a été perturbée par la pandémie de la Covid-19, et directement diffusé sur Amazon Prime – de Matteo Garrone, Marine Vacth a renoué avec le cinéma français. Elle est de retour sur grand écran cet automne, filmée par la réalisatrice habituée aux autofictions, Maïwenn. Dans son nouveau film, ADN, l’auteure de Polisse (2011) incarne elle-même le personnage principal, une mère en plein questionnement identitaire, bouleversée par le décès de son grand-père algérien. Marine Vacth campe sa sœur cadette, plutôt bien dans ses baskets, traversant son deuil avec modération et tout à fait sûre, de son côté, de savoir qui elle est… C’est finalement ce qui transparaît aussi de la personne de Marine Vacth au cinéma : elle aurait pu rester la gamine jeune et (surtout) jolie du film d’Ozon, enchaînant les rôles de potiche ou de maîtresse. Elle a préféré les personnages complexes révélant plusieurs facettes, ceux qui naissent “avec les tripes” sur un plateau, pendant que la caméra tourne, et dont la psyché est construite à plusieurs, “avec le regard du metteur en scène, bien sûr, mais aussi celui de toute l’équipe”… En résumé, les rôles qui rendent excitant le métier de comédienne, à l’image de celui qu’elle tient dans Moloch, une nouvelle série Arte.

https://youtu.be/F5s-xyoxpjM

Jouant pour la première fois dans un projet destiné à la télévision, l’actrice se glisse ici – et c’est plutôt cocasse tant elle est réticente à parler à la presse – dans la peau d’une journaliste prête à tout pour mener à bien son enquête, qui cherche à élucider le mystère qui entoure la mort d’inconnus qui s’immolent par le feu. Louise est paradoxale, à la fois bourgeoise et punk (tatouée et ancienne toxicomane). Le personnage n’est pas écrit pour sa plastique : ici, pas question de beauté, seule l’obsession de l’héroïne compte. Et pour incarner l’entêtement – comme elle l’a déjà fait dans L’Amant double –, Marine Vacth est plutôt douée.

 

Même si elle est une personnalité très discrète, Marine Vacth est ce qu’on appelle communément une “star. Celle d’un certain cinéma d’auteur français, bien sûr, mais aussi une icône de féminité et un modèle pour celles qui n’osent pas imaginer qu’une actrice dans la vingtaine puisse allier maternité et tournages. Estimant que c’est propre à toutes les actrices, elle est tout de même la nouvelle incarnation du glamour : son visage apparaît à tous les coins de rue, affiché en gros plan sur les Abribus pour les campagnes publicitaires des plus grandes marques. Pourtant, lorsqu’on évoque sa popularité, l’actrice est catégorique : “On ne m’arrête pas dans la rue.” Une chance pour celle qui préfère laisser ses films parler pour elle.

 

 

Moloch d’Arnaud Malherbe, en intégralité sur le site d’Arte du 15 octobre au 27 novembre. 

ADN de Maïwenn, en salle le 28 octobre.