3 sep 2020

Who is Poppy, the dark princess praised by Marilyn Manson?

Née sur le Web en novembre 2014 à travers des apparitions fugaces dans des vidéos énigmatiques, Poppy a tout de suite suscité la fascination avant même de dévoiler son identité de chanteuse. Adoubée par Marilyn Manson, cette artiste hybride qui mélange sans complexe metal et pop a déjà signé quatre albums.

Texte par Matthieu Jacquet.

portraits par David Black.

Text by Matthieu Jacquet.

Photos by David Black.

Robe en coton imprimé, ANNAKIKI. Gants, WING + WEFT GLOVES.

Novembre 2014 : sur YouTube, une vidéo intitulée Poppy Eats Cotton Candy suscite la curiosité des internautes. Devant un fond vert pastel, une jeune femme aux longs cheveux peroxydés se délecte d’une barbe à papa du même rose pâle que son tee-shirt à sequins. Après l’avoir terminée, elle regarde la caméra avec un air espiègle, tire la langue et éclate de rire, puis le noir envahit l’écran. En à peine une minute et demie, le public de la plateforme découvre, sans légende ni explications, une nouvelle mascotte étrange, qu’il retrouve quelques jours plus tard dans une deuxième vidéo intitulée Thursdays Are So Boring : y revoici la charmante blonde en train de se faire appliquer du vernis à ongles par deux personnes dissimulées dans des combinaisons intégrales, tandis que l’on reconnaît, en fond musical, un morceau de la star de la J-pop Kyary Pamyu Pamyu. Là non plus, ni paroles ni informations, le mystère reste entier. Il faudra finalement attendre presque deux mois pour que l’identité de la jeune femme soit révélée par une nouvelle vidéo. Dans celle-ci, regard caméra, elle répète inlassablement son nom pendant dix minutes non-stop : “I’m Poppy. I’m Poppy. I’m Poppy”.  Ce refrain absurde et entêtant, qui confine à l’inquiétant, rend cette vidéo instantanément virale… elle se répand sur le Web comme une traînée de poudre. Ce 7 janvier 2015, Poppy est née officiellement, et la Toile chante son avènement.

 

Visage de poupée, voix fluette, sourire figé… Poppy est ce que l’on peut appeler un “phénomène”, au sens étymologique du terme (rappelons qu’en grec, le terme signifie littéralement “ce qui apparaît”). D’abord car elle émerge essentiellement comme une apparition visuelle : virtuelle et volatile, son image se restreint aux écrans 13 ou 27 pouces des ordinateurs et à celle des smartphones, faisant d’elle une figure aussi désincarnée qu’insaisissable. Il suffit d’un simple clic et d’une URL (gratuite) pour invoquer ce personnage depuis le monde entier, et le retrouver, toujours devant les mêmes décors pastel, caressé par la même lumière douce. Un phénomène, aussi, car son entrée dans la célébrité, bien que tout à fait symptomatique de notre époque, est pour le moins originale. Débarrassée d’une quelconque matérialité ou d’intentions explicites, sa présence dans
le monde virtuel se justifie par elle-même, et n’a besoin de rien d’autre.

 

 

En bon produit de l’industrie musicale 2.0, Poppy appartient à cette génération d’artistes dont la musique n’est qu’une facette de l’identité globale.

 

 

Rapidement, la phénoménale Poppy fascine et une communauté d’adeptes se constitue. Comme face à un étrange objet d’étude, le public de ses vidéos l’observe tantôt engager la conversation avec une plante, tantôt se faire questionner par un robot nommé Charlotte Quinn. Ses réponses préparées, prononcées avec la même expression angélique et le même ton monocorde, interrogent : la jeune femme n’est-elle pas plus artificielle encore que le robot qui est placé face à elle ? Qui est vraiment l’humain qui active la marionnette ?… En vérité, derrière l’avatar de Poppy se cachent non pas une mais deux personnes. La première, celle que l’on voit, est une certaine Moriah Rose Pereira, née à Boston en 1995. La seconde est un réalisateur et musicien américain au nom étrange : Titanic Sinclair. Ensemble, ils imaginent ces vidéos décalées où la jeune Moriah endosse toujours le premier rôle. Le duo s’y amuse, non sans ironie, des tendances contemporaines comme celles que l’on trouve chez les blogueurs, les “youtubeurs” ou dans la publicité, mais aussi de la politique, de la culture, de la société et de la technologie – tout un environnement détourné par leurs mises en scène cryptiques à l’esthétique toujours très travaillée.

