Oppenheimer, diffusé sur Canal+, est-il le film le plus explosif de Christopher Nolan ?
Oppenheimer n’est pas seulement le grand “adversaire” de Barbie : c’est aussi (et surtout) le “père de la bombe atomique”, une figure majeure de l’histoire américaine et mondiale, interprétée par le génial Cillian Murphy dans le dernier film de Christopher Nolan sorti l’été dernier. Alors qu’il vient de remporter pas moins de 7 statuettes aux Oscars 2024 et qu’il est diffusé ce vendredi 22 mars 2024 sur Canal+ –, retour sur la recette de son succès.
par Camille Bois-Martin.
3. La portée politique très actuelle d’Oppenheimer
Au cœur de la première bande-annonce d’Oppeinheimer résonnait la phrase : “Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes”. Prononcés par le physicien juste après la détonation de la première bombe atomique lors de l’essai “Trinity” du 16 juillet 1945, ces mots sont depuis entrés dans sa légende et ont forgé son image de martyr. Et ils sont parfaitement orchestrés dans le film de Christopher Nolan où ils retentissent à plusieurs reprises. Plus qu’une simple phrase choc, Oppenheimer sous-entendait déjà le sentiment amer et la responsabilité décuplée qui découlent de sa création, utilisée lors des bombardements des villes japonaises de Nagasaki et Hiroshima où des dizaines de milliers de personnes ont perdu la vie les 6 et 9 août 1945. Cet enjeu politique et humanitaire est, dès le début, posé par Christopher Nolan qui dessine subtilement les sensibilités communistes d’Oppenheimer (sans s’associer officiellement au parti), entre discussions partisanes et assemblées clandestines au sein de son université, qui lui vaudront d’être suivi et mis sur écoute par le FBI. Puis cet enjeu réapparaît lorsque la question de la bombe atomique est posée : certains professeurs missionnés par Oppenheimer pour le rejoindre à Los Alamos mettent en doute la nécessité de ces recherches et en craignent les conséquences dévastatrices, tandis que d’autres prétendent qu’il s’agit “de l’évènement le plus important de l’histoire du monde”… Bref, du début à la fin, la question de la légitimité de la bombe atomique n’est jamais tranchée et reste toujours ambiguë.
Dans les bottes d’Oppenheimer, Cillian Murphy apparaît à l’écran de plus en plus mince, comme consumé par la culpabilité et galvanisé par le pouvoir d’une telle avancée scientifique. Jusqu’à se retrouver face au monde réel, mené d’une main de fer par des hommes politiques déterminés à en user pour asseoir l’hégémonie américaine sur un Japon pourtant prêt à capituler. Un désaccord que Christopher Nolan image par une scène lunaire où de hauts-fonctionnaires du gouvernement décident sur quelles villes jeter leurs bombes : Kyoto est alors mentionné mais l’un deux refuse car il y a passé sa lune de miel. Puis, lorsque les missiles ont été lancés, Oppenheimer quitte Los Alamos auréolé de succès et soulagé que la guerre soit terminée. Mais un collègue et ami scientifique le ramène à la dure réalité qui ne cessera, dorénavant, de se répéter : “Jusqu’à ce quelqu’un façonne une plus grande bombe”. Le physicien s’engage alors les années qui suivent dans une guerre médiatique et politique contre les instances du gouvernement souhaitant créer une “Super Bomb” (qui le sera sans lui) et garder ce projet secret. Le climat de méfiance et de peur qui marque les années 50 et le maccarthysme aux États-Unis conduiront Oppenheimer à la barre des accusés, soupçonné de complicité avec le gouvernement russe. Si ces allégations n’ont finalement pas été retenues, elles ont marqué la vie et l’image de Robert Oppenheimer, génie damné dans les tréfonds du progrès scientifique.
Oppenheimer (2023) de Christopher Nolan, avec Cillian Murphy, Emily Blunt, Matt Damon et Robert Downey Jr., disponible sur le 22 mars 2024 sur Canal+ et dans quelques salles de cinéma.
L’été dernier, deux mastodontes du cinéma sortaient en salles : Oppenheimer de Christopher Nolan, et Barbie de Greta Gerwig. Avec des castings étoilés et deux scénarios diamétralement opposés – l’un sur le père de la bombe atomique, l’autre sur un monde matriarcal rose bonbon –, les films se sont affrontés au box-office tout l’été, et ce jusqu’aux Oscars 2024, qui se sont tenus le 10 mars 2024.
Aujourd’hui, une chose est sûre, Oppenheimer a pulvérisé la concurrence, remportant pas moins de 7 statuettes dorées tels que celles du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur acteur ou de la meilleure musique de film… Voici, s’il en fallait encore, trois raisons de découvrir ce long-métrage multi-primé diffusé ce vendredi 22 mars 2024 sur Canal+.
