Pourquoi TikTok divise l’industrie musicale ?
Suite à un conflit sur la rémunération des artistes, la major Universal a décidé de retirer de nombreuses chansons de son catalogue de TikTok. Cela intervient après des plaintes des chanteuses Halsey, FKA twigs et Charli XCX contre l’application. Des différends qui soulèvent une question de fond : peut-on être artiste aujourd’hui en se passant des plateformes ?
par Violaine Schütz.
et Louise Menard.
@charlixcx Stream good ones tho !
FKA twigs, Florence + The Machine, Charli XCX forcées de publier sur l’application ?
Ce n’est pas la première fois que TikTok s’attire les foudres du monde de la musique. En 2022, la chanteuse R’n’B avant-gardiste FKA twigs a publié une vidéo (depuis supprimée) sur l’application qui n’est pas passée inaperçue. Elle expliquait que si elle avait délaissé les chorégraphies et les images de coulisses de concerts sur ce réseau au profit de confessions intimes sur son amour pour les hommes maigres ayant des problèmes relationnels avec leurs mères, c’était parce qu’elle avait ressenti une pression à faire le buzz sur la plateforme fétiche de la Gen Z. Elle déclarait même que sa maison de disques lui avait signalé qu’elle ne faisait pas assez d’efforts sur ce réseau social à la croissance phénoménale.
La position de FKA twigs sur le sujet est loin d’être un cas isolé. Ces derniers mois, Florence Welch alias Florence + The Machine et Charli XCX se sont aussi plaintes des demandes de labels demandant des contenus adaptés à TikTok. Au mois de mai 2022, la chanteuse américaine Halsey allait plus loin, dans une vidéo TikTok, en expliquant que sa maison de disques lui faisait du chantage. Celle-ci, d’après l’artiste, retiendrait l’une de ses chansons en otage, lui demandant d’imaginer une publication capable de faire sensation sur le réseau social pour pouvoir lancer le single. Elle clamait tristement : “Tout est devenu du marketing et ils (les labels, ndr) font (ce genre de chantages) à pratiquement tous les artistes ces jours-ci.«
@halsey I’m tired
Une application très puissante
Mais beaucoup voient dans les complaintes Charli XCX et Halsey un phénomène plus stratégique que spontané. En effet, les chanteuses publient les vidéos de leur revendications sur TikTok (et non sur un blog ou sur leur compte Facebook), ce qui les conduit à faire le buzz sur la plateforme et à cumuler les likes et les vues. La publication d’Halsey (depuis supprimée) a par exemple récolté plus de 8 millions de vues et d’1 million de likes en quelques jours. C’est notamment l’avis de la pop star Sky Ferreira qui, fin mai 2022, laissait entendre dans une story Instagram que ses collègues de l’industrie musicale semblaient rechercher le buzz à tout prix.
Ces prises de paroles confirment en tout cas le pouvoir pris par TikTok, depuis 2019, détrônant Instagram dans le cœur des plus jeunes. Plusieurs artistes ont émergé grâce à l’application, à l’instar de Lil Nas X et les producteurs conçoivent des chansons qui pourront devenir des hits sur le réseau, en créant par exemple des introductions particulièrement accrocheuses. C’est ce que nous avait récemment confié le beatmaker Le Motif.
Que ce soit pour critiquer une tendance de la plateforme ou participer pleinement à celle-ci, les artistes d’aujourd’hui semblent devoir être des influenceurs à part entière s’ils veulent continuer de parler à la génération des challenges et des micro phénomènes en « core » (balletcore, bitchcore, bikercore, mob wife…).
Universal Music en guerre contre TikTok
La nouvelle a fait l’effet d’une déflagration chez les mélomanes, comme chez les influenceurs. Désormais, vous ne pourrez plus utiliser les chansons d’Adele, Billie Eilish, Drake, Rihanna, Kendrick Lamar, Taylor Swift, Lady Gaga ou encore The Weeknd sur l’application TikTok. En effet, depuis le 1er février 2024, la major Universal Music a décidé de ne pas renouveler son contrat avec TikTok et donc de retirer les morceaux de ses artistes du réseau social qui compte plus d’un milliard d’utilisateurs.
Le puissant label américain reproche à l’application chinoise un manque de considération envers les artistes et une absence de protection vis-à-vis de l’intelligence artificielle. Dans une lettre ouverte publiée le 30 janvier 2024 disponible sur son site, Universal Music a déclaré que TikTok avait proposé un taux de rémunération inacceptable, notant : “Nous ne cesserons de nous battre en faveur de nos artistes et auteurs-compositeurs et défendrons la valeur créative et commerciale de la musique.” TikTok ne représenterait qu’1% du chiffre d’affaires de la major.
Universal Music ajoute : « TikTok a tenté de nous intimider pour que nous acceptions un accord d’une valeur inférieure à l’accord précédent, bien en deçà de la juste valeur du marché et ne reflétant pas leur croissance exponentielle. » De son côté, dans un communiqué de presse, TikTok a répliqué avoir trouvé « triste et décevant qu’Universal Music Group ait fait passer sa propre cupidité avant les intérêts de ses artistes. » Le choc des titans…
Le 3 mars 2024, le producteur britannique James Blake donnait son avis sur ce sujet épineux sur X : “Les musiciens devraient pouvoir générer des revenus grâce à leur musique (…). Si nous voulons une musique de qualité, quelqu’un devra payer pour cela. Les services de streaming ne paient pas correctement, les labels veulent une part plus importante que jamais et attendent simplement que vous deveniez viral, TikTok ne paie pas correctement et les tournées deviennent financièrement prohibitives pour la plupart des artistes.”
@fkatwigs