Blazer oversize en laine, BALENCIAGA. Chapeau vintage, DIOR.

En juillet 2015, le projet prend un tournant lorsque sous le nom de “That Poppy”, Moriah Rose Pereira sort un premier morceau intitulé Lowlife. Sur des arrangements reggae, elle y chante dans une mélodie très pop des paroles légères aux airs de déclaration d’amour : “Baby, you’re the highlight of my lowlife/ Take a shitty day and make it alright, yeah, alright.” Le premier EP, intitulé Bubblebath, ne se fait pas attendre. Inscrits dans la même veine pop acidulée un rien mièvre, ses quatre titres pourraient rythmer le générique d’un dessin animé pour enfants. Poppy fait alors ses premières apparitions sur scène, donne ses premières interviews et s’incarne, peu à peu, en chair et en os.

 

 

Pour qualifier l'hybridation de sa musique, l’artiste emploie volontiers l’expression “post-genre”.

 

 

Personnalité multimédia mais pas médiatique, l’artiste devient une nouvelle forme de pop star impénétrable parée d’une aura de mystère, une idole diffuse et mystique qui ira jusqu’à susciter une forme de culte chez ses fans, le “poppyism”. Tentant d’analyser les symboles de ses vidéos, certains la taxeront même d’être une Illuminati. Car en bon produit de l’industrie musicale 2.0, Poppy appartient à cette génération d’artistes dont la musique n’est qu’une facette de l’identité globale, complétée par l’édification d’une véritable persona (figure où chacun peut projeter son propre imaginaire) visuelle et virtuelle. Du premier volet étonnant de sa carrière, l’artiste n’a d’ailleurs ni honte ni regrets. Jamais elle ne s’est sentie “youtubeuse” à proprement parler, ni ne s’est présentée comme telle : ses mini films étranges avec Titanic Sinclair relèvent des arts performatifs, point. À ce jour, 450 vidéos au total sont toujours en ligne sur sa chaîne, dont certaines, inédites, étaient encore dévoilées en 2019, constituant une véritable base de données gratuite et accessible à quiconque s’interrogerait sur ses débuts. Quant au personnage incarné dans ce projet, l’artiste le considère comme une part d’elle-même : “Elle n’était pas tant un personnage externe à moi- même qu’une extension de ce que j’étais quand j’étais plus jeune. J’en suis actuellement une version évoluée”, explique-t-elle.

 

Aussi prolifique en musique qu’en vidéo, Poppy sort un total de quatre albums en seulement quatre ans. S’étendant de la pop à l’électro en passant par le rock et la dance, ceux-ci montrent tout l’éventail de son répertoire artistique et l’affranchissent progressivement de l’archétype facile de la “poupée pop”. Une singularité qui aimante de plus en plus l’attention du public, mais aussi celle du monde de la musique. Son troisième album Am I a Girl? contient d’ailleurs plusieurs collaborations prestigieuses, dont un titre avec le producteur Diplo et un autre avec la chanteuse canadienne Grimes, dont Poppy partage la passion pour la fabrication d’avatars. Pour qualifier cette hybridation de sa musique, l’artiste emploie volontiers l’expression “post-genre” : “Elle signifie que je ne m’identifie à aucun genre en particulier, parce que se limiter à un genre est ennuyeux. La musique que je fais est la musique que j’aime écouter, et celle-ci change.” Sorti six ans après sa toute première vidéo, son nouvel opus I Disagree en est d’ailleurs l’illustration même, opérant par exemple avec le titre Concrete une association aussi inattendue qu’efficace entre le metal, le rock baroque et la K-pop, dans laquelle transparaissent à la fois les influences de Queen, des Beach Boys et surtout de Marilyn Manson. Inspiration majeure pour Poppy, ce dernier la contactait d’ailleurs par message privé dès 2018 pour lui témoigner son respect. Depuis, les musiciens sont devenus bons amis : “Il me donne beaucoup de bons conseils. C’est l’une des dernières rock stars à être encore aussi influente de son vivant.

Manteau en laine, Louis Vuitton. Masque, LORY SUN.