1. Cillian Murphy, un acteur époustouflant récompensé aux Oscars 2024
Cillian Murphy n’est plus à présenter. Star de la série Netflix à succès Peaky Blinders depuis 2013, l’acteur est aussi l’un des visages fétiches de Christopher Nolan, avec lequel il collabore depuis près de vingt ans. Batman Begins (2005), The Dark Knight (2008), Inception (2010), Dunkerque (2017)… Son visage émacié, sa démarche nonchalante et son charme anticonformiste ont séduit le réalisateur britannico-américain qui en fait, pour la première fois, le personnage principal de son long-métrage Oppenheimer. De scène en scène, l’Irlandais brille par sa sensibilité névrosée, sa colère mesurée, sa puissance torturée et ses envies déchirées et épouse l’identité de Julius Robert Oppenheimer sur tous les plans, psychologiques comme corporels. Aux côtés de Christopher Nolan, ce dernier s’est en effet plongé pendant près de six mois dans toutes les sources biographiques et archives vidéos existantes afin de travailler son jeu, analysant le moindre mouvement et la moindre pensée du physicien. Et, s’ils font la même taille (1,78m), Cillian Murphy a aussi adapté son physique musclé à la silhouette rachitique du savant qui ne pesait qu’une cinquantaine de kilos, apparaissant ainsi à l’écran presque chétif, dévoré par le savoir (et le pouvoir) qui précipitera sa chute.
Costume cintré, bottes et grosse ceinture : dans la peau d’“Oppie”, l’acteur prend une démarche de cow-boy du désert de Los Alamos – probablement inspirée par l’assurance de dandy de son rôle de Thomas Shelby dans Peaky Blinders – et un regard de damné, galvanisé par ce qu’il est capable de créer tout en étant conscient des conséquences. De l’enthousiasme qui entoure la conception du projet à la résignation lors de son audition finale en passant par sa passion dévorante pour son amante : Cillian Murphy signe une performance de haute volée, récompensée d’un Oscar, irincarnant pleinement cette histoire aux multiples couches narratives – signature de Christopher Nolan. Quitte à éclipser le casting étoilé qui gravite autour de lui, de sa femme interprétée par Emily Blunt (primée d’un Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle) à son amante jouée par Florence Pugh, en passant par l’excellente prestation de Matt Damon, Rami Malek, Ben Safdie… ou encore Robert Downey Jr, seconde figure centrale du film, qui absorbe un peu de lumière grâce à sa métamorphose physique stupéfiante, et lui vaut également une statuette dorée de Meilleur acteur dans un second rôle.
2. Oppenheimer de Christopher Nolan : un scénario surprenant et prenant
Loin du retournement final de son film Le Prestige (2006) ou des méandres inter-dimensionnels de Tenet (2020) ou Inception (2010), Christopher Nolan base son nouveau long-métrage sur une source d’inspiration plus linéaire : la biographie du physicien Julius Robert Oppenheimer (1904-1967). Physicien théoricien et professeur de physique, ce dernier regroupe à lui seul toutes les antinomies de notre monde contemporain. En effet, celui que l’on surnomme “le père de la bombe atomique” est autant loué que blâmé pour ses prouesses scientifiques. Et pour comprendre la complexité d’une telle personnalité, Christopher Nolan remonte jusqu’à ses années d’étudiant-docteur sur les bancs de l’université de Cambridge, en Angleterre. Oppenheimer apparaît isolé, mué par un instinct scientifique presque mystique et marqué par des insomnies et des hallucinations sur la fusion des atomes. Puis l’histoire nous conduit, la première moitié du film, de rencontre en rencontre. On y découvre la militante communiste qui deviendra son amante, Jean Tatlock, le professeur Ernest Lawrence, Albert Einstein ou encore le général de l’U.S.Army Leslie Richard Groves, qui fera de lui le chef du Laboratoire de Los Alamos à partir de 1943. C’est là que sera conçue la toute première bombe atomique – un lieu que Christopher Nolan dote d’une importance symbolique pour le physicien.
Alors que Cillian Murphy donne chair à cette figure historique, Christopher Nolan lui donne un sens, entrecoupant son récit biographique de sauts en avant dans le temps. Ainsi, entre un cours donné à l’université de Bekerley et une réunion scientifique secret-défense à Los Alamos, le réalisateur insère des scènes en noir et blanc qui prennent, au fur et à mesure de l’histoire, toute leur signification. Star de ces plans : l’acteur Robert Downey Jr., qui interprète l’homme politique américain Lewis Strauss (1896-1974), membre de la présidence de la Commission de l’énergie atomique des États-Unis aux côtés de Robert Oppenheimer. Seules entraves au déploiement chronologique du film, ces coupures nous plongent dans les débats houleux qui opposent les deux personnages dix ans après la création de la bombe… et prennent une nouvelle tournure lorsque les enjeux des deux partis se retrouvent liés par une seule et même personne. Les séquences repassent alors en couleur et s’intègrent au film, qui reprend une temporalité quasi linéaire et tranche ainsi avec le reste de la production de Christopher Nolan.