Rencontre avec Asia Argento : « L’art n’est pas une promenade de santé »
On ne compte plus les projets passionnants dans lesquels l’actrice, réalisatrice, DJ et chanteuse italienne Asia Argento a été impliquée. Depuis quelques jours, on peut ainsi redécouvrir un moyen-métrage sombre et fascinant, Shadow (2018), dans lequel la figure de proue du mouvement #MeToo a joué avec sa fille et qui est désormais disponible gratuitement sur Vimeo. À cette occasion, l’artiste punk, qui a aussi participé à la BO de ce projet onirique, a accepté de nous parler de cette expérience intense, de musique et de transmission.
Par Violaine Schütz.
Numéro : Pouvez-vous nous parler de votre travail avec Philippe Pellaud alias Kid Chocolat, réalisateur et musicien électro suisse qui se cache derrière le film Shadow et sa BO ?
Asia Argento : Nous avions déjà travaillé sur la musique ensemble dans le passé sur un album du projet Fortuna dont il fait partie. Nous avons fait des concerts et de nombreux DJ sets ensemble. J’ai toujours été une grand fan de sa musique. Nous sommes devenus amis et notre collaboration a toujours été fluide et pleine d’empathie. Nous sommes de vieux amis. Nous nous connaissons en profondeur.
Vous avez tourné avec votre fille, l’actrice Anna Lou Castoldi (vue dans la série Netflix Baby) dans ce film. Qu’est-ce qui était le plus fort dans cette expérience ?
C’était à la fois dur et exaltant. Ce qui était difficile était que je devais l’emmener – telle une coach – dans des endroits sombres et douloureux, ce qui me faisait peur. Mais je faisais confiance à sa sensibilité et à ses talents d’actrice… Et l’aspect libérateur, c’est qu’elle me rendait extrêmement fière. Elle est la cinquième génération de ma famille à travailler dans le cinéma et je ne pourrais pas être plus heureuse. Je sais à quel point c’est difficile d’être comparé au reste de ta lignée, mais son talent n’appartient qu’à elle.
Aviez-vous l’impression de revivre, avec votre fille sur le même plateau que vous, ce que vous aviez ressenti en tournant assez jeune dans les films de votre père, le cinéaste Dario Argento ?
Pas du tout. J’avais plus la sensation de revivre certains de mes problèmes mentaux, de creuser profondément pour les remettre en lumière. C’était cathartique, thérapeutique et nécessaire en quelque sorte.
L’un des sujets principaux de Shadow, ce sont nos angoisses. Quelles sont vos plus grandes peurs ?
J’ai des peurs, comme tout le monde. J’ai plus peur de souffrir et de perdre les gens que j’aime que de ma propre mort. J’ai perdu tant de personnes qui m’étaient chères. J’espère mourir avant d’en perdre beaucoup d’autres. Je me suis toujours sentie en sécurité sur les plateaux de cinéma. C’est ce qui se passe autour du cinéma qui peut parfois sembler plus dangereux. Mais je suis plus apaisée aujourd’hui, au tendre âge de 46 ans, qu’autrefois.
Vous avez récemment sorti un livre, Anatomie d’un cœur sauvage, qui raconte, sans fard, votre vie. Vous sentez-vous plus libre aujourd’hui ?
L’art est toujours thérapeutique et cathartique si vous avez la capacité d’être honnête, même brutalement honnête, avec vous-même, en travaillant sur une œuvre. Ce n’est pas toujours une promenade de santé mais cela vaut toujours l’effort sanglant à la fin.
Vous avez sorti plusieurs projets musicaux par le passé. Quand avez-vous commencé à chanter ?
En 2000, avec le compositeur français Hector Zazou. C’était une voix parlée. J’ai mis du temps à trouver ma voix. J’avais honte parce que j’ai une voix si profonde, qui résonne comme un trombone, qu’il m’a fallu du temps pour apprendre à l’utiliser à mon avantage. C’est dans son unicité qu’est ma force.
Vous avez prêté votre voix à la BO du projet Shadow. Pour vous, quelles sont les meilleures BO de tous les temps ?
Je dirai la musique de La Planète sauvage par Alain Goraguer, Toby Dammit par Nino Rota, l’Exorcist II: The Heretic par Morricone et la BO de Profondo Rosso par les Goblin.
Est-ce que la musique est aussi importante que le cinéma dans votre vie ?
J’écoute beaucoup plus de musique que je ne regarde de films chez moi. La musique est le meilleur film que j’ai jamais vu de ma vie. La musique pour moi consiste en une image qui évoque un tas de choses.
Vous avez de nombreux projets cinématographiques à venir (Interstate, Seule, Sans Soleil, Dark Glasses). Que pouvez-vous nous en dire ?
J’ai fait une longue pause dans mon métier d’actrice. Je suis dans le milieu du cinéma depuis trente-sept ans et j’avais besoin de retrouver mon envie. Je voulais remonter à la source de ce qui m’a fait commencer à jouer, quand je n’étais qu’une enfant. Aujourd’hui, je suis vraiment reconnaissante d’être de retour, et les projets sur lesquels j’ai travaillé ont été totalement épanouissants artistiquement et humainement. Je suis aussi en train d’écrire un nouveau film en tant que réalisatrice. Très lentement, mais sûrement…
Shadow (2018) de Pascal Greco et Philippe Pellaud (alias Kid Chocolat) avec Asia Argento et Anna Lou Castoldi, disponible sur Vimeo. La bande originale de Shadow (sortie sur le label Poor Records) est disponible sur Bandcamp et en vinyle.