Dans le sillon de ce prince ténébreux du metal alternatif, le dernier album de Poppy est en effet beaucoup plus sombre que les précédents, à commencer par sa pochette réalisée par l’artiste Jesse Draxler. Regard noir dirigé vers l’objectif, collier à piquants et inscriptions noires cerclant ses yeux et sa bouche, la jeune femme y apparaît frontale et menaçante. “Je pense que nous vivons dans un monde très sombre et l’industrie en tant que telle est assez sombre”, commente-t-elle. Exit l’image bubblegum pop, exit la figure de la femme- enfant, I Disagree signe l’émancipation de Poppy, concrétisée par un tournant artistique plus punk et assumé, ainsi que l’annonce, en décembre dernier, de sa séparation d’avec Titanic Sinclair. Quand on lui demande ce qu’elle désapprouve le plus au monde, l’artiste répond sans hésiter : “Les entreprises, l’autorité, les informations… Je suis en désaccord avec les personnes qui suivent aveuglement n’importe quoi sans se poser de questions, mais aussi avec celles qui ne sont pas capables de penser par elles-mêmes.” Les paroles de cet album, qu’elle considère comme “les plus vraies qu’[elle ait] jamais écrites”, ne font pas non plus dans la dentelle. Dans Bloodmoney, la chanteuse confie “savoir ce que ça fait d’avoir son âme aspirée hors de son corps” et “ce que ça fait d’être morte”, tandis que dans Concrete, elle demande à être enterrée six pieds sous terre et recouverte de béton. Derrière leurs références à la mort et à la destruction de l’ordre établi, ses textes expriment un désir brûlant de faire table rase pour tout recommencer à zéro.

 

 

“Je suis en désaccord avec les personnes qui suivent aveuglement n’importe quoi sans se poser de questions, mais aussi avec celles qui ne sont pas capables de penser par elles-mêmes.

 

 

Malgré ce feu qui l’anime, Poppy – désormais brune – porte sur elle une élégance aristocratique toujours embuée de sa puissance énigmatique, celle d’une femme que l’on ne saurait cerner. Dans quelques récentes vidéos, les internautes s’étonnent dans les commentaires de la découvrir “plus humaine que jamais” ou de la voir “sortir de son personnage”. Elle s’en amuse : “Je pense que tout le monde joue toujours un personnage. On a beau être transparent et sincère quand on est assis en silence et que les murs sont tombés, dès qu’il y a une caméra ou un micro, peu importe qui l’on est, on revêt un masque.” Masquée ou démasquée, Poppy avance comme la figure ambiguë et magnétique d’un nouveau monde où le réel et le virtuel fusionnent peu à peu pour ne faire plus qu’un. Une figure humaine, avant tout.

Printed cotton dress, ANNAKIKI. Gloves, WING + WEFT GLOVES.

November 2014 on YouTube: a video entitled Poppy Eats Cotton Candy gets the web buzzing. In front of a pastel-green backdrop, a girl with long platinum hair and a sequined pink top eats a stick of candyfloss. Once finished, she looks mischievously at the camera, sticks out her tongue and giggles. The screen fades to black. In barely a minute and a half, with neither captions nor explanations, YouTubers discovered a strange new fetish figure, who was back a few days later with a second clip entitled Thursdays Are So Boring: to a J-pop soundtrack by Kyary Pamyu Pamyu, she had her nails varnished by two people disguised in full body suits. Once again there was no dialogue and no information, mystery reigning supreme. Viewers had to wait almost two months before the peroxide blonde’s professional identity was revealed in a third video that had her looking into the camera and repeating “I’m Poppy. I’m Poppy. I’m Poppy,” for 10 minutes straight. Absurd, hypnotizing and disturbing, the clip went viral. That day, 7 January 2015, Poppy was officially born.

 

With her doll’s face, high girly voice and fake smile, Poppy is a “phenomenon” in the strict sense of the word (in its original Greek it means “that which appears”). Firstly because she emerged as an essentially visual apparition, virtual and volatile, as disembodied as she was elusive. Provided you had internet access she could be called up from anywhere, a pastel vision in soft lighting. But she was also a phenomenon in the more accepted sense of the word, springing into the limelight in a way that, while entirely symptomatic of our times, was utterly original. Freed from materialization or explicit intentions, her presence in the virtual world was entirely solipsistic and needed no justification.

 

 

As a good product of music industry, Poppy belongs to a generation of artists whose music is only one part of a global identity.

 

 

From the start she fascinated, attracting a community of fans, who, as though observing a strange phenomenon in science class, watched her talking to a plant or taking questions from a robot called Charlotte Quinn. Her rehearsed replies, all given with the same angelic expression in the same bright monotone, raised a disturbing question: in the end, wasn’t this bubble-gum girl even more artificial than Charlotte the robot? And who was behind all this? The truth is that the Poppy avatar was the creation of not one but two people: the first, who we see on the screen, is a certain Moriah Rose Pereira, born in Boston in 1995; the second is an American director and musician called Titanic Sinclair. Together they dreamt up these kooky videos in which Moriah always took on the starring role, ironically parodying today’s advertising, blogger and YouTuber trends, but also politics, culture, society and technology, and in doing so subverting a whole ecosystem with their cryptic soigné scenarios.

