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Pourquoi faut-il absolument lire la biographie de John Cassavetes ?
Déjà publié en 2001 aux États-Unis, l’immense ouvrage “Cassavetes par Cassavetes” de l’universitaire Ray Carney est enfin traduit en français. Il est paru le 20 novembre aux éditions Capricci.
Par Chloé Sarraméa.
Grand, lourd et dense, cet ouvrage monumental est considéré par le réalisateur Harmony Korine comme le meilleur livre jamais écrit sur le cinéma. Et pour cause, Cassavetes par Cassavetes est un objet très particulier. À la fois autobiographique – la plupart des passages sont écrits à la première personne – et biographique – Ray Carney, l’auteur, inscrit des commentaires sur les déclarations du cinéaste qui viennent les compléter ou même parfois les discuter –, la nouvelle édition de Capricci condense 11 années de travail sur quelque 544 pages.
Écrit par l’Américain Ray Carney – critique de cinéma et spécialiste de John Cassavetes – pendant plus d’une décennie, l’ouvrage composé d’entretiens réalisés avec l’auteur d’Une femme sous influence (1974) en 1989 (soit juste avant sa mort) et avec une douzaine de personnes qui l’on entouré permet à la fois de mieux comprendre son cinéma et d’établir des liens avec sa vie intime. Ainsi, on apprend notamment que pour écrire ses dialogues, Cassavetes enregistrait ses amis et sa femme Gena Rowlands. Aussi, on constate qu’il lui a fallu lutter pour aller à contre courant de l’industrie hollywoodienne, celle qu’il a tant dénigrée alors même qu’il jouait dans Rosemary’s Baby (1968), un film qu’il a ensuite qualifié d’“ustensile planifié sur commande”– mais qui lui a tout de même permis de financer Faces, sorti la même année.
Né en 1929 à New York de parents grecs, John Cassavetes débute comme acteur pour la télévision, le théâtre puis le cinéma (tout comme son épouse Gena Rowlands). Bien décidé à réaliser ses propres films, il profite de sa belle gueule et de son aura pour enchaîner les rôles chez des réalisateurs considérés comme commerciaux, de Don Siegel (Face au crime) à Roman Polanski et empocher, par la même occasion, de beaux cachets. Entre les tournages en studio, John Cassavetes se rêve en cinéaste libre. Il y arrivera très vite, avec pertes et fracas – il a même du hypothéquer plusieurs fois sa maison pour financer ses films – mais inventera finalement le cinéma indépendant américain en 1959 avec Shadows, sorte de prologue à Bande à part, version balades à Broadway et visites du MoMA.
À priori, aucun des fans de l’auteur et interprète d’Husbands n’ignore ces informations. Mais grâce à l’ouvrage Cassavetes par Cassavetes, l’immersion dans la vie du réalisateur dépasse en tous points celle que peut offrir n’importe quel documentaire. On comprend ainsi qu’à travers 12 longs-métrages réalisés entre 1959 et 1985, le mari de Gena Rowlands s’est entêté à livrer sa propre vision du cinéma, qu’il en est devenu obsédé, quitte à tout sacrifier de sa vie personnelle pour faire des films… Grâce à Ray Carney, on cerne ici la folie d’un homme, se rapprochant de cette démence caractéristique des plus grands artistes. Si l’on idéalise John Cassavetes, on constate à travers l’ouvrage qu’il était odieux. Pourtant, au fil de ces 500 pages, on ne peut pas s’empêcher de l’introniser en maître du cinéma indépendant. Ou du cinéma tout court.
Cassavetes par Cassavates (2020) de Ray Carney, disponible en librairie et sur le site de Capricci.