Oversized wool blazer, BALENCIAGA. Vintage hat, DIOR.

In July 2015, the project moved into another dimension when, under the pseudonym “That Poppy,” Pereira brought out her first song, Lowlife, which featured vacuous lyrics set to a very pop melody against reggae arrangements: “Baby, you’re the highlight of my lowlife / Take a shitty day and make it alright, yeah, alright.” Her first EP, Bubblebath, which came out shortly after, deployed the same artificial pop sweetness, with four bright tracks that would have been perfect for a children’s cartoon. It was then that Poppy began to make her first stage appearances, give her first interviews and slowly metamorphose into a flesh-and-blood human being.

 

 

Poppy uses the expression “post-genre” to describe her music.

 

 

As a multimedia – rather than media – figure, she incarnated a new form of impenetrable pop star, draped in an aura of mystery to the point of engendering a “Poppyism” cult in her fans. Some commentators, when attempting to analyse the symbolism in her videos, went so far as to label her a member of the Illuminati. A perfect product of the music industry version 2.0, Poppy belongs to a generation of artists whose music is just one facet of a global identity, a visual and virtual persona onto which we can all project our fantasies. Today, now that she has become a more conventional kind of star, Poppy has no regrets with respect to her online beginnings: she never identified as a true YouTuber, nor did she appear like one, her strange films being better read as a form of performance art. As for the character portrayed in these videos, she considers it part of herself: “She wasn’t so much a character who was external to me as an extension of what I was like when I was younger. Right now I’m an evolved version of that.”

 

Just as prolific musically as with her videos, Poppy has brought out four albums in as many years, covering everything from pop and electro to rock and dance. This wide artistic repertoire has progressively freed her from the facile stereotype of the pop bimbo, bringing her ever more fans but also growing attention from the music biz. Indeed her third album Am I a Girl? featured several prestigious collaborations, including a track with the producer Diplo and another with the Canadian singer Grimes, who shares Poppy’s passion for avatars. Poppy uses the expression “post-genre” to describe her music: “It means that I don’t identify with any genre in particular, because limiting yourself to just one genre is boring. The music I make is the music I like to listen to, and that changes.” Her new opus I Disagree is the perfect demonstration of that: the track Concrete, for example, unexpectedly but very successfully fuses metal, rock and K-pop in a mélange influenced by Queen, The Beach Boys and, most of all, Marilyn Manson. A major reference for Poppy, Manson began messaging her on Instagram in 2018 to show his support, and they’ve since become good friends: “He gives me a lot of good advice,” she confides. “He’s one of the last rock stars to be so influential in his own lifetime.”

Manteau en laine, Louis Vuitton. Masque, LORY SUN.

Following in Manson’s foot- steps, Poppy’s most recent album is far more sombre, right down to the cover, realized by the artist Jesse Draxler. Looking darkly at the lens, with black inscriptions around her eyes and mouth and a chain of spikes around her neck, she appears in-your-face and threatening. “I think we’re living in a very dark world, and the industry at the moment is pretty dark.” Out with the bubble-gum girl, in with the emancipated, punk Poppy, who last December split with Titanic Sinclair. When asked what she most disapproves of, she replies, without hesitation, “Corporations, authority, news… I don’t get people who blindly follow any old thing without asking questions or who are incapable of thinking for themselves.” The lyrics on I Disagree, which she considers the “most real I’ve ever writ- ten,” don’t beat about the bush either: in Bloodmoney, she claims to “know what it feels like to have my soul sucked out of my body” and “what it feels like to be dead,” while in Concrete she asks to be buried six feet deep, covered in concrete and turned into a street.

 

“I disagree with anyone who blindly follows anything without questioning it, as well as with people who are not able to think by themselves.​”

 

 

Despite the fire within her, Poppy, who is now brunette, carries herself with an aristocratic elegance that is fed by the power of her enigma, the pride of a woman who will not be pinned down. Reacting to some of her recent videos, her fans are surpised to find her “more human than ever” or to see her “coming out of character.” All of which she finds amusing: “I think that everyone is always playing a role. Sure you’re transparent and sincere when you’re sitting in silence and the defences are down, but, the minute there’s a camera or a microphone in the room, whoever you are you put on mask.” Whether masked or unmasked, Poppy continues on her ambiguous, mesmerizing path through a new world in which the real and the virtual fuse little by little to become one and the same – a human figure above all.